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Grecia Esparza, rédactrice en chef

L’effervescence de la voix des femmes latino-américaines

Photo par Santiago Arau (@santiago_arau)

Monumento a la revolucion, Mexico, 8 mars 2020


Lors de mon premier éditorial pour ce journal, je vous avais promis de parler des femmes. Voilà, nous y sommes. Parler des femmes, c’est large, vous vous dites, et vous avez raison. Alors, je vous parlerai des femmes latino-américaines, un groupe auquel je m’identifie. Car s’il y a bien une chose que je réalise depuis que j’écris, c’est que ma voix est plus forte, plus mienne, lorsque je puise dans mes propres expériences, dans mon vécu. En octobre dernier, j’ai passé quelques jours à Mexico pour visiter ma grand-mère paternelle. Nous marchions dans les rues de Coyoacán quand nous avons aperçu au loin la fameuse Casa azul, maison où Frida Kahlo a vécu une grande partie de sa vie et qui est maintenant un musée ouvert au public [1]. Je savais grand-mère fatiguée, mais elle a insisté pour qu’on la visite. Je n’ai pas contesté parce que s’il existe une personne encore plus têtue que moi, c’est bien mi abuelita. Elle m’a pris par le bras. Nous avons parcouru chaque salle en silence. Elle a contemplé chaque œuvre sans ressentir le besoin de commenter. À la fin de la visite, elle m’a demandé de prendre une photo d’elle devant la maison de Frida. Par le biais de son art, de ses toiles, Kahlo a peint avec justesse la souffrance, le corps mutilé de la femme. Pour les femmes mexicaines, Frida est celle qui fait rêver, celle qui n’a pas peur de sa sexualité et de son corps. Une femme qui, malgré les nombreuses épreuves, est restée forte et s’est imposée dans un monde réservé aux hommes. Si je vous partage ce moment avec ma grand-mère, c’est parce que je crois que son silence se traduit par bien plus que de l’admiration pour l’œuvre de l’artiste. Pendant trop longtemps, les femmes vivant dans les pays d’Amérique du sud – partout dans le monde devrais-je dire - ont vécu dans le silence. Souvent, les femmes latino-américaines sont décrites comme des femmes fortes, au sang chaud quoi. Mais au-delà de la sphère familiale, leur voix n’a pas été toujours été entendue. La prise de parole sur la place publique ne leur a pas toujours été destinée. Bien au contraire, à travers l’histoire, cela s’est avéré une occasion d’oppression et de censure. Or, au cours des derniers mois, un mouvement d’effervescence pour la cause féministe s’est propagé un peu partout en Amérique latine, mouvement qui n’est pas sans conséquence. Le 25 novembre 2019, le Colectivo LasTesis (@lastesis), par l’entremise d’un projet artistique, soit une chanson agrémentée d’une chorégraphie, a investi la place publique. Dans l’une de plus grandes manifestations au Chili résultant de la crise sociale qui secoue le pays, des centaines des femmes ont entonné et dansé au rythme des paroles suivantes :

“Y la culpa no era mía ni donde estaba ni como vestía el violador eres tú… El patriarcado es un juez que nos juzga por nacer y nuestro castigo es la violencia que ya ves feminicidio, impunidad para el asesino es la desaparición, es la violación” [2]

Ce projet a pour objectif de dénoncer la violence que subissent les femmes lors de ces manifestations, sachant que des policiers en profiteraient pour commettre des attouchements sexuels et des viols. D’une seule voix, des femmes d’autres pays de l’Amérique latine se sont jointes à leur chant de l’Argentine jusqu’au Mexique en passant par la Colombie, le Salvador et bien d’autres pays. Le 14 février, la mort de la jeune mexicaine Ingrid Escamilla a suscité une vague d’indignation et des nombreuses manifestations. Après avoir été poignardée par son conjoint, elle a été dépecée, éventrée, puis ses organes ont été jetés dans les toilettes de leur appartement, ces images ont été relayées par les responsables de la justice et de la police. Selon les plus récentes données de l’ONU, au Mexique, ce sont 10 femmes par jour qui perdent la vie en raison de leur sexe. Victimes de féminicide. Les manifestations se poursuivent, le 9 mars, une grève nationale a été convoquée afin de dénoncer les violences de genre. Le hashtag #UnDiaSinNosotras (#UnJourSansNous) est devenu viral, les femmes mexicaines souhaitent démontrer l’importance de ces dernières dans la société. Le 2 février dernier lors du Super Bowl, Shakira et JLo ont été les figures étoiles pour la mi-temps. Certains ont apprécié, d’autres, non. Dans un contexte politique hostile pour les communautés latino-américaines aux États-Unis, la voix puissante de ces femmes a dérangé. Pour ma part, je retiens les mots de Jennifer Lopez en conférence de presse : « When I think of my daughter, when I think of all the little girls in the world, to be able to have that and to see that two Latinas are doing this in this country at this time, it’s just very empowering for us. ». Enfin, pour ma part, je me joins à cette catégorie des femmes qui prennent parole à travers leur écriture [3]. Ainsi, je salue les femmes qui le font dans les rues ou qui arrêtent leurs activités le temps d’une journée. Ou encore, comme ma grand-mère, celles qui prennent le temps de se remémorer paisiblement ces moments de force grâce à une photo. Et alors, quel que soit la forme d’expression que leur voix prenne, laissons les femmes s’exprimer de la façon dont elles l’entendent.

—- Notes : [1] Pour les intéressé.e.s: une exposition sur le modernisme mexicain et l’œuvre de Frida Kahlo se tient au Musée National des beaux-arts du Québec, jusqu’au 18 mai. [2] Colectivo @LasTesis sur instagram La coupable ce n’est pas moi, ni mes fringues, ni l’endroit Le violeur c’était toi … Le patriarcat est un juge Qui nous fait taire pour mieux régner Et notre punition, c’est la violence réitérée Le féminicide, impunité des assassins C’est le viol C’est les coups de mon conjoint [3] Pour un autre exemple, d’une femme qui prend parole à travers sa plume, je vous invite à lire le percutant texte « Césars : Désormais on se lève et on se barre » de la romancière Virginie Despentes pour le journal Liberation.


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