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Gregory Leone

L'époque hellénistique: une période méconnue



À l'automne dernier, plusieurs amateurs de la série Assassin’s Creed, dont moi, ont attendu avec impatience le dernier opus de la série intitulé Origins. Le jeu est formidable parce qu'on se promène littéralement dans l'Égypte des Lagides peu avant la conquête romaine. Certains joueurs se sont surement posé les questions suivantes: pourquoi les bâtiments de la ville d'Alexandrie en Égypte, dont l'image est ci-dessus, ont un aspect grec ? et pourquoi voit-on des Grecs posséder des terres sur les bords du Nil ? La réponse à ces questions se trouve dans cet extrait de la vie de l'empereur romain Auguste: « À la même époque, s'étant fait montrer le sarcophage et le corps d'Alexandre le Grand, que l'on retira de son tombeau, il lui rendit hommage en plaçant sur sa tête une couronne d'or et en le jonchant de fleurs, mais comme on lui demandait s'il désirait visiter également les tombes des Ptolémées, il dit "qu'il avait voulu voir un roi et non des morts". » (1) Alexandre le Grand, voilà la réponse aux questions des joueurs ! En effet, ce personnage historique, roi de Macédoine dans le nord de la Grèce, a changé le cours de l'histoire en faisant la conquête du Proche-Orient au 4e siècle av. J.-C. (2). La période hellénistique s'étend traditionnellement de la mort d'Alexandre le Grand (-323) à la conquête de l'Égypte par Rome (-30). Cet article se veut comme un point de départ pour les personnes désireuses de mieux connaître cette période méconnue, mais cruciale dans l'histoire occidentale.


1. Pourquoi l'utilisation du terme « hellénistique » pour qualifier la période ?

Avant de plonger dans l'histoire événementielle, je vais bifurquer vers l'historiographie, qui peut se définir comme l'écriture de l'histoire. Le qualificatif d' « hellénistique » pour la période vient du 19e siècle et plus précisément de la plume d'un historien allemand nommé Droysen. Ce dernier voulait trouver un qualificatif pour cette période, qui est fort différente de la Grèce classique (3). Le terme « hellénistique » vient d'un verbe grec qui signifie « devenir grec ». Pour Droysen, cette période a opéré une fusion entre la culture grecque et les cultures orientales, fusion qui a permis au christianisme de se développer dans les premiers siècles de notre ère (4). L'historiographie actuelle nuance un peu plus cette affirmation sur la question de la fusion des cultures. Il ne faut pas oublier le contexte dans lequel se situe Droysen; il a écrit son œuvre en plein 19e siècle allemand, soit la période où le débat sur une possible unification des Allemagnes est à son zénith. Les historiens allemands de cette période voyaient dans la Grèce ancienne un miroir de la situation politique du monde germanique. En effet, tout comme la Grèce d'avant Alexandre le Grand, l'Allemagne était divisée politiquement; et ces historiens espéraient qu'il y aurait un Alexandre le Grand allemand pour unifier les Allemagnes.


2. Caractéristiques générales de la période

La période est en soi très riche en événements, en bouleversements et en transformations culturelles, sociales, économiques et scientifiques (5). Je vais ici me contenter d'une synthèse sur les grands aspects de la période.


De la mort d'Alexandre le Grand (-323) jusqu'à environ -272, la période est caractérisée par deux points importants: le partage de l'empire d'Alexandre et la consolidation des États successeurs. En effet, la mort d'Alexandre inaugure une période où, en raison de l'incertitude successorale, ses généraux vont se partager les territoires de l'empire tout en prétendant que l'empire en tant que tel existe encore. Après un certain temps, la fiction du maintien de l'empire tombe assez rapidement et un cycle de guerres incessantes entre les généraux se met en place. Pendant ce temps, dans les territoires contrôlés par ces derniers, des cités grecques sont fondées et d'autres sont consolidées. Pensons à Alexandrie, Antioche, Pergame et Séleucie du Tigre. Les monuments qui deviendront emblématiques d'Alexandrie, soit le phare et la Bibliothèque, sont construits. Un flux migratoire en provenance de Grèce se déverse dans les territoires conquis. De ce fait, des rapports divers vont s'établir entre Grecs et non-Grecs. Même s'il y aura parfois des rapprochements entre ces deux groupes, les Grecs vont jouir de différents privilèges juridiques et économiques comparativement aux non-Grecs. Vers -272, trois grands ensembles se dessinent et ils vont devenir les acteurs de la suite des événements: L'Égypte des Lagides ou Ptolémées, le Proche-Orient et l'Anatolie des Séleucides, et la Grèce des Antigonides. La Grèce des cités laisse donc la place à la Grèce des royaumes, le tout dans un contexte où il y a une extension du monde connu.


