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Alexandrine Lahaie

Faculté de droit et pensée critique


Source image : https://talentlens.in/blog/critical-thinking-essence-decisive-mind-works


Je me demande souvent comment les autres étudiant.e.s de la Faculté considèrent leur baccalauréat. Est-ce un parcours obligé pour devenir un.e professionnel.le en droit? Est-ce l’opportunité d’acquérir des connaissances juridiques théoriques afin de les appliquer en pratique? Enfin, est-ce l’occasion de se questionner sur le droit et ses fondements ou ses angles morts? J’ai l’impression que, tant dans la vision étudiante que dans celle mise de l’avant par la Faculté, la troisième perspective est plutôt déléguée au second plan, voire complètement écartée. Par exemple, rares sont ceux et celles qui considèrent Fondements du droit 2 comme un cours essentiel pour devenir de meilleur.es juristes. Pourtant, ce cours, selon le site de l’Université de Montréal, s’articule autour de « questionnements fondamentaux : Qu'est-ce que le droit ? D'où vient-il ? Quelles fins poursuit-il ? Quels sont ses moyens d'actions ? ». Ces questionnements, qui tentent aussi de cibler les liens entre droit et justice, donnent un sens profond à l’action juridique que nous aurons à effectuer plus tard en tant que praticien.ne.s. D’une autre manière, sur le plan académique, la Faculté a choisi de prioriser deux cours obligatoires de droit des affaires (plutôt qu’un seul comme d’autres facultés québécoises), alors que certains cours comme Droit des autochtones ou Droit des femmes sont optionnels. À mon sens, ces derniers sont néanmoins tout aussi importants, contribuant à cibler les problématiques actuelles du droit au regard de ces groupes. Toutefois, notre Faculté n’est pas la seule qui perpétue ce manque de pensée critique. Le phénomène s’inscrit dans une tendance plus large, soit la marchandisation de l’éducation. Ce terme désigne, selon la doctorante en sciences politiques Marianne Di Croce, le fait de « détourner l’éducation de ses finalités propres pour la mettre au service de finalités économiques : la rentabilité, la performance, le profit, etc. » [1]. En somme, la marchandisation de l’éducation nous amène à voir l’éducation comme un produit de consommation devant correspondre aux besoins du marché. En droit, ces besoins sont ceux requis par le marché du travail, soit par exemple les cabinets privés de notaires ou d’avocat.es. La marchandisation en droit prescrit comme finalité du baccalauréat de faire de nous des juristes performant.es, préparé.es aux réalités du travail. Cela contribue en revanche à nous formater à la même façon de penser et à assimiler le droit tel qu’il est, sans nécessairement le remettre en question. Ma conception du but de l’université correspond davantage à celle du philosophe Plinio Prado, qui rappelle « le principe qui [la fonde] comme lieu de l'exercice inconditionnel, libre et public de la pensée » [2]. L’université doit donc, à mon sens, être un lieu où le savoir se développe et où l’on remet en question les préceptes établis. C’est un espace d’échange d’idées où les étudiant.es devraient être amené.es à construire leur propre pensée. Cet exercice de la pensée, est-il si présent quand la « courbe » et la dynamique compétitive en découlant amènent à vouloir les meilleures notes sans se soucier d’avoir des réflexions raisonnées et réfléchies sur la matière apprise? La pensée critique est aussi moins présente si, en cours de baccalauréat, on met sans cesse de l’avant une course aux stages qui éloigne les étudiant.es de leurs études pour les plonger directement dans le milieu professionnel privé. Je ne suis pas foncièrement contre ces diverses mesures, car le milieu académique ne doit pas non plus se couper totalement de la pratique ni du domaine privé. Cependant, une mise en balance doit s’effectuer entre l’objectif de formation professionnelle et l’objectif de formation intellectuelle. En ce moment, il me semble que la balance penche trop en faveur du premier et néglige le deuxième. En effet, ce débalancement est bien ancré à l’Université de Montréal comme le témoigne cette phrase dite par le recteur Guy Breton il y a quelques années : « Les cerveaux [doivent] correspondre aux besoins des entreprises » [3]. Ne voulons-nous pas plutôt des cerveaux indépendants et conscients des enjeux sociaux relatifs à leur domaine d’étude? Ainsi, l’université devrait cultiver son autonomie face aux entreprises ainsi qu’aux pouvoirs et non une proximité avec celles-ci. Cette distance permettrait de préserver l’indépendance nécessaire afin de créer des savoirs plus riches. La pensée critique devrait être le corollaire de la Faculté de droit. Je le conçois, diverses opportunités sont présentes à la Faculté pour que les étudiant.es la développent, comme ce journal étudiant, les colloques et conférences ou encore certain.es professeur.es et chargé.es de cours qui débordent de la matière pour nous amener certaines réflexions approfondies. Néanmoins, ces cas de figure ne représentent pas une image fidèle de la philosophie que véhicule la Faculté. En effet, la dynamique dominante est bien celle d’une marchandisation qui teinte toutes les sphères de la Faculté de droit. [1] 3 questions pour comprendre : la marchandisation de l’éducation, Yasmine Mehdi, La Rotonde, 27 février 2017. [2] Économie du savoir - L'université n'est pas une entreprise, Éric Martin, Le Devoir, 26 octobre 2011. [3] Ibid.


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