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Mathilde Romano et Hubert Nunes

L’épopée de la réforme du PEQ ou quand la solidarité est vectrice de changements


PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE


Au moment d’écrire ces mots, s’achève pour beaucoup d’entre nous une semaine riche en émotions. Pour cause, la modification du règlement sur l’immigration, qui changeait les critères d’admissibilité au programme de l’expérience québécoise (PEQ). Si avant la semaine du 4 novembre, seules les personnes concernées et les initiés avaient connaissance de ce PEQ, il est désormais tristement célèbre de par les nombreux rebondissements qui ont finalement abouti à la suspension temporaire des modifications. Le PEQ est une procédure accélérée et simplifiée d’obtention du certificat de sélection du Québec (CSQ), première étape vers la résidence permanente. Initialement accessible à un grand nombre d’étudiants et travailleurs déjà en territoire québécois, il avait été modifié pour n’être accessible qu’à certains programmes d’études et certains emplois [1] . Ces listes, établies dans le but de mieux arrimer l’immigration aux besoins du marché, en plus d’être très restrictives, s’appliquaient de manière rétroactive. Si les changements étaient officiels depuis le 30 octobre, ce n’est qu’en début de semaine du 4 novembre que la lumière est faite dans les médias sur ces changements. Se sont alors ensuivies de grandes mobilisations à travers de nombreux milieux, dont celui des affaires, des médias, des universitaires ainsi qu’au sein de tous les partis d’opposition pour dénoncer cette réforme. On lui reprochait notamment d’adopter une vision très étroite de l’éducation et des besoins du marché, dans un contexte général de pénurie de main d’œuvre. De plus, elle fermait la porte à de brillants étudiants et travailleurs, parfaitement intégrés et francisés. Tel était le cas d’Aarav Patel (nom substitué), étudiant international récemment diplômé d’une maîtrise en génie industriel de l’Université Concordia. Désirant résider au Québec de manière permanente, il devait obtenir un CSQ, pour ensuite formuler une demande de résidence permanente au niveau fédéral. En tant qu’étudiant diplômé d’une université québécoise, Patel respectait toutes les conditions du PEQ, sauf celle du niveau intermédiaire avancé en français. Pour y remédier, il avait déjà suivi des cours de français et prévoyait de continuer cet apprentissage à court et moyen terme. Son permis de travail venait d’être renouvelé jusqu'en octobre 2021. Or, la réforme proposée aurait eu pour effet de complètement annihiler ses chances de devenir résident permanent du Québec, puisque son programme n’était pas inclus dans l’énumération des 218 formations admissibles. Ainsi, les efforts déployés par Aarav pour apprendre le français, mais également les rudiments de sa profession, se révélaient vains. Une perte, tant pour lui que pour la société québécoise, qui serait spectatrice de l’exil d’un travailleur de qualité. Aarav était une victime parmi tant d’autres, de l’insensibilité à l’égard des sacrifices humains, qui entourait cette réforme. Mais c’est la rétroactivité de ces mesures qui a initialement été source d’un fort sentiment d’injustice. L’avenir de milliers d’immigrants était remis en question, alors qu’ils avaient tout quitté pour s’établir au Québec. Si le gouvernement a commencé par faire preuve d’une grande fermeture, à coup de discours robotisés sur la nécessité d’arrimer l’immigration aux besoins du marché, une succession d’évènements témoignant de l’indignation générale et du manque de soin avec lequel les listes avaient été rédigées a permis dans un premier temps la promesse de l’insertion d’une disposition de droit acquis, puis le retrait total des modifications dans la journée du 8 novembre. La chronologie des événements nous amène à penser que c’est la révélation d’une multitude d’incohérences dans les listes admissibles au PEQ qui a finalement poussé le Premier Ministre à reculer totalement, en promettant une nouvelle mouture, élaborée en collaboration avec les acteurs concernés. Si cette nouvelle est extrêmement réjouissante, elle n’en demeure pas moins source d’incertitude, puisqu’il semble que les listes demeureront et il est impossible de prévoir ce qui s’y retrouvera. Nous ne pouvons qu’espérer que peu importe les changements, une clause grand-père sera insérée d’office. De plus, nous nous questionnons sur la capacité de telles listes à refléter réellement les besoins d’un marché en constante évolution, sans être source d’une incertitude telle, qu’elle rebuterait quiconque aurait pour projet de s’établir dans la belle province. Nous sommes également curieux de voir comment il sera possible de limiter l’accès au PEQ tout en tenant compte de la singularité des parcours de tout un chacun. Comment sera-t-il possible d’arrimer l’immigration aux besoins économiques du marché tout en préservant la diversité des parcours et personnalités qui font la richesse du Québec ? Nous n’avons pas les réponses à ces questions; mais soyez assurés, nous resterons vigilants en ce qui concerne la prochaine mouture du règlement et tout changement qui serait préjudiciable à notre communauté. Malgré tout, cette semaine nous aura beaucoup appris. En effet, si les évènements nous confirment qu’aucun droit n’est acquis, la mobilisation et la solidarité permettent, en revanche, d’accomplir de grandes choses et sont un moyen effectif de veiller à la sauvegarde de nos droits et valeurs ! [1] Aucun programme de droit ne s’y retrouvait. [2] Il est à noter que depuis l’écriture de cet article, les modifications ont été officiellement retirées par une publication dans la Gazette officielle du Québec - Partie 2, en date du 14 novembre. De plus, le Ministre Simon Jolin-Barrette a reconnu son erreur et a admis sa responsabilité dans les médias.


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