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Jonathan Allouch

L’échec de l’alliance de la dernière chance face à Hitler



L’accession au pouvoir d’Adolf Hitler en janvier 1933 provoque une onde de choc dans le monde entier. Loin d’être dupe, l’Union soviétique cherche alors à se rapprocher de la France et de l’Angleterre pour former une alliance. Au gré de l’expansion territoriale de l’Allemagne (remilitarisation de la Rhénanie en 1936, annexion de l’Autriche par l’Allemagne en 1938 et des Sudètes en septembre 1938), cette alliance va vite se transformer en ce que le Professeur Michael J. Carley va appeler l’«alliance de la dernière chance», l’ultime espoir d’arrêter Hitler et d’empêcher un deuxième conflit mondial. Comme nous le savons, cela échouera pour plusieurs raisons.


La politique d’apaisement de l’Angleterre

Il faut tout d’abord comprendre qu’en Angleterre, une partie de la classe politique anglaise, plutôt conservatrice, considère que l’Allemagne ne représente pas le mal absolu. Ce dernier est incarné par l’URSS et son communisme menaçant l’équilibre social existant (1). Cet anticommunisme entêté n’est cependant pas partagé par tous les conservateurs : c’est ainsi que Winston Churchill, pourtant lui-même fermement anticommuniste, voulait une alliance avec l’URSS contre les nazis (2). Mais Churchill reste une voix isolée dans le parti conservateur anglais dirigé par Neville Chamberlain, premier ministre du Royaume-Uni de 1937 à 1940, qui ne veut rien savoir et qui est indifférent à l’expansion allemande vers l’est (3). De plus, la Grande-Bretagne ne veut pas voir la France dominer l’Europe et voit donc d’un bon œil la renaissance de la force politique, économique, mais aussi militaire de l’Allemagne (4). C’est ainsi que Chamberlain va adopter la politique de l’ «appeasement» (de l’apaisement); le but étant de laisser l’Allemagne s’étendre vers l’est pour éviter de déclencher une guerre entre le Royaume-Uni et l’Allemagne nazie ainsi que son allié italien (5). Cette politique absurde va permettre à l’Allemagne de rétablir la conscription, de se créer une marine de guerre et une aviation puissantes, en plus d’agrandir son territoire, lui permettant d’être bien préparée lors du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.


La France indécise

Tout comme en Angleterre, la droite française est extrêmement anticommuniste et refuse toute idée d’alliance avec l’URSS, aidée en ce sens par le haut-commandement de l’armée française qui minimise les capacités de l’Armée Rouge (6). De plus, la France s’efforce de ne pas se froisser avec son allié britannique qui semble plus enclin à laisser l’Allemagne nazie reprendre du poil de la bête. Par ailleurs, la France ne peut faire une alliance avec l’URSS de manière unilatérale, car elle est déjà engagée militairement auprès de plusieurs pays d’Europe centrale qui sont farouchement russophobes. Effectivement, la Petite Entente est une alliance militaire soutenue par la France entre la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie, la France ayant signé des accords avec chacun de ces pays, ainsi que la Pologne. Tous ces pays sont très hostiles à l’URSS et cela complique un rapprochement français avec l’Union soviétique. De plus, la 3e République française, très affaiblie par de nombreux scandales politiques et plusieurs crises majeures (on pense notamment à la manifestation d’extrême droite de février 1934 qui a dégénéré), semble peu encline à agir seule pour ne pas froisser ses alliés, notamment le Royaume-Uni. Malgré toutes ces difficultés, la France reste tout de même plus disposée à une alliance, car elle est un pays menacé par les ambitions allemandes.


