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Noémi Brind’Amour-Knackstedt

Les amours solitaires du millénaire


« Sex? » demande très galamment un certain quidam lors d’un mardi banal à 22h57. Il est certain que cela fait différent des « DTF ? » ou bien des « heyyyyyyyyyyyyy » que l’on reçoit à l’aurore. Parfois, ce sont des réponses élaborées qui font écho à une invitation mystérieuse, celle qui incite à la romance d’un soir.


L’amour à l’ère du numérique, dit-on amèrement avec des yeux aussi gros que des boules de quilles ou que des grains de riz si vous avez les yeux bridés. Sur cette lancée, vos ancêtres si nostalgiques se remémorent les sorties au drive-in de Saint-Eustache, des danses endiablées aux Foufs. La minute suivante, ils se moquent de la profonde solitude dans laquelle vivent les Milléniaux, génération ancrée dans la connexion instantanée. En parallèle, le proverbe « Un.e de perdu.e., dix de retrouvé.e.s. », celui-là même qu’on vous lance inévitablement durant les vacances, semble devenir une réalité palpable du bout des doigts. En ce millénaire où la population mondiale ne cesse de croître, les relations interpersonnelles ne cessent toujours pas de se faire dévorer par les coutumes sociales.


L’amour au temps de la course aux stages


À l’époque de La petite vie, Monsieur et Mademoiselle - car certains squelettes devaient apparemment rester malheureusement enfouis dans le placard - ne connaissaient guère de dating game aussi impitoyable que celui du XXIe siècle. Nul n’est étranger à ces véritables Hunger Games où seuls les plus rusé.e.s et les plus endurci.e.s parviennent à s’en sortir sans séquelles. En fait, certains illuminés oseraient décrire cette sélection naturelle et sauvage de véritable course aux stages…


Nous baignons dans un océan rempli de prétendants. Il y en a pour tous les goûts. Certains sont séduits par ceux qui s’avèrent être les plus engagés envers leur communauté. D’autres visent l’ascension vers le sommet de l’Empire State Building comme Rastignac dans Le Père Goriot. Vingt-six font partie de ce que quelques initiés appellent l’élite. Dans la hiérarchie, vous êtes tous des courtisans et des courtisanes. Et plusieurs d’entre vous sont en quête des faveurs des Chuck Bass, Blair Waldorf, Seth Cohen, Marissa Cooper de la société mondaine. Dents blanches, costumes bleu royal, tailleur noir et perles Swarovski, ils daignent vous accorder de leur précieux temps. Ils vous donnent un glorieux aperçu de leur train de vie luxueux à petites doses, de quoi vous rendre accro. Attention, il ne faut surtout pas apparaître trop désespéré.e. N’oubliez pas que vous n’êtes toujours pas exclusifs. Tout le monde papillonne de droite à gauche, sans jamais se noyer dans les extrêmes. Évidemment, leur profil ne contient aucune biographie détaillée puisque leur nom parle de lui-même. Le flirt s’entretient un sourire et une carte d’affaires à la fois. Après les rendez-vous formels (i.e. les entrevues), certain.e.s veinard.e.s. accèderont à l’étape cruciale, soit l’officialisation du couple, tandis que d’autres peinard.e.s. se feront ghoster. Dans ce milieu, il faut avoir des nerfs d’acier et ne surtout pas se laisser abattre. Oui, il se peut que vous ayez ressenti une certaine tension, mais visiblement, selon eux, il valait probablement mieux rester amis. Dommage.


Sculpter le curriculum vitae de votre partenaire


Toute personne est coupable de multiplier les expériences pour enrichir son esprit, ses souvenirs. En amour comme en droit, tant les étudiant.e.s que les cabinets se raffinent et deviennent plus sélectifs. Tous sont affamés. Pour dessert, tous désirent la crème de la crème. Des milliers d’individus, des millions de critères. Cependant, être en quête constante de l’idéal finit par être épuisant.


Avoir des standards, c’est bien. Il s’agit d’un excellent moyen pour s’assurer de ne jamais se contenter d’avoir moins que ce que nous méritons. Certaines personnes s’imposent des normes très rigides. Lorsqu’elles développent des fantaisies amoureuses, il apparaît évident qu’elles tombent tranquillement en amour avec une création de leur imagination.


Ce phénomène ne date pas d’hier. Il remonte à la mythologie grecque, plus précisément l’histoire légendaire de Pygmalion et de Galatée racontée par Ovide dans ses Métamorphoses. D’après le mythe (aussi disponible sur Wikipédia), Pygmalion, un sculpteur de l’île de Chypre, fait un vœu de célibat après avoir constaté quotidiennement la conduite scandaleuse des Propétides, dites les femmes de Chypre. Un jour, il façonne à l’image de son idéal féminin Galatée, une statue d’ivoire. Par un acte divin, cette dernière prend vie. Néanmoins, Galatée ne parle pas, elle n’est pas. Le sculpteur misogyne tombe amoureux de sa création, révélant un narcissisme. Il n’est pas en amour avec une femme, seulement avec une image.


