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Anne-Frédérique B. Perron

Protéger l’orignal pour protéger sa culture : le combat actuel de la nation algonquine anishinabeg


Il y a de ces personnes pour qui la saison qui succède l’été ne s’intitule pas automne, mais bien « saison de la chasse ». Comme à chaque année, plusieurs individus appelés « chasseurs sportifs » se préparaient vers l’équinoxe d’automne dernier pour aller en territoire de chasse dans l’espoir de mettre la main sur l’un des animaux effigies de ce loisir, l’orignal. Or, au même moment, aux abords des zones de chasse couvrant le parc La Vérendrye, des communautés algonquiennes anishinabeg se préparaient cette année à l’arrivée de ces chasseurs, bien décidées d’aller à leur rencontre. Cette initiative n’avait qu’un seul but, soit de faire entendre une cause qui est primordiale pour eux : la protection de l’orignal. Réellement inquiète de l’état actuel de l’animal, la nation anishinabeg revendique ainsi la tenue d’un moratoire sur la chasse sportive à l'orignal dans la réserve faunique La Vérendrye. Après avoir repéré l’affaire dans une des quelques plateformes l’ayant médiatisée, mille et une questions déroulaient dans ma tête. L’orignal ? Depuis quand cet animal est-il menacé ? Certes, tout le monde a entendu parler de la baisse alarmante de la population de caribous des dernières années… mais l’orignal ? Parmi ces Anishinabegs se trouvant à l’entrée nord du parc La Vérendrye en période de chasse, il y avait Lucien Wabanonik, porte-parole de la nation algonquine anishinabeg dans ce dossier. Au cours d’un entretien avec lui, monsieur Wabanonik m’informe que, bien que le gouvernement n’en arrive pas à un tel constat, sa nation observe un déclin de l’espèce depuis plusieurs années déjà : « On constate sur le terrain une diminution du cheptel, mais aussi une diminution de la qualité des bêtes. On peut parler de la santé et même de l’animal. Les orignaux sont moins gras à ce temps-ci de la saison. Il y a aussi les petits qui sont moins forts à la naissance. Quand la femelle mange moins bien, c’est sûr que cela a un impact sur l’affaiblissement des veaux. La qualité des habitats fauniques et la biodiversité aussi diminuent […] Cela perturbe la gestation de l’animal durant l’année et diminue le cheptel en conséquence ». Ces considérations, la nation en a fait part au ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour. Or, jusqu’à présent, il n’est pas question pour le ministre de mettre en place un moratoire. Celui-ci prétend n’avoir aucune donnée pour soutenir ce que rapporte la nation [1]. Pour Lucien Wabanonik, la position du ministre fait écho à une difficulté qui n’est pas nouvelle, soit celle de la reconnaissance du savoir traditionnel autochtone par les instances gouvernementales : « Souvent, il y a un conflit entre la connaissance traditionnelle et la connaissance occidentale. Le gouvernement préfère seulement regarder du côté occidental au niveau de la recherche et du savoir. Il y a une adversité de la part de certaines autorités et fonctionnaires provinciaux qui ne croient pas nécessairement aux connaissances qui proviennent de notre savoir. Ceci amène un énorme défi à surmonter de notre côté. On observe pourtant le territoire et les animaux depuis des temps immémoriaux […] Il y a des choses que le gouvernement ne tient pas en compte, mais que nos connaissances du territoire nous amènent à considérer. » Monsieur Wabanonik en vient même à faire un parallèle entre le dossier actuel et celui des caribous des bois [2]. Depuis des décennies, une baisse du cheptel de caribou était dénoncée, mais le gouvernement a agi à la dernière minute en attendant une situation de crise : « Si on en venait-là, je blâmerais le gouvernement sévèrement qui refuse que croire à notre savoir et de faire des recherches plus approfondies de ce qui se passe avec le cheptel de l’orignal ». Ceci dit, le ministre Dufour a invoqué la possibilité de faire un inventaire dans la réserve faunique [3]. Toutefois, une telle mesure est nettement insuffisante selon Lucien Wabanonik : « Il faut vraiment regarder à long terme. On ne peut pas seulement prendre une photo dans le temps et penser que ça va suffire […] La qualité l’habitat, la biodiversité, le climat, la qualité des eaux, ce sont des considérants importants qui peuvent avoir un impact à long terme. Ce qu’on demande, c’est un moratoire en priorité dans la réserve faunique La Vérendrye pour évaluer le cheptel et regarder quels sont les termes de références qu’on pourrait utiliser avec la collaboration du gouvernement pour faire une étude plus approfondie ». Il faut dire que sous les implorations répétées des Algonquins Anishinabeg se trouve