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Lina Kobbi

En 2020, le droit a oublié de mettre son alarme


Source de l'image: https://lactualite.com/societe/3-agressions-sexuelles-declarees-sur-1-000-se-soldent-par-une-condamnation-pourquoi/


Un code civil et un code criminel. Une assemblée nationale où les député.es débattent pendant des heures. Le palais de justice de Montréal, dans lequel siège entre ses entrailles un juge ayant en main le marteau du président, marquant son jugement d’un coup sec. Tous des symboles de justice, n’est-ce pas ? Oui, en mon sens. Mais on ne parle pas ici d’une justice parfaite, loin de là. Une justice qui, malgré son immense importance et son succès à protéger les droits et libertés des citoyens québécois, a encore un bout de chemin à faire. Une justice qui devrait évoluer au même rythme que la société qu’elle protège. À mon avis, au moment où j’écris ces lignes, notre système juridique et judiciaire a encore des croûtes à manger pour être adapté à la réalité de ce 2020 que nous venons de déclencher.


Le Canada est tout fier de son système de santé gratuit pour les citoyens canadiens. Il n’est peut-être pas parfait (loin de là), mais, nous, au moins, nous ne payons pas, contrairement à nos voisins américains. On peut donc conclure que la santé, c’est super important pour les Canadiens, que les soins médicaux se doivent d’être accessibles à tous, indépendamment de leurs moyens financiers, non ? Pourquoi n’est-ce pas la même chose pour l’accès à la justice? Comment peut-on vraiment appeler ça de la justice quand on sait que trois Québécois sur quatre n’ont pas les moyens de défrayer le prix pour défendre leurs droits et qu’un simple procès judiciaire de deux jours peut faire naître une facture de plus de 10 000 $ ?[1] Les droits et libertés prévus par la Charte sont-ils exclusivement à la portée de la bourgeoisie ? Nous savons qu’il y a d’autres moyens que d’aller devant la cour – l’arbitrage, la médiation, etc. Mais en sachant que l’avocat moyen chargeait 171 $ par heure en 2008 (2008 !)[2], il est difficile de s’imaginer que quelqu’un avec trois enfants, un paiement d’hypothèque, un sac de dettes étudiantes et un frigo à remplir peut s’adonner même à une méthode alternative de justice, donnant naissance à une facture salée. Je crois que nous avons besoin d’un système de solidarité collective afin de permettre à tous et toutes d’avoir les moyens de défendre leurs droits et libertés.


Illégalité des contrats de mère porteuse, de la polygamie, de la prostitution. Distinction entre les couples mariés et les conjoints de fait quand il est question de prestation alimentaire, de partage du patrimoine et d’autres mesures de protection. Aucune reconnaissance du droit à la vie et à la liberté des animaux, incluant les animaux de ferme. Tant de jugements de valeur qui, pour moi, sont nés de la vision personnelle du législateur, de sa conception des « bonnes mœurs » et des « mauvaises mœurs », héritage d’un passé religieux. À mon avis, le droit se doit d’être aussi impartial et inclusif que possible. Quand il est question de débats où la population est mitigée dû à des conceptions idéologiques différentes, je crois que les lois adoptées doivent toujours se ranger du côté le plus neutre, le moins dédaigneux et méprisant de la réalité de certains groupes de personnes. La justice se doit d’être offerte à tous, dépourvue de jugement fondé sur des choix de vie (tant qu’ils ne nuisent pas à autrui), du métier, ou de l’appartenance humaine ou animale. Devant la loi, nous devrions être tous égaux dans la mesure du possible, sans discrimination fondée sur des idéologies d’origine religieuse ou sociale.


Trois agressions sexuelles sur 1 000 se traduisent par une condamnation[3]. Dans ce lot de 1 000 personnes, les courageux et courageuses qui décident, malgré toute la stigmatisation, les risques et les tabous, de déposer une plainte, n’ont que 9 % de chance de goûter à la justice par un verdict de culpabilité[4]. Quel est l’élément de notre système judiciaire qui donne lieu à des chiffres aussi déprimants ? La réponse réside dans l’exigence de preuve « hors de tout doute raisonnable » au pénal. Dans la plupart des cas d’agression sexuelle, c’est souvent la parole de la victime contre celle de l’accusé – pas de témoins pour corroborer ce qui est dit, pas de blessure physique pour appuyer ses propos. Résultat ? 41 % des cas d’agression sexuelle sont jetés à l’eau par la Couronne[5]. Qu’en retenir ? Peut-être qu’il est temps de réviser nos règles de procédure et de preuve pour les cas d’agression sexuelle. Le fardeau de preuve demandé est extrêmement lourd – pour ne pas dire impossible – à porter pour les victimes, lesquelles doivent déjà prendre tout leur courage et détermination pour dénoncer l’évènement, surtout quand on sait que 43 % ne le déclarent pas par crainte que la police ne juge pas l’incident comme étant assez important[6]. Le système devrait faire tout ce qui est en son possible pour faciliter l’accès à la justice dans ces cas exceptionnels; les statistiques démontrent clairement la présente incompatibilité entre les règles de preuve au pénal et la réalité des agressions sexuelles. Il est donc temps de faire peau neuve à ce niveau-là.


On a du pain sur la planche. Le système judiciaire et le droit ne suivent pas le rythme d’évolution et la réalité de notre société et, pour moi, c’est aussi grave que de dire que le système de santé ne répond pas à l’apparition des nouvelles maladies (pourtant, nous voici en quasi-état d’alerte national pour un virus chinois qui n’a tué que cinq personnes aux États-Unis. Il est où, notre état d’alerte national pour le réchauffement climatique, qui a pourtant tué immensément plus que ça ?). Une manière de rendre le droit plus proactif serait peut-être d’implanter son apprentissage très tôt dans les bancs d’école, comme l’a suggéré le gouvernement Legault en remplacement du cours d’éthique et culture religieuse[7]. Ça permettrait aux jeunes générations d’avoir d’emblée une vision plus critique de notre système juridique en plus de remédier à la méfiance illégitime de la société envers les tribunaux. Ne dit-on pas que la jeunesse forme l’avenir ? Créons alors une armée de petits soldats prête à défendre l’évolution de la justice vers le meilleur, à se battre pour qu’elle protège chacun de ses habitants de manière équitable, indépendamment des jugements de valeur superflus.

Source de l’image : https://lactualite.com/societe/3-agressions-sexuelles-declarees-sur-1-000-se-soldent-par-une-condamnation-pourquoi/

[1] PROULX S., « La justice sans se ruiner », Les affaires, Octobre 2014, [en ligne], disponible sur https://www.lesaffaires.com/mes-finances/planification/la-justice-sans-se-ruiner/572664/2

[2] Idem.

[3] ROY M., « 3 agressions sexuelles déclarées sur 1 000 se soldent par une condamnation. Pourquoi? “, L’actualité, 19 octobre 2017, [en ligne], disponible sur https://lactualite.com/societe/3-agressions-sexuelles-declarees-sur-1-000-se-soldent-par-une-condamnation-pourquoi/

[4] Idem.

[5] Idem.

[6] Idem.

[7] FORTIER M., « L’abolition du cours Éthique et culture religieuse suscite du mécontentement », Le Devoir, 11 janvier 2020, [en ligne], disponible sur https://www.ledevoir.com/societe/education/570629/abolition-du-cours-ecr-une-eclatante-victoire-de-l-atheisme-militant


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