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Clémence Duranleau-Hendrickx

A mari usque ad mare : le fardeau de la cohérence



La nouvelle est tombée dans les dernières semaines : le ministère fédéral de l’Immigration a refusé d’accorder au leader catalan et ancien président, Carlos Puigdemont, une autorisation de voyage électronique au Canada. Une demande qui a été faite après que Puigdemont a été invité par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal à donner une série de conférences au Québec. Monsieur Puigdemont était au cœur de l’organisation du référendum sur l’indépendance de la Catalogne en 2017. Ce référendum avait été jugé illégal par les autorités espagnoles qui ont par la suite déposé contre les leaders indépendantistes, dont Monsieur Puigdemont, des accusations de sédition et même de détournement de fonds.


Quoi qu’on puisse penser de ces accusations portées par les autorités espagnoles, permettez-moi de penser que le véritable motif du refus du fédéral de laisser entrer Puigdemont au pays est politique. Le Canada fait une instrumentalisation des processus légaux à des fins politiques. Ottawa qui appuierait un leader indépendantiste étranger alors qu’un mouvement indépendantiste agit en son sein? Un peu contre-productif pour les intérêts fédéraux, on est d’accord. Sauf que les principes guidant notre démocratie, eux?


Il y a une dichotomie canadienne : le fédéral place ainsi ses intérêts politiques avant les idéaux qu’il aime tant défendre hypocritement sur la scène internationale. Le Canada, un pays ouvert aux autres, protecteur des persécutés, accueillant, vraiment? Pas pour les politiciens étrangers qui ne lui mangent pas dans la main, de toute évidence. Ce n’est même pas une question d’être pour l’indépendance de la Catalogne ou pas, c’est l’idée que la démocratie ou la liberté d’expression n’ont pas à être remises en question selon nos intérêts dans une situation. Les opinions politiques de Puigdemont ne sont pas celles d’Ottawa, bien évidemment, mais l’on ne peut être en faveur de la liberté d’expression que lorsqu’elle sert à dire des choses avec lesquelles on est en accord.


Ah, il est beau votre état de droit, Monsieur Trudeau, elle est belle votre démocratie. Il est beau votre entêtement à refuser de condamner les violences du gouvernement espagnol envers les Catalans, des violences qui durent depuis le référendum de 2017. Cela en raison de vos intérêts sur le plan politique canadien. Ces intérêts que vous faites passer avant des idéaux que, je crois bien naïvement, vous partagez tout de même.


Madrid a ajouté l’insulte à l’injure en poursuivant en justice les leaders du mouvement indépendantiste catalan pour le crime odieux d’avoir tenu un référendum démocratique. Ne pas réprouver les arrestations arbitraires, la répression policière des autorités, les pratiques anti-démocratiques espagnoles, c’est les cautionner à quelque part. Justin Trudeau aime bien se faire le défenseur international de l’idéal démocratique, que peut-on en dire maintenant?


Il importe aussi de souligner que Philippe Couillard avait, lui, condamné à l’époque cette brutalité des autorités espagnoles et François Legault l’a fait récemment également, emportant l’adhésion de l’Assemblée nationale avec lui. Il est hypocrite d’affirmer que le droit à l’autodétermination des peuples est un principe fondamental de la démocratie, sans toutefois l’appliquer dans le concret.


Certaines questions méritent de ne pas être partisanes. Comme la démocratie. Il est honteux, dans un état de droit qui aime répéter que la séparation des pouvoirs est étanche et son modèle exemplaire, de faire de la politique sur une question aussi litigieuse. Croire que l’on peut impunément refuser une procédure, somme toute assez banale, à un ressortissant étranger sur la base d’accusations, qu’on peut légitimement supposer d’être instrumentalisées, est d’autant plus grave. Le Canada, comme État, devrait choisir entre cohérence et positionnement stratégique.


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