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Jad Elmahboubi

Les chroniques d'un séide. 1ère partie: L'éternel retour du combat


L’écriture de ce texte ne se fait pas sans hésitation. Le grand romancier Fiodor Dostoïevski affirmait avoir toute sa vie été torturé par la question de l’existence de Dieu ; l’interrogation de ma vie est celle de l’existence du mal. Dernièrement, un aspect spécifique s’est permis de monopoliser mes pensées : le mal réalisé au nom du plus grand bien. Il m’est impossible de ne pas rougir à l’écriture de cette courte chronique, tant elle est candide et le produit de l’intellectualisme le plus indigne, le plus théorique et le plus éloigné du réel. J’ai honte, mais pas assez honte pour ne pas l’écrire ; que le lecteur voit dans ce texte ce qu’il est, à savoir une vision théorique du mal sans grande connaissance concrète de ce dernier. Le protagoniste de mon récit est le parangon de l’antihéros, mais il n’est pas dénué de qualités et d’une grande compassion. Je crains que celles-ci échappent au lecteur et je me permets – il me pardonnera – de le mettre en garde contre une lecture manichéenne de ce texte. Cette introduction se fait trop longue. Découvrez sans plus attendre comment un homme un brin narcissique aux tendances despotiques s’apprête à sacrifier son humanité pour sauver l’humanité.


1ère partie : L’éternel retour du combat


Alles Leben ist Kampf. Toute vie est combat. Cette citation résonne en moi inlassablement. De l’être le plus insignifiant au plus accompli, tous écrasent ou sont écrasés. À quel camp appartiendrai-je ?


Chaque jour, l’homme se rend coupable de meurtres. À l’exception des Jaïns, nous n’avons pour la plupart que peu de considération pour les insectes que nous écrasons en marchant. Pire encore, nous ne leur faisons pas même la grâce d’une pensée. Pour alléger notre conscience, nous nous persuadons que leur existence n’a que peu d’importance, que nous sommes les seuls êtres véritablement dotés d’intelligence, de sentiments et de sensations complexes. Outre que peu d’éléments permettent de parvenir indubitablement à cette conclusion, sa véracité n’aurait que peu d’importance. En effet, je suis certain qu’élever les insectes au rang de créatures douées d’une grande intelligence et d’une sensibilité remarquable ne suffirait pas à empêcher qui que ce soit de marcher et de les écraser. Un tel acte ne serait pas motivé par la méchanceté, mais par la commodité. Qui peut sérieusement envisager fixer le sol à ses moindres pas pour s’assurer qu’aucun insecte ne périra sous ses pieds ? Si de braves âmes acceptaient de se prêter au jeu, je suspecte qu’une journée de cet exercice aurait raison des plus patients et des plus sensibles d’entre nous.


Contrairement à la croyance populaire, que les êtres humains soient nos semblables n’est pas un fait propre à décourager quiconque de leur faire du mal. Je suis persuadé que nous ne nous attaquons pas à notre espèce non pas en raison de notre ressemblance, mais en dépit de celle-ci. La majorité des êtres ne s’aiment pas, pourquoi aimeraient-ils un semblable ? Nous ne nous attaquons pas à nos semblables par crainte de leur capacité de représailles, crainte qui n’a pas lieu d’être à l’égard des insectes que nous piétinons. Cette crainte est à la base de la société civile, du contrat social.


Thomas Hobbes affiche sa haute intelligence en voyant dans les institutions les seuls organismes aptes à réguler la violence immanente à l’homme. Ce dernier possède une propension naturelle à la domination, mais celle-ci s’accompagne invariablement de la crainte de tout perdre. Même les plus forts ne peuvent supporter une vie de lutte ; leur seule vieillesse suffirait à leur promettre à plus ou moins brève échéance une fin douloureuse aux mains de nouveaux adversaires dans la force de l’âge. Non, il est probable que même dans une hypothèse d’éternelle jeunesse, aucun être ne souhaiterait vivre avec la crainte permanente d’être annihilé. Tel est le but du contrat social : permettre à ceux au sommet de renoncer à une fraction de leur domination totale en contrepartie de la quasi-garantie de vivre assez longtemps pour exercer leur domination restante. Néanmoins, dans ce processus de contrat social, certains furent lésés : les sanguinaires. Il est de ces êtres qui, pour des raisons complexes, difficilement identifiables et au final inintéressantes, ne vivent que pour le combat, la domination, le sang. C’est ainsi. Certains idolâtrent le veau d’or, d’autres le vautour. Ces êtres n’ont jamais souhaité la fin des hostilités ; ils se battent sans but, par seul désir et au mépris de toute logique, obéissant à l’instinct primal qu’ils n’ont pas su transcender.


Je me félicite de ne pas être de ces barbares, bien que je ne sois pas en droit de leur reprocher leur comportement; on ne reproche pas à une hyène d’agir en hyène. Mes actions, si je les réalise, seront mues par un idéal de grandeur, de beauté, de bonté : le plus grand bien. Peu comprennent le fanatisme, le dévouement total et inconditionnel. Je fais cela pour la cause, mon rêve, mon idéal. L’idéal ne déçoit jamais, car il est inatteignable. Quand on a aimé une idée, comment peut-on se réduire à aimer les êtres ? Le deuxième principe loi de la thermodynamique est formel : toute modification est irréversible, le système subissant un changement ne peut jamais retrouver son état antérieur. Certains ne verront dans mon ambition qu’un énième rêve de grandeur ; j’ai de mon rêve une idée plus flatteuse. Je reviendrai plus longuement sur mon objectif ; pour l’instant, il vous suffira de savoir qu’il demeurera inatteignable tant que les océans ne seront pas teintés de sang.


Dans une société paisible, les éléments les plus violents sont supprimés au plus tôt, car ils menacent la paix collective. À l’inverse, dans une société en proie au conflit, les pacifistes sont lynchés sans autre forme de procès car la survie du groupe est mise en péril par leur tentative de réduire les élans combatifs indispensables à l’instinct de conservation. L’Histoire n’est qu’une modification des rapports de force entre ces deux tendances ; il ne me reste qu’à attendre mon heure.


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Une règle intemporelle est inscrite dans le cœur de l’Homme : celui qui veut obtenir ce qu’il désire le plus doit renoncer à tous ses autres désirs. Je ne peux l’accepter ; je veux tout ce que je peux vouloir. Je n’ai rien de commun avec mes adversaires ; je veux gagner, ils veulent seulement ne pas perdre. Je ne plierai pas, je ne négocierai pas. Ma seule devise : celui au sommet est celui qui soumet.

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La réalisation de mon but exigera inévitablement des offrandes, des dommages collatéraux ; qu’il en soit ainsi. Avancer est impossible pour celui qui répugne à écraser quelques insectes ; ils ne sont que des marches sur l’échelle du pouvoir. Ils ne sont que des pions, mais je dois les écraser pour atteindre le roi. Je n’éprouve aucune haine à l’égard de ceux que j’écrase ; je n’ai aucun reproche à leur adresser que je ne me ferais pas à moi-même. Ils sont simplement sur mon chemin.


Notes de bas de page

[1] Foi et athéisme dans « Les Démons » de Dostoïevski et « Le Sang Noir » de Louis Guilloux, mémoire de maîtrise de Sombreval réalisé à la Sorbonne.

Photo: Berserk Volume 1, chef-d’œuvre de Kentaro Miura. https://cauthan.wordpress.com/2016/08/26/character-analysis-guts-berserk-spoilers/


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