top of page
Alyssia Marchetta

#ambitionssaines

J’hésitais. J’hésitais car j’écris comme je parle, de manière volubile et parfois théâtrale, avec une bonne couche épaisse de joual, un peu comme me viennent mes pensées… j’écris tout haut, bref. J’hésitais car écrire, c’est pour moi un exercice de vulnérabilité, moi qui m’appuie tant sur les murs derrière lesquels je me cache. Mais surtout, (on va mettre l’accent sur la phrase suivante si vous me le permettez), j’hésitais à soumettre cet article car j’avais peur de dénoncer l’envers toxique d’une relation qui s’avère encore aujourd’hui un point pivot de me vie… eh oui, mon histoire d’amour avec la Faculté.


Pour reprendre un de mes auteurs favoris, notre Faculté de droit, c’est le dépotoir de l’human… — bon, ça va la comique. Je me dois, par contre, avant de me mettre à déblatérer toutes les atrocités déchirantes que j’ai à prononcer sur ma Faculté chérie, remercier la belle petite âme qui a lu la version embryonnaire de ce texte, que j’ai publié sur mes réseaux sociaux. C’est grâce à son généreux support que je me suis dit « bon, arrêtes donc de te faire des excuses et chiale publiquement, veux-tu ». Alors ok, c’est le temps, je le crie là, bien fièrement, tout de suite, sans hésitation, pas gênée du tout, c’est maintenant ou jamais: on a tu fini de se prendre pour des king pins? (Pour les moins habiles en québécois, je répète: pouvons-nous cesser d’alimenter la compétition qui règne perpétuellement dans nos échanges quotidiens entre futurs juristes?).


Il pleut des conversations sur la santé mentale dans le pays des millenials, à un point tel que même les boomers commencent à prendre notre cause au sérieux (et avouons-le, c’est quand même un exploit). Pourtant, j’hésitais à parler publiquement du poids lourd qui s’est tranquillement logée sur mon moral depuis mon entrée à la Fac. Pourquoi? Référons-nous à ma thèse pour trouver notre réponse… et si vous aviez bien passé vos cours de français au cégep, vous avez probablement déjà identifié que ce texte traite de notre foutue habitude de constamment vouloir être meilleur que tout le monde.


Étudier dans une faculté de droit, ça implique d’être entouré d'un beau melting pot de privilèges, d'alcool, de défis intellectuels, de stress... mais tout ça, voilé par un esprit de compétition. En une seule conversation, il n'est pas rare d'entendre une même personne se démener à convaincre les autres qu'elle a la plus haute moyenne, le plus beau stage, le plus gros hangover, les journées d'étude les plus productives malgré son manque de sommeil plus accru que l'autre d'à côté, le plus gros trouble d'anxiété, la plus grosse pile de responsabilités. Oh, mais son interlocuteur est encore plus fatigué, travaille encore plus d'heures dans un encore plus gros cabinet... -- Tout le monde est le meilleur et tout le monde sait tout, bref. Nous évoluons dans un environnement honorant un surpassement maladif de soi, où l’on se bat constamment pour être au top des classements les plus insignifiants, où être la personne la plus épuisée de son cocktail de brosses, d'études et de travail est digne d'être couronnée. Apprendre à dire « non, je n’ai pas eu une bonne note et c’est pas grave », ou encore « je suis trop fatiguée pour aller au carnaval, je n’irai pas », c’est en soi une sorte de rébellion, un acte rempli d'affront dans cette culture affirmative du I-know-everything-ship.


Ne me prenez pas pour une hypocrite, parler de mon niveau de surmenage est une activité qui plane sur le dessus de ma liste d’accomplissements sur LinkedIn. En fait, plus maintenant, je supprime cette case-là. Je décide plutôt de vous annoncer que branler mon épuisement dans la face de mes collègues, je ne le ferai plus, car ça fait pas mal vieux jeu (#2018). Ce n’est pas une fierté que d’avoir oublié de prendre soin de moi pendant la première moitié de mon baccalauréat, et je ne veux plus encourager personne de mon entourage à le faire.


C’est fini, les photos de mes recueils de jurisprudence sur ma story Instagram à 2 heure du matin avec comme hashtag #Ihatemylife; je vais aller dormir et #startlovingmylife. Fini, me forcer à aller au cinquième 4@7 de la semaine comme si ma vie sociale allait réellement souffrir de cette absence-là. C’est assez, les conversations qui ne finissent plus sur les 1001 défauts de la course aux stages; on en a déjà assez parlé, vous ne trouvez pas? Fini, me saouler au Jagër Bomb, car l’alcool est exécrable pour la santé… Ok la dernière c’était une blague, il faut vivre un peu.


Comme m’a si sagement fait remarquer une amie, « on s’immerge tellement facilement dans le monde de la Faculté qu’on perd l’essentiel de vue ». Célébrons le sentiment d’appartenance que créent nos sections. Apprécions les amitiés fortes que les obstacles dans notre parcours ont renforcées. Reconnaissons l’avenir que nous permet de tisser notre parcours en droit, acceptons de reconnaitre le privilège intellectuel dont nous bénéficions quotidiennement. Mais n’oublions surtout pas de prendre un moment de temps à autre afin de se donner de petites vacances mentales. Tsé, celles qui nous permettent de nous rappeler nos réelles ambitions, celles qu’on a mises à part, celles de prouver à notre voisin qu’on a des habitudes de vie encore moins saines que les siennes?


100 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page