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Alexandrine Lahaie

Place à la parole des étudiantEs


Rentrée universitaire rime avec nouveaux professeur.es ainsi que nouveaux et nouvelles collègues de classe. Au sein de cette société, nous serons toutes et tous participant.es à des situations de discussions que ce soit en classe, dans les travaux d’équipe, au sein de débats ou lors de conférences. Ainsi, cette année, j’aimerais mettre en lumière un enjeu qui passe souvent inaperçu dans ce contexte : la prise de parole des femmes.

En effet, à la Faculté de droit, les femmes sont plus nombreuses que les hommes. Cette année, elles représentent près de la moitié de l’exécutif de l’AED, dont la présidence. Pourtant, je n’ai pas l’impression que, globalement, leur parole est aussi présente que celle de leurs collègues masculins. J’ai également l’impression que lorsqu’elles s’expriment, c’est au risque de faire face à certaines embûches.

La discussion n’est pas une activité inconsciente, elle est au contraire, structurée. D’ailleurs, l’analyse conversationnelle est un domaine multidisciplinaire qui se penche précisément sur l’organisation structurelle dans la communication humaine. Pour les fondateurs de l’analyse conversationnelle, Sacks H., Schegloff E. et Jefferson G., la discussion idéale suppose : « que l’un-e parle pendant que l’autre écoute, puis vice-versa et ainsi de suite, sans qu’il y ait de chevauchements de parole, d’interruptions ou de silence entre les tours » [1]. Ce modèle tend aussi idéalement vers une symétrie du temps de parole. Or, la conversation est un miroir de notre société genrée et de ses inégalités. Les hommes auront donc, la plupart du temps, une mainmise sur la discussion et parleront davantage. De plus, dans le « travail de la conversation », les hommes auraient plus tendance à imposer silence aux femmes, les interrompre ou encore choisir les sujets. Pour leur part, les femmes auraient davantage tendance à manifester des marques d’attention ainsi qu’à avoir une attitude encourageante à l’interaction. Ainsi, dans la discussion, des attitudes différentes sont encouragées et acceptées selon le genre.

Ensuite, plusieurs situations peuvent porter obstacle à la parole des femmes, notamment le mansplaining ou, en français, la « mecsplication ». Cette expression, inventée par Rebecca Solnit, désigne les moments où un homme prend la parole de manière condescendante, pour expliquer à une femme quelque chose qu’elle saurait déjà. L’intervention placerait celui qui la fait dans une position de supériorité intellectuelle trompeuse. Pour Solnit, « c'est ce qui réduit les jeunes femmes au silence en démontrant, comme le fait le harcèlement de rue, que ce monde n'est pas le leur » [2]. Il existe de nombreuses autres manifestations qui découlent de cette vision encore ancrée que l’espace public n’appartient pas aux femmes. Par exemple, on peut constater que la parole des femmes est souvent négligée dans l’espace médiatique. Selon une étude de 2015, les médias surreprésentent les hommes [3]. L’étude estime à 82% la proportion de noms masculins parmi tous les noms cités dans les médias. C’est ce qui est désigné comme le « plafond de papier ». Tandis que l’espace public est traditionnellement associé aux hommes, l’espace privé ou domestique demeure associé aux femmes.

Enfin, il arrive que lorsque les femmes s’expriment, comme d’autres groupes qui subissent des inégalités sociales, on ne leur laisse pas la liberté de choisir les modalités de leur prise de parole. En effet, les femmes qui s’associent aux mouvements féministes peuvent ressentir la pression, majoritairement de la part d’hommes, d’expliquer leurs revendications féministes et de les justifier. Une expression a également été consacrée pour illustrer cette posture de ceux et celles qui désirent pouvoir choisir quand et à qui ils ou elles veulent engager la discussion à propos de leurs engagements : « It’s not my job to educate you » ou « Ce n’est pas mon travail de t’éduquer ». Discuter de questions féministes n’est pas un sujet neutre. Souvent, ces thèmes auront des résonnances profondes dans le vécu des femmes, qui seront en posture de vulnérabilité. Malgré toutes les bonnes intentions des interlocuteurs-trices qui veulent en apprendre plus sur le féminisme, par exemple, l’éducation autodidacte fait aussi partie de la solution. Chaque personne a une responsabilité propre face aux oppressions qui affectent les droits et la dignité d’autres êtres humains.

J’aimerais donc lancer un message d’empathie et d’ouverture dans les discussions au sein de la Faculté. Quand l’on est privilégié.es, tentons de laisser notre place à ceux et celles qui subissent des oppressions systémiques qui limitent leur accès à la discussion. Dans un contexte social où la société se déchire autour de questions polémiques, pratiquons « l’amitié civique », expression de la Professeure au Département de philosophie Ryoa Chung pour désigner l’écoute et l’absence de jugement qui sont nécessaires à tout échange.

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[1] La répartition des tâches entre les femmes et les hommes dans le travail de la conversation, Corinne Monnet, Nouvelles questions féministes, 1988.

[2] Rebecca Solnit: pour en finir avec le «mansplaining», Nathalie Collard, La Presse, 12 avril 2018.

[3] Les hommes surreprésentés dans les médias, selon une étude de McGill, Radio-Canada, 2 octobre 2015.

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