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Simon Baban Roy

Baban c. Goliath


Mardi, le 26 janvier 2016, un peu après 8 h 30.

Ce matin-là, il régnait dans la classe de la professeure une ambiance survoltée. Bien que cette dernière eût entamé son cours depuis déjà quelques minutes, de petits groupes épars continuaient de parler à bâton rompu.

Au bout d’un moment, un étudiant, qui, bien qu’assis dans la première rangée, arrivait à peine à écouter la professeure, leva sa main, puis s’adressa à ses condisciples d’une voix posée : « Je ne sais pas qui n’a pas appris à chuchoter, là… mais, comme… Juste, vos yeules, câlice! »

Un collègue tenta alors de calmer le jeu : « J’suis d’accord avec ton intervention, (...), mais il y a vraiment une façon, par contre, de le formuler. » L’étudiant visé par ce commentaire répliqua aussitôt, cette fois sur un ton bien senti : « Shut the fuck up! » Après avoir rappelé sa classe à l’ordre, la professeure reprit là où elle avait laissé quelques secondes plus tôt.

La pause venue, la professeure invita, amicalement, l’étudiant impétueux à bien vouloir faire fi des conversations de ses collègues.

L’échange entre l’étudiant et la professeure, qui se déroulait devant la classe, et non en privé, ne manqua pas d’attirer l’attention sur les deux interlocuteurs. Embarrassé par les regards inquisiteurs de ses condisciples, l’étudiant aux traits sévères et aux tatouages distinctifs se délesta du courroux qu’il coltinait depuis ses débuts à la Fac. Dans un ultime cri du cœur, celui-ci se tourna vers la classe et aspergea ses collègues de son fiel.

Le lendemain, vers 13 h 20, la police venait quérir le trouble-fête dans le cours DRT-3205/Droit des sûretés.

Cet étudiant, c’était moi.

- Simon Baban Roy -


***


Un an et des poussières se sont écoulés depuis le jour où six policiers ont investi le cours Droit des sûretés pour appréhender celui que certains esprits malveillants et tordus allaient bientôt dépeindre comme un fou furieux aux intentions limitrophes de celles des Marc Lépine et Alexandre Bissonnette de ce monde. Incrédules devant cette intervention intempestive des forces de l’ordre, mes condisciples crurent d’abord qu’il s’agissait d’une mauvaise blague. Mais leurs yeux s’écarquillèrent lorsqu’un agent leur intima l’ordre d’évacuer les lieux. Les « bébés avocats » se ruèrent alors vers le corridor, où un périmètre de sécurité avait (déjà) été érigé. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, il ne restait plus que Robert et moi dans la salle de classe. Après avoir sommé mon ami d’aller rejoindre nos collègues à l’extérieur du local, les policiers m’escortèrent hors de la Faculté.


Pour mes détracteurs étudiants (et ils étaient nombreux), le sort en était enfin jeté. Afin de s’assurer que je reste au tapis, ceux-ci s'empresseraient de décréter l’état d’urgence dans les rangs de la communauté estudiantine. Et les hautes instances de la Faculté, après m’avoir montré la porte, allaient profiter de cette conjoncture pour verrouiller à double tour derrière moi.


Quelque deux semaines plus tard, le Pigeon Dissident publiait Les sentiers de la gloire, l’article qui, en plus de couper l’herbe sous le pied aux hyènes qui avaient vendu la crinière du lion avant de l’avoir tué, allait redresser la balance de la Justice en faisant échec au traitement que comptait me réserver la Faculté.


À ma grande surprise, et contre toute attente, mon article connut un succès retentissant et fut même acclamé par le lectorat du Pigeon. Sans même le vouloir, j’avais réussi le plus improbable des tours de force. En effet, ce texte, qui au départ devait sonner le glas de mon passage à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, allait finalement être ma planche de salut. Isn’t that ironic?


Aussi foudroyant qu’inespéré, ce revirement de situation contribua à rétablir le rapport de force qui se profilait entre des protagonistes aux moyens pour le moins inégaux. Sans grande surprise, ce pied de nez ne manqua pas de contrarier la Faculté, laquelle voyait son dessein contrecarré. Mais il aurait été prématuré pour moi de crier victoire.


En effet, contrairement à ce que certains prétendent, mon article n’eut pas pour effet de me laver de tout soupçon. Si j’avais réussi à m’attirer la sympathie de mes pairs, celle-ci ne tenait que par un fil. Il était évident que mes condisciples préféreraient veiller au grain plutôt que de me donner le Bon Dieu sans confession. Au mieux, on m’accorderait le bénéfice du doute. Tout n’était donc pas perdu pour mes détracteurs.


Quoiqu’il n’eût rien d’une panacée, mon article avait tout de même forcé la Faculté à jeter du lest. Affaiblies par l’élan de sympathie que m’avait value ma mise à nue épistolaire, les hautes instances ne pouvaient désormais plus agir impunément en s’appuyant sur la seule opinion publique pour justifier leurs actions. Évidemment, il s’agissait là d’un impondérable avec lequel elles avaient le luxe de composer. Autrement dit, si le Comité s’est montré clément à mon endroit, c’est que, dans les circonstances, il ne pouvait faire autrement, et pour cause.


Quant à moi, j’étais désormais pris entre deux feux. En plus d’être dans le collimateur de la Faculté, je savais pertinemment qu’à mon retour je serais en butte aux ragots, aux regards, tant craintifs qu’accusateurs, et aux gémonies des un(e)s et des autres, et que, de ce fait, je n’aurais plus d’autre choix que de faire profil bas jusqu’à la fin de mes études à l’UdeM. Condamné à adopter un comportement plus qu’exemplaire, j’allais devoir me résigner à montrer patte blanche chaque fois qu’on m’en ferait la requête, à défaut de quoi on serait enfin fondé à me clouer au pilori, et ce, une bonne fois pour toutes.


