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Carolina Arjona

Le néant cognitif


Je sais que vous voyez de quoi je parle. Je parle de nous tous, l’animal social. Mais si je vous disais que je ne comprends plus, tout d’un coup ? Je ne comprends plus ces notions bien prouvées, établies et acceptées de la psychologie sociale. Je ne suis plus capable d’assimiler ces vérités.


Au CÉGEP, j’ai appris sur les circonstances déclenchant l’état sauvage ou socialement répréhensible de l’humain. Je comprenais que la monstruosité pouvait être le résultat d’une chaîne de variables externes poussant l’individu à agir comme on ne le doit. Ces immortelles expériences sociales de Zimbardo, avec les jeux de rôles octroyant le pouvoir et l’autorité à un.e participant.e pour ensuite mesurer la souffrance que la personne désindividualisée sera capable d’infliger à quelqu'un, ou bien cette illustration du nazi comme étant une personne normale soumise à des circonstances hors de la normale, je les comprends! J’avais toujours bien accepté cette compréhension du fonctionnement d’un cerveau penseur et rationnel, mais malencontreusement un peu beaucoup trop vulnérable à l’environnement, surtout social. Je sais que vous voyez de quoi je parle. Je parle de nous tous, l’animal social. Mais si je vous disais que je ne comprends plus, tout d’un coup ? Je ne comprends plus ces notions bien prouvées, établies et acceptées de la psychologie sociale. Je ne suis plus capable d’assimiler ces vérités.


J’ai participé à un voyage au Rwanda, cet été. Il y a 25 ans, un génocide effaçant une portion assez importante de la population, dont la grande majorité de la population Tutsi du pays. Je crois que nous connaissons tous l’histoire, mais les grandes lignes de celle-ci sont le colonialisme, la discrimination, le racisme, la propagande, la politique, et puis BAM! le génocide. Le génocide, oui, comme une guerre, mais avec une intention de « nettoyage ethnique » et des machettes. Je ne veux pas rendre ça graphique, même si les mots adouciraient la chose, mais je pense que vous pouvez vous imaginer les horreurs.


Dès le premier mémorial, à Kigali, où 250,000 corps reposent dans des cercueils, mais tous mélangés car les mutilations (ce mot est un euphémisme) rendaient quasiment impossible la tâche de ramassage et reconstruction des corps (désolée, c’est graphique), j’ai compris que tout ce que j’avais si consciencieusement étudié à l’école, je ne le comprenais plus.


J’avais fait mon DEC en histoire et philosophie, je comprenais que les atrocités ne sont pas de la dernière pluie. Je comprenais beaucoup de choses, avant ce voyage. Mes opinions et connaissances étaient bien ancrées, avec cette confiance en soi de l’adolescent archétypal qui croit tout savoir.


En bref, je vous avoue que je ne comprenais plus rien. Je me rends compte que durant les apprentissages, à l’école, notre cerveau et notre cœur sont dissociés. Je ne veux pas sonner trop romantique en chantant des cœurs sentiments, mais quand j’entendais parler un survivant ou un héros du génocide, quand je visitais la section « Enfants » dans les mémoriaux et lisais sur leurs derniers mots, quand j’entrais dans les églises qui avaient accueilli les Tutsis avant de les donner aux forces Hutus (ou Françaises, qui les donnaient ensuite aux Hutus) et que je voyais les armes et les bâtons de bois utilisés comme armes sexuelles sur les filles et les femmes, je ne savais plus rien.


À ces moments, je ne comprenais qu’avec le cœur, et la seule chose que je comprenais, c’était la douleur.


Je ne savais plus que dire ni comment agir avec les Rwandais qui nous accompagnaient et se faisaient, de bonne foi, le devoir de nous accueillir dans leur passé peu visité par les Occidentaux. J’étudie en droit, j’ai fait des études intéressantes, j’ai voyagé, j’ai grandi dans un autre pays, enfin, normalement j’ai des petits trucs à partager, des mots à dire, un peu comme tout le monde. Mais là, je dis quoi ? Je m’excuse pour tout ce mal, je m’excuse pour le silence et l’inaction de la communauté internationale (c’est nous tous, ça), je m’excuse pour vos pertes, mes condoléances ? Quelle petitesse : face à autant de tourmente émotionnelle et je n’ai rien à dire sauf verser des larmes ? Toutes ces études pour leur dire quoi à eux, eux qui ont vu leur famille souffrir ou qui ont été obligés d’infliger de la douleur à leur famille ?


Je sais qu’on est tous permanemment stressé.e.s avec nos carrières, qu’on ne recherche que des opportunités pratiques et professionnelles à mettre sur notre CV. Par contre, une chose que j’ai appris dans ce voyage, c’est que notre compréhension sur ce qui se passe autour de nous n’est jamais limitée aux mots qu’on lit dans les livres ou aux images qu’on voit dans les films.


Comment envisager une compréhension humaine holistique de ces problèmes que l’on cherchera un jour à régler, si l’on n’a jamais pris la peine d’user de notre intelligence émotionnelle et nous souvenir qu’avant même de penser, nous ressentons.


Le Rwanda, avec ses couleurs et ses histoires, n’a pas détruit ce que je croyais savoir. Plutôt, ce pays et ses gens m’ont montré que la rationalisation d’un événement n’empêche pas l’admission de ses sentiments ou émotions dans la compréhension. La dissociation entre ces derniers et la cognition est bien entendu idéale la plupart du temps, académiquement et professionnellement parlant, mais la reconnaissance des émotions comme une intelligence est plus que pertinente dans la considération de toute situation humaine.


Si ce n'est pas le cas, je ne m’expliquerai jamais comment la population rwandaise se reconstruit non seulement au niveau économique et politique, mais aussi au niveau social où les deux mêmes groupes qui se massacraient se côtoient à tous les jours.


Je suis disponible pour toute question, je vous encourage à ressentir cette curiosité et à l’écouter!!



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