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Par Camille Rochon

Entrevue avec Yves Boisvert


Portrait de l’étudiant

Nous sommes à l’étage du Mamie Clafoutis sur la rue Van Horne en train de savourer un bon latte et d’attendre Yves Boisvert, qui a gentiment accepté de nous accorder une entrevue malgré son horaire chargé. Nous commençons par satisfaire notre curiosité (et la vôtre!) en lui posant quelques questions sur son passage à la faculté de droit. Le chroniqueur judiciaire à La Presse a complété ses études en droit à l’Université de Montréal en 1987. Il a toujours su qu’il ne serait pas avocat (même s’il a obtenu une de ses meilleures notes du bacc dans le cours de procédure civile!), mais s’intéressait beaucoup à la politique et à l’actualité, et jugeait que le baccalauréat en droit représentait une formation pertinente, notamment pour une éventuelle carrière de journaliste. Ses cours favoris ont donc logiquement été le droit constitutionnel ainsi que le cours d’interprétation des lois, qu’il considérait être à la limite entre le droit, la politique, et même la psychologie. Le jeune étudiant a interrompu son bacc pour effectuer un certificat en études théâtrales, mais est revenu en force par la suite.

Lorsque nous lui demandons quel type d’étudiant il était, amusé, il nous raconte qu’il était de type « somnolent » et que la majorité de son temps était plutôt investie dans le parascolaire… notamment dans Le pigeon dissident! Le futur journaliste y écrivait entre autres des critiques de spectacles et n’a pas eu froid aux yeux en publiant une critique du livre de l’un de ses professeurs de droit de l’époque. Bien qu’il ait bel et bien collaboré au Pigeon, il a aussi surtout écrit pour le Continuum, le journal étudiant de toutes les facultés de l’UdeM et ancêtre de l’actuel Quartier Libre.

Comment s’est-il retrouvé à La Presse? Il y a obtenu un stage d’été et une semaine après la fin du stage, il a reçu un appel pour y faire du remplacement alors même qu’il se trouvait dans le local du journal étudiant. Il a accepté l’offre et n’a jamais quitté La presse depuis! Et ce qu’il y a vécu à ses débuts était assez particulier : l’adoption de la Charte était toute fraîche et des gros jugements comme R. c. Oakes et R. c. Big M Drug Mart étaient rendus. Le jeune journaliste a donc pu voir les répercussions de ces arrêts majeurs dès le début de sa carrière, ce qui créait une ambiance assez fébrile dans les palais de justice. De plus, en 1988, la loi a changé pour rendre les conseils de discipline ouverts au public alors qu’ils se déroulaient autrefois à huis clos. Il sourit et se rappelle qu’il a été un des premiers journalistes à arriver au conseil de discipline du Collège des médecins, ce qui déstabilisait beaucoup les parties.

Crise des médias

Nous rentrons maintenant dans le vif du sujet. Que pense le journaliste d’expérience de l’actuelle crise des médias, qui ne date pas d’hier, qui a mené à la tenue de la Commission sur l’avenir des médias en août dernier? En termes de journaux, c’est tout un modèle économique qui s’est effondré, selon Yves Boisvert. Autrefois, les journaux étaient des produits physiques, produits aux presses, dans les sous-sols des salles de rédaction. La vente de ces derniers représentait seulement 25% du profit des journaux : en réalité, c’était la publicité qui faisait vivre un journal. Et – simple logique du marché – plus le tirage du journal était important, plus cette publicité pouvait être vendue à gros prix, nous explique-t-il. Sans surprise, c’est l’arrivée d’Internet qui a changé la donne et qui a, selon lui, eu un double impact. D’abord, les gens ont désormais accès au même produit gratuitement. Puis, la possibilité de diffuser ce produit sur d’autres plateformes, qui, elles récoltent leurs publicités avec le produit des journaux. On parle bien sûr ici de Facebook et compagnie, les fameux «GAFA» (Google, Amazon, Facebook et Apple) et qui ont maintes fois été pointés du doigt lors de la Commission. Et qu’en est-il du lectorat? Les gens lisent-ils encore ces articles? Malgré ce que plusieurs disent, oui. Les lectorats sont relativement stables et même qu’à La Presse +, depuis le virage numérique, ils ont augmenté, affirme-t-il.

Alors que certains allèguent que les médias sont responsables de leur propre chute et qu’ils auraient dû prévenir le coup, Yves Boisvert, amusé, se remémore un texte de 1992 Michael Crichton, l’auteur de Jurassic Park dans lequel ce dernier compare métaphoriquement les journaux à des dinosaures, leur reprochant de ne pas s’adapter assez vite et prédisant leur effondrement imminent. Plutôt visionnaire comme réflexion! Quoiqu’il en soit, une chose est sûre : les journaux manquent d’argent et malgré les subventions gouvernementales qui représentent certainement un bon coup de pouce, il leur faut un tout nouveau modèle économique qui soit viable.

Nous abordons maintenant la question du groupe Capitales Médias. Comment le journaliste entrevoit-il la possibilité d’un rachat par Quebecor? Bien sûr, comme plusieurs, il ne se réjouit pas de l’inévitable effet de concentration de la presse. Toutefois, il croit qu’il faut bien que quelqu’un le fasse. Mieux vaut cela que rien du tout, soutient-il. À part Quebecor, de toute manière, il ne voit pas qui achèterait Capitales Médias, qui fait face à des dettes de régimes de retraite d’une cinquantaine de millions de dollars ou même plus. Et quel avenir, en réalité, pour ces journaux rescapés? À son avis, Le Soleil finirait certainement par fermer étant donné la présence du Journal de Québec. Aucune ville nord-américaine de cette taille-là n’a plus d’un journal.

Quelle solution prévaut? Comme beaucoup de gens, Yves Boisvert ne sait pas, il y en a plusieurs, mais la crise est si complexe. Or, il a une certitude : le journalisme demeure nécessaire et les gens en ont besoin. Comme il le dit si bien, il s’agit d’une fonction démocratique essentielle à nos sociétés. Et d’un point de vue plus économique, c’est pareil : il y a certainement un marché pour l’information, et s’il y a un marché, il y a une façon s’assurer sa pérennité et que les gens puissent en vivre. Mais, rappelle le chroniqueur judicaire, produire de l’information sérieuse et de qualité prend du temps et a un prix. Et à cet effet, on revient toujours au même constat : le monde des médias est à la croisée des chemins entre deux modèles et doit évoluer.

Et les journalistes, quel avenir pour eux? Il nous apprend qu’en Amérique du Nord, au cours de la dernière décennie, leur nombre a diminué d’environ 50%. De moins en moins de gens en vivent, et sans surprise, les facteurs de ce phénomène sont la concentration des médias et la disparition de plusieurs autres. Mais au bout du compte, malgré toutes les mutations du monde des médias, il rappelle avec justesse que la fonction fondamentale du journaliste reste la même : rapporter comment et pourquoi les choses arrivent et vulgariser l’information pour le grand public, notamment dans les palais de justice. Bref, il doit être les yeux et les oreilles du public. Et cette mission est essentielle. Yves Boisvert refuse d’être pessimiste et termine sur une note d’espoir. «Nous sommes actuellement dans une zone de complète turbulence. Mais je ne dirai jamais qu’il n’y a pas d’avenir, c’est impossible, il faut qu’il y en ait un. Il faut le réinventer».

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