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Marc-Antoine Gignac

Étudiant de Pavlov


Il est toujours de bon augure de commencer un article par une anecdote. C’est d’ailleurs une des stratégies gagnantes apprise au secondaire pour disposer d’un beau « sujet amené » et, à terme, d’une bonne note.


J’ai eu cette semaine mon 3e cours de droit de la consommation avec Pierre-Claude Lafond, et notre professeur nous a demandé une simple question pour sonder la classe : qu’est-ce qu’un consommateur ? Devant l’autorité des lois, la sagesse de la jurisprudence et le savoir du professeur, bien peu osèrent lever la main, et ceux qui s’essayèrent donnèrent une réponse plutôt classique et juridique (à ce propos, vous irez lire l’article 1 e) de la Loi sur la protection du consommateur, RLRQ ch. P-40.1). Monsieur Lafond nous partagea, par la suite, sa déception de n’entendre que 2 ou 3 définitions dans une classe de 90. Sur le coup, je me suis fait cette réflexion que je me fais toujours en classe : les étudiant.es sont gêné.es. Mais gêné.es de quoi ?

Certes, il peut être intimidant de lever la main et de prendre parole et position devant plus de 150 yeux et autant d’oreilles, mais qu’est-ce qui est si gênant ? La coutume sociale à elle seule ne peut suffire à censurer autant d’étudiants.


Non, il s’agit de quelque chose de bien plus puissant, de bien plus ancré en nous que nous ne voudrions avouer : la peur. La peur de se tromper, la peur de décevoir, la peur de ne pas être à la hauteur.


Depuis tout jeune, dès la maternelle (mais pas à 4 ans), on nous conditionne à bien répondre, à se couler dans le moule. Quand on répond ce que l’enseignant.e veut entendre ou lire, on obtient une bonne note. Quand on obtient une bonne note, on est félicité, on obtient des prix : méritas, reconnaissance sociale, bourses. N’est-ce pas beau cette programmation des étudiant.es dès leur plus jeune âge? C’est le concept bien populaire du conditionnement : bonne réponse = récompense.


Vous le remarquerez vous-même, car je vous sens douter en me lisant, lorsque l’on répond, vous et moi, que ce soit en classe ou en examen, on ne cherche pas la réponse par nous-même, on ne cherche pas à innover. On chercher plutôt la bonne réponse, la réponse que le ou la professeur.e cherche et veut. Nulle place pour l’originalité, car il n’y en a jamais eu, du primaire au cégep, alors que nous formions nos jeunes esprits en éponges. Quand on répond, quand on discute des réponses après les examens, on ne cherche pas la bonne réponse en tant que tel, mais la réponse attendue par celui ou celle qui nous corrigera.


La réponse à fournir est aussi de plus en plus standardisée. Un examen, c’est évaluer comment nous sommes capables de recracher nos notes, notre habileté à déjouer des pièges de vocabulaire, à encercler la bonne réponse, à citer l’article voulu et de passer par le bon chemin mental. L’examen, au contraire de l’évaluation, cherche simplement à guider l’étudiant.e sur le chemin de l’obéissance intellectuelle. À ce sujet, pourquoi nous examiner sur une méthode absurdement loin de la réalité? Quand donc n’aurai-je droit ni à mon voisin, ni à internet, ni à mes lois? Quand donc devrai-je performer en 3h sans possibilité de me réviser? Jamais. La vie est faite de coopération, alors que l’examen nous pousse à la compétition.


C’est déplorable. Alors que l’université est un lieu d’échange d’idées, un lieu où l’on devrait d’abord se tromper pour arriver lentement mais sûrement à un raisonnement qui se tient, nous avons fait des étudiant.es des robots qui recrachent la matière. Et je ne peux blâmer ces étudiant.es (je fais moi-même partie du lot), car nous fûmes tou.te.s pris.es dans ce carcan pavlovien où la réponse bonne est la réponse attendue, où l’originalité est pénalisée plus souvent qu’autrement, et où la conformité est non-seulement encouragée mais récompensée.


Alors que Monsieur Lafond n’avait fait que poser une question générale, pour sonder la classe et non pour nous tester, que dis-je, nous examiner – pour une fois –, il s’est retrouvé victime d’un système ayant endoctriné les étudiant.es à répondre bien ou à se taire. C’est d’une tristesse. Je le citerai donc en cette fin d’article – car on m’a récompensé, au secondaire, avec de bonnes notes, lorsque je faisais un lien entre ma conclusion et mon introduction – : « Il y aura bien sûr un temps où nous ne pourrons pas nous tromper – devant le tribunal, face à un.e client.e – mais, de grâce, aujourd’hui, en classe, trompez-vous! »


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