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Antoine D. Hendrickx

Fort comme un bull moose


Le Rough Rider de Cuba

Ils éperonnaient leurs chevaux et le sabre à la main s’élançaient à la conquête de la colline de San Juan. Les Rough Riders américains tout droit sortis de leurs fermes du Midwest pour venir se battre sur l’île de Cuba. Ils avaient laissé leurs troupeaux de bêtes pour se bagarrer contre des Espagnols en cette année 1898. Ces volontaires venus de loin chercher la gloire et la baston firent goûter l’acier américain de leurs sabres aux troupes auxiliaires espagnoles. Le plus célèbre d’entre eux, celui qui les menait par sa volonté, sa force et sa verve, fut Theodore Roosevelt Jr, plus communément appelé Teddy Roosevelt. Le régiment de cavalerie des Rough Riders fut renommé le Roosevelt’s Rough Riders, mené par le dur à cuire historien, naturaliste, écrivain, soldat et futur président des États-Unis.


La guerre hispano-américaine de 1898 marqua l’entrée dans l’histoire américaine de Teddy Roosevelt. L’ancien d’Harvard avait établi sa virilité de tête brûlée éduqué et bagarreur. Non, Teddy Roosevelt n’était pas un douchebag contemporain sans cervelle. Il pouvait aussi bien vous terrasser par son éloquence et son érudition que par une luxation rapide de l’épaule. Naturaliste et défenseur des parcs nationaux américains, il fut bien un spécimen unique dans l’histoire et dans la politique américaine. On dit même que son fantôme chevauche toujours l’immensité du Parc de Yellowstone. L’année 2018 marque le 160ème anniversaire de sa naissance, y a-t-il meilleur moment pour parler de Teddy? Absolument aucun.


La politique du gros bâton

Ou la big stick policy comme on l’appelait aux États-Unis. Pas besoin d’être un expert des relations internationales pour comprendre le concept de cette doctrine, son nom est plutôt éloquent. En gros, les États-Unis tiennent un gros bâton et regardent d’un air aguerri les autres pays. Roosevelt disait : ‘ʻ Parlez doucement et tenez un gros bâton, vous irez loin.’’ La politique étrangère américaine d’aujourd’hui découle (mutatis mutandis) presque directement de la doctrine de notre cher Teddy. Remplacez le gros bâton par des missiles Tomahawk et le ‘‘parlez doucement’’ par un discours de la très chère Nikki Haley devant le Conseil de sécurité (ou par un tweet de Donald Trump) et vous avez grosso modo la politique étrangère de nos voisins du Sud (je caricature un peu aussi bien sûr).


Néanmoins, au temps de Roosevelt, les États-Unis ne jouaient pas encore les gros bras aux quatre coins du monde. Bien que Roosevelt voulût faire de son pays une police internationale, la puissance économique et militaire résidait encore, temporairement, en Europe. Non, les prétentions de Teddy Roosevelt étaient panaméricaines. Son gros bâton, il le pointait vers l’Europe en leur faisant comprendre que l’ère de l’intrusion européenne dans les deux continents américains était terminée. L’Amérique latine et du Sud étaient maintenant des protectorats informels des États-Unis d’Amérique. Les intérêts américains en Amérique latine ne datent pas d’hier. Les révolutions bolivariennes et l’indépendance des anciennes colonies espagnoles et portugaises coïncident avec l’établissement des États-Unis en puissance militaro-économique continentale. C’est l’ère de la doctrine Monroe, sur laquelle se fixera la big stick policy, faisant des Amériques (mises à part des colonies européennes subsistantes, dont le Canada) le pré-carré des États-Unis. Woodrow Wilson, le Président américain successeur de Teddy Roosevelt, en exercice lors de la Première Guerre mondiale, avait en horreur la colonisation dite ‘‘européenne’’. Mais visiblement ça ne le dérangeait pas que les États-Unis opèrent une colonisation économique des pays sud-américains durant son mandat. Ah hypocrisie démocrate quand tu nous tiens! Voici donc comment Teddy Roosevelt s’est assis sur son continent américain, son gros bâton à l’épaule et le regard luisant vers la vieille Europe.


Comment tuer un Bull Moose?

