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Marc-Antoine Desrochers-Gignac

Suprêmes questions


Le 15 septembre prochain, le juge Gascon de la Cour suprême tirera sa révérence pour laisser place à la nouvelle recrue Nicholas Kasirer. Soulignons d’emblée le travail remarquable de ces deux personnes dans le milieu juridique, qui pourraient bien servir de modèles pour les étudiants en droit que nous sommes.

Modèles, vraiment?

Je parle pour moi, qui n’ai aucun mal à m’identifier à ces beaux hommes blancs issus de la classe bourgeoise. Je n’enlève absolument rien aux qualités exceptionnelles de ces deux hommes; ils ne sont d’ailleurs qu’un prétexte pour embrasser un problème bien plus large.

Comment en effet motiver les 70% restant de notre faculté qui s’identifie au genre féminin? Comment motiver les personnes issues de milieux défavorisés? Comment motiver ceux et celles qui n’ont pas la peau beige? Ce n’est certainement pas à moi de répondre à ces questions, mais permettez-moi d’être dubitatif sur le système judiciaire et la méritocratie. Quand on regarde le portrait de notre Cour suprême, difficile ensuite d’affirmer fièrement que tous et toutes auront les mêmes chances d’accéder au plus haut tribunal du pays (si tel est leur objectif).

Dérives colonialistes

Au-delà de la composition de ce tribunal, que je tiens néanmoins en haute estime, se trouve la question institutionnelle et systémique. Lors de la nomination du nouveau juge Kasirer, les acteurs concernés ont bien mis l’accent sur deux choses. D’une part, sur les douze candidats en lice, une seule était une femme. Je pense que le chiffre parle pour lui-même. Et que j’en vois un me lancer l’argument de la compétence ; je le fusille [1] !

D’autre part, on a mentionné le fait que monsieur Kasirer est un anglophone et qu’il parle parfaitement français. On a ensuite pointé le fait que le bilinguisme n’était pas une exigence réelle pour siéger à la Cour suprême. En effet, soutient-on, c’est pour ne pas se lier les mains, advenant un juge compétent d’origine autochtone et ne parlant qu’une des deux langues officielles.

Telle était ma première critique : le fait que les Premières Nations, entres autres, ne soient pas représentées à la Cour suprême. Je devrais donc saluer la souplesse du processus de nomination. Ce qui est curieux, toutefois, c’est qu’on a l’impression que cette sous-représentation serait due à l’exigence de parler français. La plupart, sinon tous, les autochtones sont bilingues. Or, ce n’est pas un bilinguisme qui est valorisé au Canada, puisque l’une des deux langues qu’ils et elles parlent « ne compte pas ». L’innu, le cri, l’inuktitut, et autres langues autochtones ne sont pas reconnues, valorisées, enseignées, parlées dans le Canada colonial que nous avons créé il y a moins de deux siècles. Ils sont donc, pour les fins d’une nomination à la Cour suprême, « unilingues anglophones ».

On doit donc se demander : mais que faire pour permettre une accessibilité réelle aux juges autochtones? Devrait-on institutionnaliser une quinzaine de langues [2] ? Ou devrait-on cesser cette hypocrisie une fois pour toute : au Canada, la seule langue officielle, c’est l’anglais. Avez-vous déjà vu un juge unilingue francophone?

Je n’ai pas l’intention de faire de cette chronique un hommage à Mathieu Bock-Côté. Toutefois, alors que nous changerons bientôt la composition du plus haut tribunal du pays, je pense qu’il est sain pour les étudiant.e.s universitaires que nous sommes de remettre en question le système en entier, et non uniquement son sommet. Féminisme, humanisme, égalité des origines, des langues, représentativité ; nous devons débattre de ces sujets.

Plutôt que de vous fondre dans la masse et accepter ce qu’on vous dit, soyez dissident .

[1] Du regard.

[2] L’Afrique du Sud a onze langues officielles, soit dit en passant.


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