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Nicolas Thiffault-Chouinard

Les barrières de la prétention

Un texte, comme tous les autres, écrit dans l’urgence. Un texte qui doit dénoncer quelque chose; proposer quelque chose. Un texte en réaction à la stérilité et le vide des gens qui veulent paraître, avant d’être.


Au volant d’une petite voiture rouge, j’ai récemment traversé les Laurentides pour me rendre à un chalet avec des amis. Sur l’autoroute 15, une tempête s’est abattue avec violence sur mon bolide. La pluie était bien plus abondante que ce que mes essuie-glaces pouvaient balayer. Saisissant mon volant bien fort dans le creux de mes mains, j’ai tenu le cap et j’ai finalement atteint ma destination.


Arrivé devant l’immeuble rustique, juché sur un saillant s’ouvrant sur un lac d’ordinaire paisible - mais alors tourmenté par l’orage - je suis sorti de ma voiture, en bras de chemise, la cravate dénouée avec, à la main, un parapluie et un sac de voyage. En entrant finalement à l’intérieur, j’ai salué mes comparses de toujours - ces vieux amis d’enfance - avant de monter à l’étage me changer. Au moment de redescendre pour prendre place autour de la table de la cuisine, où le repas était déjà commencé, j’ai enlevé ma cravate et l’ai mise dans mon sac de voyage.


En bas, déjà, l’atmosphère était à la fête. On riait de bon coeur et quelques-uns observaient avec attention une carte géographique, planifiant la randonnée du lendemain. En face de moi, l’amie d’une amie. Une inconnue qui, reconnaissant la chemise et les pantalons d’habit, débuta la conversation avec une question toute simple: « Bonjour, moi c’est Amélie; que fais-tu de bon dans la vie? »


Rafraîchi par sa question, je suis vite revenu à moi et nous avons discuté un moment de ce que je faisais du plus clair de mon temps, au travail, de mon parcours académique, de nos passe-temps. En peu de mots, la journée de travail éreintante et la course folle sur l’autoroute 15 étaient oubliées.


À propos du travail - le mien et le sien étant similaire et demandant - Amélie avait une vision très intéressante qui mériterait de faire son chemin davantage entre les murs de cette faculté: « les gens les plus compétents sont souvent les personnes les plus simples d’approche. » Sa vision des choses est entrée en moi comme une clef, ouvrant mes yeux sur plusieurs situations de la vie.


Simplicité est avant tout respect, car les choses dites simplement sont bien plus vraies que les choses enrobées dans une forme ampoulée. Les mots succincts d’une personne directe ne valent-ils pas bien davantage que les phrases interminables d’une personne s’effaçant dans les moult révérences d’une politesse feinte? Encore une fois, le paraître semble avoir gagné cette bataille, mais l’être n’a pas dit son dernier mot.


Pourquoi le pragmatisme doit-il triompher? Parce que les silos cloisonnés, les chasses gardées, bref toutes ces divisions et subdivisions administratives et départementales agissent comme des murailles de Chine entre lesquelles les idées et l’énergie des gens - la joie, au premier chef - ne circulent pas. Toutes les formules de politesse convenues mettent entre les gens une distance infranchissable qui réduit à néant toutes possibilités de communication et ne peut résulter qu’en de stériles réflexions où les idées naissent peut-être, mais ne prennent jamais forme.


Ceux qui m’accusent de leur manquer de respect en adoptant la ligne droite oublient que les détours sont autant de manières de refuser la vérité à une personne. Parler vrai, dire franc et - surtout - ne rien cacher de la vérité. Voilà ce qui devrait triompher, une pragmatique vérité, dite sans côtés sombres, sans artifice.


Faut-il pour autant être méchant et dire à tout le monde les quatre vérités qui nous brûlent toujours les lèvres à leur propos ? Non, bien sûr. Le respect est un art de précision et de retenue. Il vaut mieux parfois se taire, mais à charge alors de vraiment se taire - et non pas de pratiquer l’art du ouï-dire.


Bref, la pluie emporte tout. Elle tombe du ciel, s'abat sur votre pare-brise et coule en emportant la poussière. Elle emporte les mensonges et libère la parole. Vivement la pluie. Puisse-t-elle noyer tous les menteurs et les hypocrites. Les prétentieux ne peuvent y résister, leur masque de plâtre, sous la pluie, tombe. La pluie fait tomber les barrières, permet d'exister.



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