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Lina Kobbi

Les étudiant.es en droit sont-ils égoïstes?



On a vu le discours de Greta Thunberg à la télé qui, tout émue et colérique, nous a lancé nos quatre vérités en pleine face. La fac de droit avait même voté en faveur de la levée de cours du 27 septembre pour aller manifester. Ce n’est pas suffisant.


L’Université de Montréal regroupe tout plein d’évènements, de conférences et de comités qui sont tous là pour faire leur part quant à des enjeux humanitaires importants. Pensons par exemple aux projets Pro Bono qui offrent aux étudiant.e.s d’aller se battre pour des causes fondamentales comme le droit des femmes, des personnes LGBTQ+, ou bien des aînés. Il y aussi les comités pour le droit autochtone, pour le droit des animaux et leur protection juridique (FEDJA), ainsi que les Avocats sans frontières, qui font tout plein de belles actions pour aider les plus défavorisés. Tout cela est inspirant et je suis fière d’être étudiante à l’Université de Montréal. Ce n’est pas suffisant.


Plusieurs d’entre vous ont sûrement lu le livre de Jean-Philippe Baril Guérard intitulé Royal, où il compare sans gêne les étudiant.e.s en droit à des déchets appartenant au dépotoir de l’humanité que forme la faculté de droit de l’Université de Montréal. Perso, je ne l’ai pas lu. J’en ai entendu parler avant de commencer mon bac, et ça m’a semblé un peu trop cynique à mon goût. Il me semblait que c’était inutile de lire un livre portant autant de préjugés à un groupe de personnes aussi diversifié, que ce livre ne pouvait pas être représentatif des 400 personnes et quelques qui rentrent à la fac à chaque année. De toute bonne foi, je me suis donc présentée pleine d’énergie et d’ambition le premier jour, en m’attendant au meilleur. Je peux aujourd’hui malheureusement dire que, bien que Guérard nageât dans l’excès dans Royal, il n’était peut-être pas si loin de la vérité lorsqu’il parlait de l’égocentrisme de certains.


Les étudiant.e.s en droit de l’Université de Montréal sont ambitieux et courageux. Nous sommes féroces, prêts à travailler fort pour atteindre notre carrière de rêve. Nous nous impliquons dans plein de comités et nous nous engageons dans toutes sortes de projets humanitaires qui changent réellement la donne pour plusieurs personnes en situation médiocre. Mais ce n’est pas suffisant. Voici pourquoi.


Je trouve que nous avons encore des croûtes à manger en matière d’implication et d’ouverture au monde, car, malgré le fait que plusieurs d’entre nous s’impliquent, ce n’est souvent pas pour les « bonnes » raisons (quoique je pense que ce que je viens d’affirmer est peut-être un jugement de valeur, mais laissez-moi poursuivre). Je suis sûre que je n’étonne personne si j’affirme que la plupart des gens dans mon entourage qui s’engagent dans des comités et dans des activités humanitaires le font pour se trouver un stage dans un grand cabinet. « La course aux stages ». Moment décisif d’une vie d’étudiant.e en droit, apparemment. Je crois que c’est tout à fait compréhensible, qu’il n’y a rien d’honteux ou d’immoral à vouloir se trouver un stage et à avoir du succès. Mais il faut pousser le projet plus loin, mes amis.


En ce moment en Chine, il y a des camps de concentration extrajudiciaires où des musulmans issus de l’ethnie ouïghoure sont détenus, après avoir été arrêtés pour « sympathie terroriste ».[1] On parle ici d’un crime contre l’humanité, de la violation totale des droits de la personnalité de la communauté musulmane chinoise. Il y a aussi Barcelone, qui est présentement dans le chaos total à la suite des manifestations des Catalans qui revendiquent leur souveraineté. Des enjeux internationaux de grande importance ont lieu en ce moment même. Pourquoi n’en entendons-nous pas parler à la fac? J’ai l’impression que nous sommes trop axés sur nous-mêmes et ce qui nous touche directement. À mon avis, une ouverture d’esprit et un plus grand intérêt face à ce qui nous entoure s’impose. Y’en a marre de calculer chacun de nos mouvements en fonction de ce qui nous assure un stage ou une bonne note au Barreau.


Prenons pour exemple la levée des cours du 27 septembre. J’étais fière de ma communauté étudiante pour avoir protesté d’une telle façon, pour avoir éveillé les consciences face aux enjeux climatiques. Or, le réchauffement climatique nous touche directement. NOUS en subissons directement les conséquences. Il est donc facile d’avoir envie de s’impliquer, car notre propre bénéfice en dépend. Qu’en serait-il si la crise climatique ne touchait qu’une communauté à l’autre bout du monde, aurions-nous encore cette même vigueur?


Oui, c’est beau de parler de Greta. Oui, c’est beau de se battre contre Scheer qui veut remettre le débat sur l’avortement dans l’actualité et qui protège de tout son cœur ses précieuses pipelines. Toutefois, ce sont des choses qui nous impliquent directement, dont on en subira explicitement les suites. Je ne crois pas que ce soit noble de se battre pour son propre bénéfice. Il faut se battre pour la cause en elle-même, pour atteindre une plus grande justice, une égalité, pour l’intérêt public commun. S’engager pour une cause humanitaire en ayant comme vision son plaisir personnel revient à ne rien faire. Nous sommes dans une ère d’individualisation totale avec les réseaux sociaux qui se multiplient; nous avons donc le devoir de briser ces chaînes de l’isolement et du « moi, moi, moi » afin de voir plus loin, de miser plus haut.


Nous, les étudiant.e.s en droit, avons un avantage que beaucoup de gens dans le monde n’ont pas : une éducation supérieure. La compréhension des droits de la personne, de plusieurs systèmes juridiques, du droit international. Et je crois que cet avantage doit mener à une responsabilité d’ouverture au monde et d’altruisme. Pas pour son propre bénéfice, mais plutôt par devoir de se soumettre à la loi morale, comme dirait Kant et sa philosophie anti-hédoniste; il faut miser sur la justice de nos actions, car elles doivent être justes en elles-mêmes, avec comme seule intention de se soumettre au devoir. Je crois que nous en sommes capables.




[1] Defranoux L., La Chine reconnaît l'existence de camps de détention pour musulmans, Le Devoir, 15 octobre 2018, https://www.ledevoir.com/monde/asie/539063/la-chine-reconnait-l-existence-de-camps-de-detention-pour-musulmans


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