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Grecia Esparza, rédactrice en chef

La langue est donc une histoire d'amour ?

« Les langues sont comme la mer : elles oscillent sans cesse. À certains temps, elles quittent un rivage du monde de la pensée et en envahissent un autre. Tout ce que leur flot déserte ainsi sèche et s’efface du sol. C’est de cette même façon que des idées s’éteignent, que des mots s’en vont »

-Victor Hugo


Dans mes deux derniers éditoriaux, tant bien que mal, j’ai essayé de vous donner un aperçu des textes, de piquer votre curiosité et de vous inciter à lire l’édition au complet. Parce qu’il semblerait que la première page est la plus lue. Cependant, je dois admettre que l’exercice était plus ou moins réussi, car mon écriture m’apparaissait distante. Pour cette édition portant sur la santé mentale à la Faculté (merci à Nicolas St-Amour et Raouf Salhi d’avoir lancé l’idée), je laisse la parole aux étudiant.e.s qui ont fait un travail remarquable. Pour ma part, un autre sujet m’a particulièrement interpellée, à savoir la langue française et les immigrants.


Il y a deux mois, j’ai reçu l’invitation du réalisateur Andres Livov à la première de son film, « La langue est donc une histoire d’amour ». Il s’agit d’un documentaire dans lequel on suit la classe de Madame Loiseau, une classe de francisation pour adultes, dans le quartier de Parc-Extension. J’ai noté la date dans mon agenda. Et le 11 octobre, assise sur mon siège au Cinéma Beaubien, j’ai pu revivre une tranche de ma propre vie, cette période où j’étais, moi aussi, une étudiante dans une de ces classes destinées aux nouveaux arrivants.


Ces étudiant.e.s venu.e.s de partout dans le monde sont en apprentissage du français et le parlent alors avec une certaine difficulté. Dès les premières minutes du film, on constate l’absence de sous-titres, alors qu’il serait tout à fait logique d’en ajouter afin de bien comprendre ce qui est dit par ces étudiant.e.s. Mais le réalisateur choisit plutôt de nous lancer un beau défi, celui d’avoir une oreille attentive, de découvrir des nouveaux accents, de suivre le rythme de leurs lèvres. Bref, de considérer la personne qui parle avant toute autre chose.


Parce que contrairement à certain.e.s chroniqueur.euse.s, même s’il est vrai que la qualité de la langue doit être une priorité, j’estime aussi qu’une langue est construite par les personnes qui la parlent. Les défenseurs de la qualité de la langue ne sont pas les « ennemis du peuple ». À ce sujet, je partage l’idée de la linguiste et auteure, Anne-Marie Beaudoin-Bégin, lorsqu’elle affirme que la « langue est un produit humain, teinté d’humanité. Cette humanité habillée de ses tendances, de ses doutes, de ses contradictions, de ses illogismes. » [1] Et c’est là que réside, selon moi, la beauté d’une langue.


Parce que contrairement aux dernières politiques d’immigration du gouvernement caquiste, les immigrants doivent être considérés pour ce qu’ils sont : des êtres humains et non de simples chiffres. Arrimer l’immigration au marché du travail. Cette idée a été martelée à maintes reprises au cours des derniers jours. Certes, l’adéquation des nouveaux arrivants à la société d’accueil en fonction des besoins en main d’œuvre demeure un enjeu important, mais c’est une conception trop étroite de l’immigration. Puisque celle-ci cantonne les immigrants à une « ressource économique » devant remplir la fonction qui leur a été attribué, celle de travailler - mais pas trop quand même, car ils ne doivent pas « voler nos jobs », surtout pas celles qui sont grassement payées. C’est ainsi que l’on procède à l’évacuation de la dimension humaine en matière d’immigration. On oublie trop souvent que les immigrant.e.s sont aussi des parents, des enfants, des amis…


Enfin, l’apprentissage d’une langue, d’une nouvelle culture, oui, c’est une histoire d’amour. L’une des plus belles qu’il est possible de vivre. Or, elle ne se fait pas à coup des tests de valeurs, sous forme de questionnaire en ligne à compléter avant leur arrivée. Cela me fait penser plutôt à un mariage forcé où l’on oblige les candidat.e.s à adopter les valeurs de la société d’accueil avant même d’y avoir mis les pieds. Cette histoire se vit au quotidien, au rythme de chacun. Et comme toute histoire d’amour, lorsqu’elle se vit sans pression, dans le respect et la compréhension de l’autre, elle peut avoir une fin heureuse, où tous vivront heureux !


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[1] Beaudoin-Bégin Anne-Marie, La langue racontée, p. 17





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