Et si, à la différence de Pygmalion, nous nous imposions des standards trop élevés parce que nous craignons de ne pas être à la hauteur nous-mêmes ? Il sera toujours plus facile de dissimuler nos insécurités derrière les idées de grandeur. Les applications de rencontre comme Tinder et Bumble semblent faciliter le tri sur le volet. Apparence, humour, qualité de l’orthographe, originalité, voire même le signe astrologique (Bumble !). Ainsi, nous nous vautrons dans le confort et nous conservons nos doutes.


Sortir dans la jungle au parfum alcoolisé est rendu périlleux pour notre estime. L’aventure d’une nuit avec l’inconnu l’est moins puisque nous savons que nous avons été en quelque sorte « choisi.e.s » dans une certaine mesure. Il faut aussi négliger votre conscience paranoïaque qui vous chuchote que la personne devant vous est la réincarnation de Ted Bundy (ne visionnez pas le documentaire sur Netflix seul.e dans votre 3 et ½). Aussitôt qu’un match s’opère, un contrat de nature délicate est conclu. Puis, une fois les prestations exécutées, il existe une obligation implicite selon laquelle il faut payer l’Uber de la personne qui s’est déplacée.


Sur le chemin du retour, la distinction entre le désir physique et le désir absolu devient claire comme de l’eau de roche. Le désir physique se subordonne au désir absolu, voire le complète. En revanche, être désiré.e et être aimé.e sont des sensations clairement différentes. En général, l’être humain cherche impatiemment la combinaison des deux qu’on appelle abondamment « amour ». Le problème, c’est qu’apparemment, il ne faut justement pas lui courir après pour le trouver. Même l’Amour avec un grand A apprécie les jeux de chasse. Au courant de ces divertissements, on y perd une parcelle de soi, comme sa virginité.


Vierge sur Tinder


Pendant des siècles, plusieurs institutions, qu’elles soient religieuses, médiatiques, cinématographiques ou littéraires, ont martelé l’importance de l’hymen intact. Celles qui découchaient avant le mariage étaient considérées comme des prostituées ou pire, des femmes libertines.


Encore aujourd’hui, notre vision de la sexualité est phallocentrique. Selon la mentalité majoritaire, une véritable relation sexuelle se limite à la pénétration vaginale. Les cunilingus et les fellations ? Ce ne sont que des préliminaires dixit la population hétérosexuelle. Conséquemment, pour être déflorée, il faut absolument que l’hymen soit perforé par l’organe masculin.


Autrefois, après les noces, les domestiques vérifiaient la présence de sang sur les draps afin de témoigner de la virginité. Il n’est pas étonnant que ce soit devenu un événement !

Paraît-il qu’il faut que la « première fois » se fasse avec une personne que l’on aime et que l’on respecte. Surtout, il ne faut pas céder à la pression. Cependant, tentez de ne plus être puceau, pucelle d’ici vos trente ans quand même… Personne ne voudrait voir sa vie devenir un certain film de Judd Apatow dans lequel joue le merveilleux Steve Carell.


Paraît-il qu’il faut que la « première fois » soit spectaculaire. En réalité, ce n’est pas dans un lit du Ritz Carlton couvert de pétales de roses que l’action va se passer. Pensez davantage à une voiture ou encore dans un sous-sol un peu miteux.


Déconstruire le mythe de la virginité est crucial pour une véritable libération sexuelle. Il est essentiel d’enseigner aux jeunes filles qu’elles sont maîtresses de leur propre corps et qu’elles décident du moment, du moyen et de la personne avec qui elles veulent explorer leur sexualité. Apprenons à célébrer le fait qu’une femme indépendante et vierge soit en mesure de perdre sa virginité grâce à une Tinder date. Apprenons à laïciser la sexualité.


« Autre temps, autres mœurs ». Si l’on doit dessiner le portrait de la romance contemporaine, il faut forcément inclure la technologie, le ras-le-bol des étiquettes ou son obsession pour celles-ci, le libertinage à la Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos et la reconquête du statut de la femme par la femme. Sur ce, soyons aussi crus dans nos amours que dans nos désirs.

P.S. : Amateurs et amatrices de insta poésie et de lettres d’amour modernes, courez vous procurer une copie du livre Amours solitaires écrit par Morgane Ortin. Il s’agit d’un recueil contenant de mots doux, sensuels, drôles qui, joints ensemble, composent une histoire d’amour hors du commun. (@amours_solitaires sur Instagram).


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