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Justine Sara

La perspective de Claire Duclos


La chronique perspective vise à mettre en valeur différents étudiants de la Faculté qui se démarquent par leurs intérêts dans des domaines variés. L’objectif est de vous faire découvrir que l’adage populaire « le droit mène à tout » est véridique.







Claire Duclos est étudiante de 2e année et s’est récemment affichée comme étant une personne trans. Elle est très impliquée dans des mouvements pour améliorer la situation des groupes LGBT, mais ses intérêts n’y sont clairement pas limités. En effet, les enjeux des personnes marginalisées et vivant de l’oppression lui tiennent à cœur et elle aime aborder de nouvelles problématiques au sein du droit.


Salut Claire ! Avant toute chose, parle-moi un peu de toi.


Je suis en deuxième année à la Faculté de droit et j’arrive directement du CÉGEP. J’y ai étudié les sciences humaines en profil société environnement. J’avais donc des cours d’histoire, de politique et de sociologie que j’ai beaucoup aimés. Au départ, j’étais attirée par le droit de la famille parce que je voyais plusieurs inégalités par rapport à l’enfant subissant le divorce et des situations de séparation difficile; je voulais améliorer les conditions de ces personnes vulnérables. Par la suite, j’ai été ramenée à mon intérêt pour les sciences humaines et j’ai découvert dans le droit que j’aimais la pensée du droit, sa théorie et son histoire. En résumé, je suis vraiment intéressée par la pensée et le droit théorique, combinés au droit constitutionnel et aux droits de la personne.


Tu es assez impliquée au sein de l’Université. Que fais-tu exactement ?


Je suis la co-présidente de l’Alternative et j’organise des projets pour le Groupe d'action trans de l’Université de Montréal, où je fais du mentorat en donnant du support émotionnel et de l’information. Je suis également dans l’Intersection, un mouvement qui vise à lutter contre les différents types d’oppression, que ce soit des mouvements contre l’homophobie, l’islamophobie, la transphobie, la misogynie ou le racisme.


Un de mes objectifs principaux à l’Intersection est la création d’un espace sécuritaire où des groupes marginalisés ou vivant une situation d’oppression pourraient se retrouver pour organiser des projets, faire de l'aide entre pairs ou simplement discuter. L’UdeM est la seule université qui n’a pas ce type de local. Dans le contexte dans lequel on vit, les personnes marginalisées, à savoir les communautés LGBT ou les personnes racisées, autant en situation d’handicap qu’en situation d’oppression, ont plus de pression que la population majoritaire.


C’est important de s’en rendre compte et, dans une optique d'autonomisation, d’améliorer notre situation par nos propres moyens. En fait, une personne vivant de la transphobie n’a pas nécessairement le goût de discuter de ses enjeux personnels avec des personnes qui ne vivent pas ça. C’est la même chose pour une personne racisée ou minoritaire dans la population. Cet espace sécuritaire leur permettra de mieux s’exprimer et de mieux vivre en lien avec leurs enjeux, en exprimant leurs besoins et leurs difficultés. Ils auront un système de support et pourront s’intégrer plus facilement par la suite dans l'espace public.


Que réponds-tu aux personnes qui prétendent qu’un espace sécuritaire équivaut à une exclusion volontaire ?


Les personnes vivant de l’oppression ont besoin d’un espace pour s’exprimer. Le but n’est pas de s’exclure, de faire du sécessionnisme ou de se séparer. Mais ces personnes ressentent qu’il y a tellement peu d’espace pour elles dans l’espace public qu’elles ressentent le besoin de se rassembler entre elles pour pouvoir s’affirmer. En s’unissant, les enjeux seront mieux définis et expliqués, et leurs messages seront mieux transmis par la suite dans la population. Cela favorisera une meilleure compréhension des enjeux et une plus grande empathie, ce qui permettra aux personnes marginalisées de se sentir davantage impliquées dans la société.


En tant que personne trans, comment as-tu vécu l’oppression?


À ma première session, je me suis tournée vers des groupes externes à la Faculté. Ça m’a permis de m’accepter et d’avoir une bonne connaissance des enjeux qui me touchent, et pas exclusivement des enjeux trans mais également féministes. En novembre, j’ai annoncé à ma section que j’étais une personne trans et que j’allais débuter un processus par rapport à ça. Somme toute, j’ai été très bien acceptée.


