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Laurent Rioux-Boivin

Conversations de société et droit


L’actualité politique de la dernière année fut animée par de vifs débats populaires touchant le cœur même de ce qui nous caractérise en tant que démocratie. Que ce soit au Québec, aux États-Unis ou ailleurs dans le monde, les démocraties modernes sont confrontées à une agitation populaire cherchant à ébranler et miner certains acquis sociaux d’une tranche de la population. Face à l’adversité, certains peuples empruntent un raccourci politique navrant, soit l’élection de gouvernements autoritaires aux positions dogmatiques faisant fi des règles établies et ancrées d’une démocratie circonscrite et définie par le droit . C’est en cela que le domaine juridique s’avère crucial et essentiel au développement d’une discussion critique et d’une acuité d’esprit fine face aux aléas politiques actuels. Chaque enjeu, débat ou question politique doit être considéré à l’aune du droit; les décisions prises par un gouvernement se doivent d’être « légales », de respecter le droit.

Le domaine juridique, de par la loi et la constitution, limite ainsi la marge de manœuvre des gouvernements; c’est la séparation des pouvoirs, principe devenu célèbre dans le livre De l’esprit des lois de Montesquieu. En vertu de cette doctrine politique, le pouvoir d’un souverain ne peut jamais être absolu . L’édifice judiciaire fait guise de garde-fou contre une souveraineté absolue et totale, telle une dictature, en imposant un critère trivial, mais névralgique : toutes actions d’un gouvernement doivent être légales, conforment à la loi. À titre d’exemple, le gouvernement du Canada ne pourrait aller à l’encontre des droits fondamentaux de la personne puisque notre état est doté d’une Charte qui protège ces dits droits.

Les étudiants et étudiantes en droit ont donc ce privilège d’aborder les débats de la sphère publique sous une optique juridique; ils et elles peuvent se prononcer sur la valeur juridique d’un projet de loi, d’une décision ou d’une mesure prise par un gouvernement quelconque. Dans un état de droit au sein duquel les enjeux sociaux sont forcément « judiciarisés », cet atout est des plus considérables. En voici quelques illustrations…

Loi 21 : Loi sur la laïcité de l’état

La laïcité constitue sans doute la « discussion publique » la plus impétueuse et effervescente au Québec actuellement. Et c’est l’un des débats dans lequel le droit a le plus à dire.

Le gouvernement québécois, par l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’état, tente d’insuffler au Québec une identité séculière qui le sépare de la religion. La laïcité, question de société essentielle à l’identité québécoise, est balisée par le droit; le consensus qui en ressort doit tenir compte des limites judiciaires, limites qui balisent et contiennent le champ d’action du gouvernement. La Loi 21, comme toute autre acte législatif de même objet, se doit de respecter l’ordre juridique établi au Canada et au Québec.

Il est donc essentiel à cette discussion démocratique de savoir ce qui peut ou ne peut être fait aux vues des lois hiérarchiquement supérieures à celles adoptées par le Parlement québécois. C’est pourquoi plusieurs parlent de contester la validité de cette loi sur la laïcité au nom de la Constitution canadienne, de la Charte des droits et libertés, celles-ci étant « juridiquement supérieures » à la Loi 21.

Le débat sur l’avortement

Le droit à l’avortement, bien que devant composer avec certaines lacunes dans son application, est considéré comme allant de soi au Canada.

Cet été, on soulignait les 30 ans de la célèbre décision Tremblay c. Daigle, affirmant par une majorité de 9 juges qu’un fœtus ne possède aucun droit, de même que le potentiel père n’en possède aucun sur celui-ci. Ainsi, la femme est à même de librement disposer de son corps comme elle le souhaite. Une autre décision capitale rendue par la Cour suprême du Canada, R. c. Morgentaler, mentionne qu’une législature ne peut criminaliser l’avortement et donc ne peut, incidemment, en empêcher la libre pratique. Ces deux décisions, épluchées dans les cours de droit constitutionnel de première année, témoigne du caractère « acquis » du droit à l’avortement au Canada.

Ces deux décisions régissent ainsi le droit canadien et balisent ce qu’un gouvernement peut potentiellement légiférer sur l’avortement. Bien que mise à mal cet été, notamment par le polémique long-métrage Unplanned ainsi que par la position équivoque du parti Conservateur du Canada sur le sujet , l’avortement n’en reste pas moins un droit « consolidé » dans l’ordre judiciaire canadien; un gouvernement ne pourrait tout simplement l’abroger.

Vols de données

Le droit ne se préoccupe pas que des questions de sociétés déjà campées et établies; suivant l’évolution de la société, il doit s’adapter aux nouveaux enjeux et ingérer les problématiques nouvelles qu’amènent le progrès et l’émergence des nouvelles technologies. Les données personnelles informatisées sont de ce lot et la nécessité de les considérer juridiquement est impérieuse.

Les exemples courent, mais le plus prenant se rapporte au scandale des élections américaines de 2016, lors desquelles une firme de communication britannique, Cambridge Analatyca, utilisa les données de plusieurs électeurs et électrices dans le but d’influencer le scrutin. L’importance de qualifier et ainsi de conscrire juridiquement ces données et leur utilisation est primordiale. La démocratie, face à une propagande aussi efficace que la manipulation par le Web, se fragilise.

Le professeur David Caroll s’est ainsi adressé aux tribunaux dans le but de recouvrir les données que la firme avait collectées sur celui-ci, et tenter par le fait même de plaider que celles-ci peuvent s’apparenter à un droit fondamental, celui à la vie privée.

Nombreux sont les enjeux et controverses reliés aux nouvelles technologies, et le droit se positionne comme un domaine essentiel pour freiner les excès graves et affligeants qui peuvent en ressortir.

L’importance du domaine juridique dans l’élaboration d’une pensée critique dans une société marquée par la séparation des pouvoirs et l’état de droit est indéniable; de l’étudier amène la chance de cerner avec une acuité fine et une clairvoyance sûre les enjeux de société. Que ce soit pour se prononcer correctement et rigoureusement sur les différents enjeux courant la sphère publique ou pour être en mesure d’établir un rempart efficace contre les débordements et excès de certains élans populistes ou des nouvelles technologies, le droit est névralgique. Et c’est probablement ce qui fit dire à Georges Washington : « Un pouvoir arbitraire est très facilement établi sur les ruines d'une liberté malmenée par le désordre ».


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