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Nicolas Thiffault-Chouinard

Bourgeoisie, sexe, drogue, suicide


La Faculté de droit de l’Université de Montréal selon Jean-Philippe Baril-Guérard.


« Royal », second roman de Jean-Philippe Baril-Guérard, paru aux Éditions de ta mère le 25 octobre dernier relate la vie d’un jeune étudiant en droit à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.


Une critique de Nicolas Thiffault-Chouinard.

Royal. Le titre de ce roman est « Royal ». C’est un roman, mais il semble si près de la vérité que le qualifier de récit ne serait pas tout à fait mentir. Au long des pages, le lecteur est amené à suivre un jeune étudiant en droit, dans ce que l’auteur qualifie de « dépotoir de l’humanité »: la Faculté de droit de l’Université de Montréal.


Difficile de cacher son étonnement devant la quatrième de couverture: sommes-nous vraiment les déchets cardinaux du dépotoir de l’humanité? Question de fond qui mérite notre attention, mais ce n’est pas le point ici. Observons plutôt comment l’auteur l’illustre et soutient cette œuvre de fiction.


Baril-Guérard se penche sur un aspect en particulier pour faire cette affirmation: la course aux stages. Il ne parle donc pas de la majorité des étudiants de notre Faculté. Si vous lisez ceci, vous n’êtes donc probablement pas de vulgaires déchets, à ses yeux. Avec amusement, il qualifie plutôt les étudiants qui ne feront pas la course « d’herbivores ». Or, s’il parle de la course aux stages, c’est pour une raison particulière: elle est différente ici, à l’U de M, même si l’entente-cadre qui l’organise est la même. Ici, elle revêt une importance particulière, elle prend des allures de combat épique où il convient de se vendre plutôt que de se prouver.


Ce que Baril-Guérard montre, au fil des 288 pages, c’est avant tout quelque chose de bien réel: l’obsession de la performance. Il l’illustre avec des exemples un peu tirés par les cheveux, mais peut-être pas si loin de la réalité. Il parle de l’utilisation de drogues de performance, les smart drugs, qui vous permettent d’écrire pendant des heures sans arrêter, mais aussi des autres drogues, connexes, que l’on prend pour contrôler son stress, pour trouver le sommeil. Il parle des cliques, des castes, de comment naviguer entre les requins, de l’obsession liée à la GPA, aux notes et à l’entraide… qui devient vite une manière de faire tomber ses adversaires. Il parle de sexe et d’alcool, souvent ensemble et de manière crue et froide. Efficacement, il montre la détresse psychologique. Trop souvent cachés, la détresse profonde et le mal-être de plusieurs d’entre nous occupent une grande place dans le roman où le personnage jongle sans cesse avec l’idée de mourir pour mettre fin à ses problèmes. Enfin, il montre aussi, avec brio je dois le dire, à quel point la faune dans laquelle nous évoluons est homogène, blanche et élitiste. Ce livre veut montrer quelque chose de vrai: l’ascenseur social ne fonctionne pas très bien, surtout ici.


C’est une œuvre de fiction qui, comme les meilleures œuvres de fiction, colle à la réalité. Elle a toutefois ses défauts. L’écriture est moralisatrice, la narration crée une distance entre le sujet et l’action. Il y a aussi le ton. Le ton est en soi un personnage. Un cynisme roi. Ce que l’auteur écrit semble être une fatalité, une vérité absolue, montrant l’humain comme une marchandise. Vraiment ce n’est pas un livre pour vous rendre heureux, mais cela remet habilement les choses en perspective. Habile, l’auteur nous tient en haleine jusqu’à la fin, moment ultime où l’on apprend si le personnage aura un stage ou non. Tout au long de l’œuvre s’opère un changement chez le lecteur. L’empathie que l’on pouvait avoir pour ce personnage, au fil de son évolution, s’estompe. Au fil des pages, on apprend à le détester, car ressort chez lui le pire de l’être humain.


Je ne suis pas un amateur de ces livres qui disent vous donner toutes les réponses, encore moins de ceux qui vous disent qu’il n’y a pas de réponses, que l’on devrait vivre dans le néant. Or, ce livre est peut-être à mi-chemin. Si près de nous, il est facile de le critiquer. Mais ne perdons pas de vue qu’il est, d’abord, une illustration d’une tendance plus large, l’obsession de la performance, la nécessité d’être toujours le meilleur. Il nous montre ce qu’il y a de plus laid dans nos gestes, dans notre manière d’être en tant que jeunes adultes, beaux, bons, parfaits et souriants... mais faux et tourmentés. C’est un dur exercice pour l’esprit qui nous montre un peu plus, qui nous sommes, en déformant, juste un peu, la réalité.

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