Quatre présidents américains furent assassinés au cours de leur mandat, formant un morbide club très select. Jusqu’à maintenant, aucun président ne fut assassiné après son mandat, ç’aurait été du genre de Teddy de former un club à lui tout seul, il y est passé bien près. Ce qui suit est une espèce d’apogée humaine dans la vie de Teddy Roosevelt. Il avait rencontré l’histoire, il va maintenant rentrer dans la légende américaine.


Un beau jour d’octobre à Milwaukee dans le Wisconsin. Teddy Roosevelt se dirige vers son auditoire lors de sa campagne pour les présidentielles de 1912. Roosevelt, qui avait déjà fait deux mandats à la Maison-Blanche, candidat progressiste de son propre parti, se prépare à discourir devant une foule de 10 000 personnes venues l’acclamer. En sortant de l’hôtel, Teddy s’assied dans la voiture qui doit le conduire devant ses partisans. Un tavernier, qui aurait été convaincu par le fantôme de William McKinley (le président prédécesseur de Roosevelt faisant partie de notre club des quatre présidents assassinés) de tuer Roosevelt, tire sur Teddy. John Schrank de son nom complet s’était avancé à quelques mètres seulement de la voiture et eut le temps de tirer une balle avant d’être appréhendé. Visant la poitrine, la balle s’enfonce dans le sein droit de Teddy Roosevelt. Mais par miracle ou par destinée, le discours papier de Roosevelt plié dans sa poche et son étui à lunettes viennent ralentir la balle. Le tir à bout portant de John Schrank, le tavernier qui parle aux fantômes, aurait dû traverser Roosevelt de part en part, mais la balle ne ‘‘fait que se loger’’ dans la poitrine du candidat Roosevelt. Mais qu’est-ce qu’une balle dans la poitrine quand on est un ancien Rough Rider de Cuba, que l’on a été Président des États-Unis d’Amérique pendant huit années, que l’on a été blessé des dizaines de fois par des bêtes sauvages à la chasse et que l’on a chevauché à travers les États-Unis sans relâche? Non, aller se faire soigner à l’hôpital le plus proche n’est pas assez viril pour Teddy Roosevelt. Mais donner un discours devant 10 000 personnes tout en pissant le sang, voilà quelque chose de masculin. Avec un chemise qui vire sur le rouge, Theodore s’élance devant son auditoire avec ces mots célèbres : ‘’ I don't know whether you fully understand that I have just been shot; but it takes more than that to kill a Bull Moose.’’ Il tiendra le rythme sans rien laisser paraître pendant de longues minutes. Roosevelt, le Bull Moose (l’orignal en français) ne mourra pas ce jour-là devant ses partisans.

Le Président de l’épopée américaine

Six années après la mort de Teddy, les États-Unis graveront son visage aux côtés des grands présidents de jadis. Sa moustache côtoie maintenant Washington, Jefferson et Lincoln sur les hauteurs du Mont Rushmore. Celui qui a tant aimé les vastes espaces du Nouveau continent, des chevauchées glorieuses de Cuba jusqu’à l’isthme du canal de Panama, repose maintenant dans les Black Hills du Dakota du Sud (je parle de son effigie de pierre au Mont Rushmore, pas de son cercueil qui repose je-ne-sais où). Le dur à cuire président des États-Unis qui aurait pu creuser à lui seul le canal de Panama est toujours un symbole fort. Celui d’une virilité sauvage et aventureuse. Theodore Roosevelt avait les immenses plaines du Midwest et de l’Ouest américain comme terrain de jeu. Il a marqué au fer rouge le pays et son côté rural indompté. Teddy Roosevelt n’avait ni Maison Blanche, ni tour d’ivoire pour le cloisonner et le retenir. Il avait les Amériques à parcourir et à dompter, comme on dompte un cheval récalcitrant. Le Bull Moose parcourt toujours les plaines américaines, même la mort ne peut rien contre le rough rider de San Juan. Teddy Roosevelt incarna, à sa façon, l’épopée américaine.


Photo (annexée au texte) :

https://www.pinterest.ca/pin/229191068506766326/?lp=true Hulton Archive

Theodore Roosevelt Jr, vingt-sixième président des États-Unis et aventurier de renom.


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