A fortiori, je me doutais bien que le soutien que me témoignaient mes pairs était vacillant et, de surcroît, éphémère. Bien que la communauté étudiante se fût montrée sensible à mon récit, aucun étudiant n’aurait osé se commettre en prenant fait et cause pour moi. Le capital de sympathie dont je jouissais était donc friable, et le temps allait tôt ou tard jouer en ma défaveur. Forts de cet apanage, mes détracteurs n’avaient plus qu’à attendre patiemment que je me brûle les ailes.


Comme dirait un certain professeur, grand défenseur de l’État de droit, « les libertés fondamentales, on r’passera! »


Bien qu’elle eût autorisé ma réintégration, la Faculté, qui était pourtant bien au fait que certains de ses étudiants avaient manifesté la crainte que je ne leur fasse violence ou, pire encore, que je ne revienne armé à l’école pour assouvir mes bas instincts, se refusa, et ce catégoriquement, à démentir les rumeurs qui circulaient sur mon compte. En effet, à aucun moment la Faculté n'a jugé bon d’apaiser le climat de peur qui, depuis l’intervention des forces de l’ordre, taraudait la communauté estudiantine. Et c’est précisément là que le bât blesse. Si les hautes instances me savaient, à juste titre, sain d’esprit, les étudiants, pour leur part, n’avaient aucun moyen de s’en assurer. Je n’étais donc pas au bout de mes peines.


Évidemment, les principaux intéressés se défendront en opposant que la seule décision d’autoriser ma réintégration parlait d’elle-même et que celle-ci suffisait amplement à rassurer les étudiants. Avec égards, cet argument, qui en vaut certainement un autre, m’apparaît plutôt boiteux, car, à en juger par les regards auxquels j’ai eu droit à mon retour, je peux vous assurer que bon nombre de mes collègues auraient souhaité qu’on les rassure. Qui plus est, la plus élémentaire des considérations ne commandait-elle pas à la Faculté de rassurer ses étudiants, d’une part, et de me témoigner, d’autre part, ne serait-ce qu’un minimum d’égards après qu’elle eût envoyé six policiers me quérir en pleine classe?


Malgré les nombreux revers, je réintégrai mes cours sans me formaliser des racontars. À l’instigation de collègues qui avaient salué ma plume, j’entrepris même de fonder Donnez bonne mine à vos textes, un service de correction/révision de documents juridiques. Pour une énième fois dans mon existence, j’avais réussi à faire contre mauvaise fortune bon cœur en tirant profit d’une déconvenue.


Mais, dans mon for intérieur, je savais que la chance ne durerait pas éternellement.


En fin de session, une collègue vint chez moi pour étudier. Celle-ci m’apprit que deux de ses amies avaient tenté de la dissuader de se présenter seule à mon domicile. Bien que je fisse mine de rire, ce commentaire m’avait profondément blessé. À ce moment précis, je compris que ma réputation ne serait jamais totalement rétablie.


Plus tard, un professeur qui avait eu recours à mes services de correcteur, et ce deux fois plutôt qu’une, me confia ne pas être chaud à l’idée de faire la promotion de mon entreprise sur sa page Facebook. Bien qu’il m’ait assuré que son malaise n’avait rien à voir avec les événements de l’année précédente, je persiste à croire qu’il en aurait été autrement si ceux-ci n’avaient jamais eu lieu.


Enfin, la semaine dernière, un membre des hautes instances de la Faculté m’a envoyé un courriel dans lequel il faisait allusion à un statut que j’avais publié la veille sur ma page Facebook. Bien qu’elle ne manquât pas de me surprendre, cette délicate attention me permit de prendre la pleine mesure de ce que je me plais depuis à appeler le « BabanGate ».


En filigrane de ce message, je compris que mes jours à la Fac étaient comptés. Je n’ai aucun mal à prendre mon parti des rumeurs que certains étudiants se plaisent à alimenter, et ce, pour la simple et bonne raison que ceux-ci finiront par terminer leur baccalauréat et partir pour le Barreau. En revanche, je ne pourrai résister indéfiniment aux assauts répétés de la Faculté.


Aujourd’hui, je ne peux m’empêcher d’avoir un pincement au cœur chaque fois que l’on me sert le fameux « décroche, “le grand”, ça fait un an! », d’autant que ceux qui tiennent ce discours sont, le plus souvent, ceux-là mêmes qui sont prêts à tout abandonner dès qu’une de leurs notes est de deux points sous la moyenne. Et que dire de ceux qui tentent de me convaincre de ne pas m’en faire avec ma réputation, alors que ceux et celles qui ont aveuglément ajouté foi aux rumeurs qui circulaient sur ma personne sont, en règle générale, les mêmes qui croient fermement les avocats de la Journée carrière lorsque ceux-ci affirment que les grands cabinets sont des endroits où il fait bon être stagiaire?


Avec le recul, j’ai compris que j’aurais mieux fait d’aller terminer mes études de droit dans une autre université. Mon article Les sentiers de la gloire aurait alors été mon chant du cygne.


Mais, comme je suis un battant, je peux aujourd’hui me targuer d’avoir tenu tête à la prestigieuse Faculté de droit de l’Université de Montréal jusqu’au bout.


Con cariño,


Baban


L'équipe du Pigeon Dissident ne prend pas position au sujet des propos exprimés dans cet article. Ils n'engagent que leur auteur. Le Pigeon Dissident tient à réaffirmer sa conviction en la liberté d'expression et se veut une plateforme pour ses membres.

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