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Jérôme Coderre

So long, Andrew


PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE


Connaissez-vous Rick Ponting ? Sans doute l’un des meilleurs joueurs de cricket de tous les temps. Sportif accompli, il a été capitaine de la puissante équipe nationale australienne pendant ses années de gloire. Un vrai champion, et surtout, un grand leader. Vers la fin de sa carrière, Ponting commençait à traîner de la patte face aux plus jeunes et son étoile pâlissait tranquillement. En 2013, à la surprise générale, il a fait ce que peu d’autres ont fait : il a renoncé à son titre de capitaine. Oui, au lieu de s’entêter à rester et à tirer son club vers le bas à mesure que sa propre performance déclinait, il s’est récusé, reconnaissant que son équipe serait mieux dirigée par quelqu’un d’autre. Comme de fait, elle a renoué avec la victoire quelques années plus tard, sous la gouverne d’un autre capitaine. Au lendemain d’une élection qui a reconduit Justin Trudeau dans le siège de premier ministre, Andrew Scheer a annoncé qu’il resterait à la tête du Parti conservateur malgré la forte vague d’opposition à l’interne. On ne peut, certes, reprocher à Andrew Scheer de ne pas connaître l’histoire de Ponting, — je ne la connaissais pas moi-même avant d’écrire cette chronique — mais on peut sans doute se demander s’il n’aurait pas avantage à la lire, et surtout, à en retenir la morale. Retour en arrière. Andrew Scheer est devenu chef du Parti conservateur en mai 2017, le deuxième de l’histoire de ce parti fusionné et bâti par Stephen Harper. Dès le début de cette course à la chefferie, on savait très bien au Parti conservateur qu’on se choisissait un chef de transition. Pourquoi de transition ? Parce que c’est bien rare qu’un chef « premier ministrable » en remplace un autre, surtout quand le premier ministre en place semble irremplaçable à court terme. Et surtout, parce que c’est illogique d’envoyer le meilleur candidat à la tête du parti après deux ans seulement dans l’opposition, alors qu’on était au pouvoir les dix années précédentes. Mieux vaut envoyer un chef ordinaire dans la gueule du loup pour éventuellement en nommer un meilleur quand les chances de gagner l’élection fédérale seront réelles. C’est cruel, je sais, mais ainsi est faite la politique. La course à la chefferie de 2017 était donc une bonne façon pour plusieurs candidats — ils étaient 13 en lice — de se faire connaître, mais sans qu’un seul véritable leader ne se dresse. En fait, le seul autre nom connu à l’extérieur des officines du Parti conservateur était celui de Maxime Bernier (!) qui a perdu face à Scheer par moins d’un pourcent. Plus encore, Bernier menait tout au long de la soirée, et c’est finalement grâce à une formule qui avantageait le « candidat le moins pire » que Scheer l’a emporté face à Bernier au treizième (!) tour. Déjà à l’étape des militants conservateurs, il n’y avait pas d’amour pour Andrew Scheer. C’est celui qu’on a choisi à défaut d’avoir mieux. La preuve ? Un sondage mené en 2016 auprès des électeurs conservateurs pour savoir qui serait le meilleur pour diriger le parti ne plaçait même pas Andrew Scheer parmi les neuf meilleurs candidats à ce poste. Malgré tout, Andrew Scheer a été élu chef. Au lendemain de sa victoire, John Ibbitson du Globe and Mail le décrivait comme « Stephen Harper 2.0, mais avec un sourire ». La réalité, c’est que Scheer n’a jamais été l’ombre de Stephen Harper. Ce même Harper n’avait même pas cru bon de lui donner une limousine de ministre, même dans le gigantesque conseil de 2011. Scheer n’a jamais été assez bon pour être ministre, donc c’est difficile de croire qu’il le serait comme premier ministre. Le principal intéressé se décrit comme un travaillant qui arrive à ses fins, non pas par le talent, mais grâce à son travail acharné. Tout cela est beau, noble même, mais la réalité est que la politique est trop difficile pour un travaillant non talentueux : elle a besoin de quelqu’un avec le flair politique. Ce manque de talent, on l’a ressenti pendant ses deux ans comme chef de l’opposition, alors qu’il avait le jeu facile de critiquer le gouvernement, mais n’est jamais parvenu à se démarquer. À preuve, jamais son parti n’a mené par plus de 3 % dans les sondages avec lui comme chef. Il faut dire, rien pour aider, qu’au moment où Scheer tentait de gagner en crédibilité, une campagne publicitaire « low budget » tournait en boucle, où l’on voyait le chef déambuler étrangement dans un parc, habillé comme un gars qui s’en va acheter ses clous dans une quincaillerie. Malaise sur toute la ligne. En fait, Scheer n’a jamais été prêt à être premier ministre. Et les résultats des dernières élections le démontrent à merveille. Si on regarde au-delà du vote populaire que son parti a gagné, on constate que les conservateurs ont fait des reculs dans 144 des 338 circonscriptions. 139 d’entre elles sont au Québec et en Ontario. C’est inacceptable pour un chef de parti aspirant à la victoire. Stephen Harper disait avec raison que pour gagner, le PCC devait réunir trois grandes classes d’électeurs : les conservateurs de l’Ouest, les Red Tories, puis les conservateurs progressistes de l’Ontario et des Maritimes, et puis les nationalistes du Québec, qui préfèrent la vision conservatrice décentralisée de la fédération, à l’opposée de celle plus centralisée libérale. Au terme de cette élection, il est clair que Scheer n’a réussi à convaincre que le premier groupe, de surcroît, celui qui pèse le moins dans la balance électorale. Son conservatisme social et son grand manque d’enthousiasme pour la cause environnementale lui ont fait perdre la branche progressiste du parti, ceux qui s’ennuient de Brian Mulroney ; et sa timidité à s’imposer comme vrai défenseur des intérêts du Québec a ouvert la porte à la montée du Bloc dans des circonscriptions que convoitait justement le Parti conservateur. Bref, avec Scheer comme chef, le parti se dirige en plein vers la renaissance du Reform Party : cantonné à l’Ouest, mais incapable de gagner une élection. Avant que cela n’arrive, Scheer doit faire preuve d’humilité et laisser sa place à quelqu’un de plus apte à diriger ce grand parti. C’est le temps pour Andrew de mettre son nom dans l’enveloppe rouge, avant même le vote de confiance au mois de mai. Espérons que la lucidité de Rick Ponting traverse le Pacifique et se rende jusqu’à Regina. Surtout que le parti n’est pas en manque de candidats de qualité, avec en tête, bien sûr, Peter MacKay, ministre senior sous Harper. Et pourquoi pas Caroline Mulroney ? Le Parti conservateur doit renouer avec son progressisme d’antan et elle est la meilleure personne pour l’incarner. Si le PCC aspire à gouverner bientôt, le temps d’agir est maintenant, et cette fenêtre d’opportunité passe inéluctablement par la démission d’Andrew Scheer. Le temps est venu pour un vrai bon chef au Parti conservateur.


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