L’URSS : de Litvinov à Molotov

Comme nous l’avons dit, dès l’accession au pouvoir d’Hitler en janvier 1933, Staline affiche une volonté claire de s’allier avec les Français et les Anglais, car l’Allemagne nazie menace la France et l’URSS. Hitler a clairement exprimé ses ambitions territoriales : il veut un espace vital, territoire qui doit s’étendre de l’Alsace-Lorraine à l’Oural (chaîne de montagnes russes marquant la limite entre l’Europe et l’Asie). C’est ainsi que le commissaire soviétique aux Affaires étrangères Maxim Litvinov renouvelle ses efforts pour améliorer les relations de l’URSS avec l’Occident. Bien loin de l’image de froideur de Staline, Litvinov est un excellent diplomate, plein d’humour et de bon sens, ayant vécu à Londres et étant marié à une Anglaise (7). Par ailleurs, ayant lu le livre de Hitler, Mein Kampf, il connait les ambitions de ce dernier et n’hésite pas à les rappeler aux diplomates nazis, ces derniers affirmant que l’Allemagne est pacifiste. Litvinov essaie de promouvoir sa politique de « sécurité collective » (8), basée sur un ensemble d’alliances et dont le but est d’isoler l’Allemagne nazie et de faire front commun en cas d’attaque de Hitler sur l’un des pays adhérents à cette alliance. Litvinov parvient à obtenir des garanties sérieuses de la part de Staline, proposant notamment aux Franco-Britanniques d’engager 100 divisions de l’Armée Rouge en cas de conflit avec l’Allemagne, ce qui est un chiffre énorme, surtout en 1938-1939.


Par ailleurs, Staline accepte, dans un geste de bonne volonté, de cesser la propagande internationaliste appelant à la révolution dans les autres pays. Toutefois, plusieurs problèmes ralentissent les négociations. Tout d’abord, les purges menées par Staline n’aident pas la cause de l’URSS : l’élimination massive et brutale dans des procès simulés de nombreux politiciens et cadres supérieurs de l’Armée Rouge fournissent un prétexte en or pour la droite française et anglaise de ne pas faire confiance aux Soviétiques (9). Par ailleurs, il y a un problème logistique : comment acheminer 100 divisions de l’Armée Rouge aux frontières de l’Allemagne ? Effectivement, il suffit de regarder une carte de l’époque pour se rendre compte qu’il est impossible d’y faire passer les troupes sans passer par la Pologne ou la Roumanie notamment, soit deux pays fermement opposés à un tel passage. Bref, Litvinov ne parvient pas à convaincre les Français et les Anglais de rejoindre cette « alliance de la dernière chance ». Cet échec sera consacré par les accords de Munich de septembre 1938, où la France et l’Angleterre laissent l’Allemagne s’emparer des Sudètes, abandonnant la Tchécoslovaquie à son sort (l’URSS ne sera même pas invitée aux négociations). Litvinov sera limogé le 3 mai 1939 et remplacé par Molotov, bien moins enclin à une alliance avec les Franco-Britanniques. Malgré des négociations trilatérales durant l’été 1939, Chamberlain va tout faire pour les mettre en échec. Lassé par cette mauvaise foi, Staline donnera le feu vert pour le pacte de non-agression germano-soviétique, qui sera signé le 23 août 1939, permettant à Hitler (et Staline) d’attaquer la Pologne, ce qui mènera à la Seconde Guerre mondiale.


Des regrets …

Pour des raisons diverses telles que l’anticommunisme présent en Occident, les purges staliniennes, mais aussi, et surtout, cette méfiance de l’Occident face à la Russie. Cette alliance, qui aurait peut-être pu empêcher la Seconde Guerre mondiale, a échoué, malgré la clairvoyance de certains comme Churchill ou Litvinov. Encore aujourd’hui, cette méfiance, pour des raisons diverses et variées, subsiste face à la Russie.




Image : Les accords de Munich de 1938, de gauche à droite : Chamberlain (premier ministre britannique), Daladier (président du Conseil), Hitler (dictateur de l’Allemagne) et Mussolini (dictateur de l’Italie)

  1. Michael J. Carley, 1939 : L’alliance de la dernière chance. Une réinterprétation des origines de la Seconde Guerre mondiale, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2001, p. 30.

  2. Id., p. 63-64.

  3. Id., p. 67.

  4. Id., p. 57.

  5. Id., p. 60.

  6. Id., p. 61.

  7. Id., p. 33.

  8. Id., p. 34.

  9. Id., p. 48.


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