Maintenant, je suis en train de remplir mes papiers pour faire mon changement de nom et de mention de sexe auprès du Directeur de l’état civil. Du côté de ma famille, la nouvelle n’a pas été aussi bien accueillie. Encore aujourd’hui, elle ne « peut » pas m'appeler par mon nom. Elle voudrait m’accepter mais elle a de la difficulté à comprendre ce que je vis. Puisque j’habite toujours avec ma famille, mon évolution se fait dans les compromis. Mes démarches sont lentes et je suis moins disposée à prendre le temps pour aller voir des ressources pour l’hormonothérapie, par exemple.


Comment vois-tu le soutien que l’Université et la Faculté offrent?


De prime abord, par rapport au droit, on pourrait penser que le milieu est assez conservateur et moins prompt au changement. Pourtant, j’ai vécu à l’UdeM et au sein de la Faculté une bonne expérience : elle est plus progressive qu’on peut le penser. Bien qu’il faille apporter les nouveaux enjeux et que l’initiative ne viendra pas de son côté, la communauté étudiante est prête à voir de nouvelles notions et est très ouverte aux changements nécessaires.


La Faculté a même appuyé la proposition de l’Intersection pour l’espace sécuritaire. La lettre d’appui de l’AED est un bon atout pour le projet, considérant que c’est une des plus grandes facultés de l’Université.


Trouves-tu que d’être affichée aux yeux de tous comme personne trans t’amène à aider les autres ou es-tu plutôt découragée des étiquettes qui viennent avec ta situation?


Le fait pour moi d’être une personne trans peut aller chercher certaines conceptions limitées chez certaines personnes. Selon certains, je serais trop émotive, proche de mes émotions et ma seule et unique opinion serait la bonne. Je vis plusieurs enjeux liés au féminisme. J’ai réalisé que, malgré les arguments comme quoi les femmes et les hommes sont égaux en droit, les faits montrent une toute autre réalité : le féminisme est important pour défaire les stigmates reliés aux femmes et aux inégalités systémiques.


En étant consciente de ça, j’essaie toujours de me garder proche du droit avec des opinions plus diversifiées que les simples enjeux trans. Je souhaite montrer que je ne suis pas seulement une personne unidimensionnelle. Mes articles publiés au Pigeon Dissident permettent de montrer une certaine profondeur et d’aller au-delà de l’étiquette dont on a parlé.


Bien que ça peut sembler être un couteau à double tranchant, le fait d’être une personne trans et visible me donne l’opportunité de faire avancer certaines idées, et ça fait également en sorte que les personnes qui cherchent de l’information ou qui ont des questions peuvent venir me parler facilement. Je suis relativement accessible au sein de la Faculté et ça me fait toujours plaisir de collaborer.


Finalement, y a-t-il quelque chose que tu aimerais apporter comme changement à l’Université ?


L’Université de Montréal ne permet pas le changement de nom et de sexe dans les documents universitaires tel que sur StudiUM, sur la carte étudiante ou dans le centre étudiant. Malheureusement, ceci amène les personnes trans à être ramenées constamment à leur situation dans le contexte universitaire, malgré l’appui apparent de l’UdeM pour les personnes marginalisées. Il serait important que l’Université montre sa volonté par rapport aux personnes trans en agissant de manière positive pour ces enjeux et qu’elle s’implique au-delà des journées d’appui.


Cet enjeu touche d’autant plus les étudiants migrants ou internationaux qui ne peuvent changer leurs papiers à l’étranger ni au Québec. Ils doivent résider au Québec depuis au moins un an et avoir la citoyenneté canadienne pour changer leurs papiers au Canada, ce qui peut prendre des années. Et en attendant, ces personnes se font rappeler quotidiennement que l’identité à laquelle elles s’identifient ne correspond pas à celle sur papier.


Je me sens mal de toujours revenir au même argument, mais il est nécessaire pour démontrer qu’un changement dans les documents universitaires n’est pas une innovation et est très près de nous : les universités anglophones McGill et Concordia permettent le changement de nom et de sexe. Une personne dans cette situation, consciente des enjeux ainsi que de l’impossibilité d’entreprendre ces changements, pourrait choisir une université anglophone à la place de l’Université de Montréal. Je suis consciente de la volonté de l'Université de se rendre inclusive, mais, en attendant, les personnes concernées continuent de vivre une situation déplorable.


Pour conclure, l’ouverture aux enjeux, à la réalité des autres et l’empathie ne manquent pas à l’Université et à la Faculté, mais ce sont définitivement des qualités qui pourraient être raffermies, et je crois que l’amélioration de nos conditions doit passer à travers les dialogues.

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