De -272 à -188, les grands royaumes hellénistiques sont solidement établis et, périodiquement, des guerres vont éclater entre ces derniers. De plus, une toile complexe de relations diplomatiques va se tisser entre ses royaumes. En Anatolie, en Égypte et au Proche-Orient, les cités grecques fondées se développent et deviennent le cadre privilégié de la vie en société. Chacune de ces cités aura un gymnase, un théâtre, des institutions calquées sur les vieilles cités de Grèce et une agora. Les cités vont rivaliser entre elles pour se parer des plus beaux monuments et avoir les faveurs du souverain. Les souverains hellénistiques vont même devenir les arbitres des rapports entre les cités. La divinisation des souverains est un autre trait marquant de la période. Un extraordinaire développement scientifique va aussi se produire: Ératosthène a calculé avec une précision déconcertante la circonférence de la terre, Aristarque pose les balbutiements de la théorie de l'héliocentrisme, et Archimède développe des avancées en mathématiques et en physique. À partir des années -220, un nouveau joueur dans le monde hellénistique fera son apparition : il s'agit de Rome. Vers la fin du 3e siècle av. J.-C., Rome sera entraînée dans le jeu diplomatique de l'Orient méditerranéen pour y devenir l'arbitre suprême suite à une série de victoires militaires. La paix d'Apamée de -188 consacre ce statut.


Après la paix d'Apamée, et ce, jusqu'à la conquête de l'Égypte par Rome, le monde hellénistique connaît un certain déclin politique, malgré quelques soubresauts. Rome s'est imposée comme l'arbitre suprême des rapports entre les acteurs du monde hellénistique. Désormais, le destin de l'Orient méditerranéen est intimement lié à ce qui passe dans la ville de Rome. Le statut d'arbitre de Rome va progressivement changer pour devenir celui de maître du monde hellénistique. Ainsi, la domination indirecte de Rome fera place à une domination directe par la création de provinces. En -30, le sort du monde hellénistique est scellé par la fin du royaume lagide en Égypte.

3. Postérité


Même si le monde hellénistique n'a plus d'existence politique propre après -30, il n'en demeure pas moins que les cités grecques demeurent et que la culture grecque s'est répandue dans l'Orient méditerranéen. Sous l'Empire romain, la partie orientale de l'Empire va demeurer ce qu'elle a été à l'époque hellénistique : un monde de cités relativement autonomes placées sous la tutelle d'une puissance supérieure. La culture grecque a continué et même accéléré sa diffusion dans l'Orient méditerranéen. Alexandrie devient une des villes les plus importantes de l'Empire romain et nombre de voyageurs vont aller porter leurs respects au tombeau d'Alexandre le Grand situé dans cette même ville. La culture grecque a aussi profondément influencé le christianisme naissant. En effet, la plupart des mots associés au christianisme comme « évangile », « apôtres », « eucharistie » et « épiphanie » sont d'origine grecque. Le terme « Christ » vient du grec Christos qui est la traduction du terme araméen meshiah, c'est-à-dire le messie. Les évangiles ont de plus été écrits en grec. Sous l'Empire romain, le courant philosophique du stoïcisme, né durant l'époque hellénistique, va connaître une grande expansion. Rome va récupérer la tradition de divinisation des souverains en faisant la même chose pour certains de ses empereurs. On peut même dire que Rome a étendu le modèle du monde hellénistique à la partie occidentale de l'Empire par la création de nombreuses cités qui deviendront, elles aussi, le cadre privilégié de la vie en société. En 395, avec la séparation de l'Empire romain en deux, on peut affirmer que le monde hellénistique a eu sa revanche, en ce sens que, politiquement, la partie grecque de l'Empire va suivre son chemin indépendamment de ce qui va se passer dans la partie occidentale. Éventuellement, la partie orientale deviendra l'Empire byzantin.


Références

Image: http://assassinscreed.wikia.com/wiki/Alexandria?file=ACO_Alexandria.png

(1) Suétone, Vie des Douze César, Auguste, XVIII.

(2) Pour un exposé de la marche d'Alexandre le Grand à travers l'Empire perse, voir: Ian Worthington, By the Spear: Philip II, Alexander the Great, and the Rise and Fall of the Macedonian Empire, New York/Oxford, Oxford University Press, 2014.

(3) La Grèce classique s'étend sur les 5e et 4e siècles av. J-C.

(4) Andrew Erskine, «Approching the Hellenistic World», dans Andrew Erskine, dir., A companion to the Hellenistic World, Malden, Blackwell, 2005, p. 2.

(5) Pour un panorama succinct de la période, voir l'ouvrage suivant: Laurianne Martinez-Sève, Atlas du monde hellénistique: Pouvoirs et territoires après Alexandre le Grand, Paris, Éditions Autrement, 2014. Pour le volet politique, voir: Édouard Will, Histoire politique du monde hellénistique, Paris, Éditions du Seuil, 2003.



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