un enjeu qui dépasse la simple survie d’un animal. Pour eux, l’orignal est un être primordial, une partie intégrante de leur culture : « On le considère comme un animal sacré, car il pourvoit à plusieurs de nos besoins, non seulement alimentaires, mais vestimentaires et même médicinaux. Il y a certaines parties du corps qu’on utilise pour soigner certains maux. Ce sont aussi un de nos totems au niveau spirituel […] C’est beaucoup plus large que la chasse : c’est une partie de nos traditions. » La chasse à l’orignal est un droit ancestral que possède la nation algonquine anishinabeg. Il s’agit souvent de droits mécompris par les allochtones, surtout lorsqu’il est question de droit de chasse parce qu’ils cherchent souvent à faire des parallèles avec la chasse sportive. Lucien Wabnonik précise qu’il est important pour les allochtones de faire la différence entre les deux, mais surtout, de faire preuve d’ouverture envers cette pratique éminente de leur culture; « La chasse n’a pas la même valeur pour nous. Je ne parle pas de valeur monétaire, mais plutôt au niveau de l’attachement et de l’élément spirituel. Il y a plusieurs animaux comme l’original qui sont au centre de notre spiritualité. Ce ne sont pas que des animaux pour nous, mais des êtres vivants qui ont tous des besoins comme nous les êtres humains. Ils ont tous leur place dans l’univers, dans notre cosmos, dans notre milieu. On a un lien très fort avec ces animaux. Plusieurs de nos membres ont la coutume encore de mettre du tabac à chaque fois qu’ils abattent un orignal en signe de respect pour lui. On remercie ainsi l’orignal pour permettre de nourrir nos gens. […] On ne voit pas cela du tout comme un sport nous autres. […] Il a une chose importante à retenir surtout, je pense : même si on a un droit ancestral, les gens ne chassent pas à l’année longue. C’est le cas pour la plupart de nos gens, car on respecte le cycle de vie de la femelle et tout. Les gens sont éduqués par rapport à cela et c’est important pour eux de respecter cela […] Ce ne sont pas toutes les familles qui chassent aussi. Si je regarde chez nous au Lac-Simon, c’est peut-être que 30-40% des familles qui chassent encore activement. […] Ce qui est important à préciser aussi, je pense, c’est au niveau du droit [...] Si jamais le cheptel était en perdition ou presque, avant qu’il ait un arrêt complet, nos droits ancestraux nous permettraient de continuer à chasser nous-mêmes, avec certaines règles bien sûr. On pourrait chasser même si la chasse sportive était arrêtée complètement pour un laps de temps déterminé. C’est important de le comprendre, ce droit. Nous sommes une culture différente et on demande simplement que cette culture soit respectée dans son ensemble. On demande aux gens d’avoir cette ouverture d’esprit comme nous l’avons eu antérieurement avec eux autres. »Malgré tout, Monsieur Wabanonik mentionne qu’il a été agréablement surpris d’observer que la majorité des chasseurs sportifs sur le terrain est d’accord avec eux et corrobore leurs dires : « Eux-mêmes sont inquiets. Ils comprennent la situation. Ils sont prêts à collaborer pour plusieurs […] Il y en a même qui ont dit « s’il faut arrêter, on va arrêter ». Ils comprennent que ce n’est juste bon pour nous, mais est aussi bon pour eux. »Dans un contexte de crise climatique, la question du savoir traditionnel autochtone demeure d’un intérêt croissant. Or, la présente cause nous rappelle que le sujet est encore source d’incompréhension voir de méfiance. Loin d’être inconciliable, le savoir traditionnel a la possibilité de contribuer considérablement à la science [4]. Le gouvernement actuel aurait donc intérêt à changer sa posture en se montrant plus à l’écoute de ce savoir. À cette époque où l’on parle de réconciliation, de regain de la culture autochtone après des années de dépossession, nos représentants manquent encore trop souvent de rendez-vous pour collaborer à la revitalisation de cette culture. Au final, à quoi sert-il de prévoir dans nos lois constitutionnelles des droits ancestraux si rien n’est fait pour que ces pratiques demeurent accessibles ?


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Sources :

[1] DESHAIES, Thomas, « Orignaux : le ministre invite la nation algonquine à collaborer avec les fonctionnaires », Radio-Canada, 2019

[2] CHAMPAGNE, Érice-Pierre, « Le caribou des bois plus menacé que jamais à Val-d'Or », Radio-Canada, 2019.

[3] LUNEAU, Anne-Claude, « Réserve faunique La Vérendrye : un nouvel inventaire aérien des orignaux en 2020 », Radio-Canada, 2019

[4] Les années lumières [émission radiophonique], Concilier la science et les savoirs autochtones, Radio-Canada, 2018


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