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Xavier Desrosiers

Ces héros dont on pourrait se passer



L’heure est grave. Cette masse au sein, elle commence sérieusement à vous inquiéter. Depuis cette débarque en ski, votre jambe ne répond plus comme avant. Tousser, tousser, tousser…


Que fait tout mortel conscient de sa vulnérabilité dans une telle situation? La réponse a déjà été écrite, pour lui, mais pas par lui : MÉDECIN. Ce mot, et tout ce qu’il emporte avec lui, n’est-il pas gage de certitude lorsque vient le temps de se soigner? Qu’il œuvre dans le paradis du domaine public ou (diable) dans le secteur privé, qu’il soit omnipraticien ou spécialiste, le médecin est, selon vous et moi, la solution ultime, garantie, parfaite et miraculeuse à nos maux, peu importe leur nature. De quoi rappeler le frère André lui-même!


En sauveur qu’il est, le médecin mérite évidemment qu’on lui accorde, en tant que société, le traitement le plus princier qui soit. Qu’on lui accorde un généreux salaire, des conditions de travail général rien de moins qu’appétissantes et une puissante association prête à le backer au moindre ennui n’est qu’une formalité. Après tout, n’ont-ils pas galéré tel Ben-Hur (au moins) 7 ans de leur existence à étudier sous tous ses angles cette drôle de chose qu’est le corps humain? Mais d’abord et avant tout, mieux que le meilleur des salaires, nous leur avons offert quelque chose qu’aucun chèque ne pourra égaler : un statut. Car rien n’est plus précieux, rien ne permet de mieux récompenser ces glorieux officiers qu’un « Dr » sur leur carte d’affaires ou une absence de toute remise en question lorsqu’ils portent un jugement sur votre possession la plus précieuse qu’est votre santé.


Jusque-là, tout va bien. On les aime, on les adule ces superhéros.


Jusqu’à ce qu’on apprenne que ces dieux ne sont que de vulgaires humains ayant eu la chance d’avoir un cerveau performant à la fin de leur période pubère. Que, comme n’importe qui, ils sont soumis à la tentation du vice, au dogme du greed is good.


Le 2 février dernier, l’émission Enquête (bénie soit-elle) nous révélait que des ophtalmologistes (dieux de l’œil) auraient abusé de patients et du système de santé en général, en forçant carrément des clients à se soumettre à des soins dans leur établissement privé, le tout accompagné de frais exagérés. (1) « Prenez ces gouttes à 25 $ que nous avons reçues gratuitement de notre fournisseur! Sinon : c’est l’infection, puis une mort douloureuse. » Il ne s’agit ici que d’un cas de figure légèrement poussé, mais il témoigne bien de la prise d’otage dont sont victimes les gens ordinaires. Paniqués, inquiets et sans autre recours possible, les patients sont prêts à tout pour obtenir la bénédiction de leur médecin. Ce dernier, constatant qu’il jouit d’une marge de manœuvre pratiquement illimitée, ne s’empêche pas de tenir pour acquis le vulgaire être humain se trouvant devant lui. Que celui-ci doive attendre 4 mois avant de consulter un spécialiste et d’avoir (peut-être) la solution à son urgent problème n’a pas d’importance. Pas plus qu’il ne soit possible que le diagnostic soit faux ou que la solution miracle n’existe pas; je suis médecin, dude. T’es qui toé? T’ai veux-tu tes pilules pour tes thrills? Après notre consultation, on se sentira plus souvent qu’autrement déçu de s’être gelé le popotin à 6 h du matin devant la porte de cette clinique sans rendez-vous. Après tout, combien d’entre nous se sont sentis tels un vulgaire porc à l’abattoir, un numéro sur une liste à la sortie du cabinet médical?


Prendre pour acquis un patient, c’est témoigner d’un manque d’humanisme, oui. Mais c’est surtout décevoir les attentes que la société a envers le rôle que ces personnes occupent, rôle surestimé et dont les modalités devraient certainement être revues. Oui, les médecins sont les professionnels les plus compétents dans le domaine de la santé. Oui ils devraient avoir le dernier mot sur les autres ouvriers du domaine. Oui ce sont eux les meilleurs. Oui.


Mais à quoi bon l’être si ce n’est que pour dire et se faire dire qu’on l’est?


Le médecin est surestimé, voilà tout. Pas qu’il ne soit pas important, non. Mais à force d’aller porter ses enfants à l’école privée en grosse BM entre deux voyages en Italie, il en est venu à devenir l’aristocrate des temps modernes; et comme lors de la prise de la Bastille, il verra un jour que le culte dont il bénéficie n’était qu’éphémère et qu’à force d’agir comme l’élite sociale plutôt qu’en bon samaritain, il s’est mis à dos le « petit peuple » qui ne demandait rien de moins que d’être rassuré quant à sa condition, recevoir un traitement humain et non subir celui d’un vulgaire moyen de production.


Comment faire, donc, pour démocratiser et humaniser le domaine de la santé? On les entend et les voit venir ces solutions, parce qu’elles sont, il faut bien se l’admettre, évidentes. Des superinfirmières prêtes à prendre en charge des patients, permettant d’accélérer le processus et l’accès à celui-ci. Des pharmaciens ayant le pouvoir de prescrire eux-mêmes des médicaments. Ce ne sont que des premières étapes et de vulgaires exemples, certes. Mais ce qu’on ne ferait pas pour miner un peu ceux qui ont le culot de nous faire languir parce qu’ils avaient une grosse cote R.


Mais tout ça n’est pas près d’arriver. En tout cas, pas avec un gouvernement de médecins, par des médecins et pour des médecins.


(1)http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1014346/medecins-millionnaires-institut-oeil-laurentides-quebec-ophtalmologiste

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