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Grecia Esparza et Camille Savard

Entretien avec Frédéric Bérard : Une carrière en journalisme, une contribution à saveur démocratique



Notre Faculté, émergeant tout juste de la folle course aux stages, nous avons pensé à Frédéric Bérard, chargé de cours à la Faculté, qui répète souvent à ses élèves que l’on peut faire autre chose que de travailler dans un bureau d’avocat, qu’il est même permis de faire carrière ailleurs que dans le domaine du droit. Surtout, le plus important reste d’aimer ce que l’on fait. Nous l’avons interrogé sur ses nombreux voyages à l’étranger à partir desquels des reportages vidéo et des chroniques sont publiés. Q : Tout récemment, vous êtes passé par le Chili, le Brésil, la Colombie. Qu’est-ce qui vous motive à le faire ? Quel est votre but ? R : Je pense que de moins en moins le journalisme s’intéresse à ce qui se passe à l’international. Selon moi c’est un manque de ne pas pouvoir savoir ce qui se passe à l’extérieur, c’est important pour pouvoir faire des liens avec ce qui se passe ici, éviter les mêmes erreurs, faire du droit comparé. Un État de droit, ça s’évanouit très très très rapidement, ça c’est la première raison. La deuxième, bien franchement je suis rendu dans une étape dans ma vie où je commence à réaliser ce qui se passe au Québec, au Canada, c’est assez plate. Je pense qu’il y a des enjeux à travers le monde qui méritent plus d’attention, qui sont plus importants. On ne change pas la société à coup de petits canapés dans les cocktails ou salles de réunion…


Q : Selon vous, en rapportant l’information ici, avez-vous l’impression d’aider le groupe qui traverse la crise en offrant une forme de visibilité, ou plutôt d’aider les Québécois ? R : Je n’ai pas la prétention de dire que j’aide qui que ce soit, surtout pas celle d’aider des gens qui sont coincés dans une thématique là-bas. Je me dis que siça peut apporter un petit éclairage sur ce qui se passe et que l’on puisse en retenir une certaine leçon, c’est déjà bien. Et je sais que ce genre de reportage peut intéresser des Québécois qui sont d’origine chilienne, brésilienne. En même temps, je le répète, je n’ai pas du tout la prétention de les aider, mais tant mieux s’ils s’intéressent, tant mieux surtout s’ils voient ça comme une forme de respect pour ce qui se passe chez eux. De manière plus générale, je pense que si ça peut susciter des réflexions sur les dérives de l’État de droit, sur les dérives démocratiques, ne serait-ce qu’en se comparant avec ce qui se passe à l’étranger, tant mieux. Q : Les gens sont-ils généralement ouverts à vous parler? R : Je n’ai pas vraiment mémoire de cas précis où quelqu’un a refusé de me parler. Je ne fais pas ça pour la notoriété, pour gagner un prix Pulitzer, le but c’est vraiment d’établir une relation de confiance. Les gens se livrent de manière assez ouverte, je dirais. N’importe quel humain souhaite que l’on s’intéresse à sa situation problématique, en faisant des reportages comme ça, c’est un peu ça que je fais. Je m’intéresse à ceux et celles qui vivent des situations humaines difficiles du fait du politique et des situations économiques. Quand tu leur parles et que tu leur dis « raconte-moi ton histoire », c’est rare qu’ils disent non, au contraire ils veulent avoir un micro, ils veulent raconter et on est tous pareil, c’est la même chose au Québec. Q : Lors votre dernier voyage, quelle rencontre fut mémorable? R : Très facilement celle avec un petit gars qui s’appelle Gabriel, que j’ai rencontré dans une favela, justement en décembre dernier (Gabriel est le deuxième sur la photo à partir de la droite). On parle d’un petit gars qui veut devenir joueur de soccer professionnel parce que c’est peut-être sa seule manière de sortir de la favela, de se rendre à l’âge adulte. C’est aussi une des seules façons qu’il a d’éviter le crime organisé qui n’est pas seulement présent, mais qui contrôle la favela parce que l’État s’est complètement désengagé. Ce petit garçon-là qui doit avoir 15 ou 16 ans c’est pour moi un modèle de candeur, de résilience. Il est au courant de ce qui se passe dans la favela, il voit les AK-47, il a des amis qui sont décédés, malgré tout il reste d’un positivisme incroyable. Il a même dit qu’il aimerait devenir policier. Cette rencontre-là m’a bouleversé, je suis sortie de là ayant l’impression que c’était clair que je ne le reverrais jamais, à moins d’un renversement de tendance important, ce qui avec Bolsonaro, n’est pas près d’arriver. Q : Vos voyages, c’est aussi une histoire de confiance, vous comptez sur des gens pour vous guider dans certains endroits dangereux. Vous sentez vous toujours en confiance ? Avez-vous parfois l’impression d’aller trop loin, ou c’est plus tard que vous prenez conscience du danger ? R : Quand j’étais avec les gilets jaunes en France, j’étais vraiment en première ligne et personne ne me guidait là-bas, c’était assez fou. Au Chili avec les tanks, les militaires c’était assez fou aussi. D’ailleurs je me suis fait traiter de casse-cou par plusieurs personnes dans le domaine journalistique, il semblerait que je m’approchais trop. En gros, je sais que je sais que je suis kamikaze, je sais que c’est dangereux, je sais que ça pourrait mal finir. Les gilets jaunes un peu moins quand même, mais au Chili avec les armes c’était autre chose. Par exemple, au Brésil pendant que je terminais ma vidéo dans la favela, les gens avec qui j’étais m’ont dit que c’était le temps de terminer parce qu’ils n’étaient pas responsables des gens derrière qui pouvait décider de tirer, ne sachant pas qui j’étais. Tout ça, c’est des choses que je savais sur le coup ou dont j’étais conscient avant. Je ne pense pas que ce soit une question d’adrénaline, je me dis que pour que ça ait une valeur, il faut que ce soit dangereux un peu, autrement ça ne donne rien et si jamais il m’arrivait une bad luck ce serait ben plate, mais quelque part on appelle ça le destin et c’est tout, je ne me formalise pas trop de ça. Q : Vous vous retrouvez parmi des victimes, face à des drames humains, à des choses qui peuvent vous bouleverser profondément. Où est-ce qu’on trouve la force pour continuer le périple ? R : J’ai eu beaucoup de misère avec quelques voyages, mais mon dernier a été le pire, psychologiquement parlant je n’allais pas très bien, en plus c’était le temps des fêtes et j’étais à l’autre bout du monde à côtoyer la misère. Je dis misère, mais c’est plutôt de l’injustice, ce qui est encore pire. J’ai trouvé ça très tough, j’étais très ébranlé revoyant ma fille après. Le plus étonnant c’est qu’en quelque sorte, ça redonne un sens à ma vie professionnelle. Lorsqu’on voit des choses comme ça on a deux choix, soit qu’on ne le fait plus du tout parce que c’est trop difficile ou au contraire on justifie le fait que c’est nécessaire. J’ai failli laisser tomber quelques engagements au Québec pour rester plus longtemps et ne pas revenir. Je ne voulais pas revenir à Montréal parce que c’est à ce moment-là que tu réalises qui a pas mal de choses insignifiantes et c’est ça que j’essayais d’éviter en restant à l’étranger. Je parle seulement pour moi, mais on dirait que plus c’est difficile humainement, psychologiquement, plus tu considères que c’est d’autant plus nécessaire d’être là.


Q : Avez-vous un message pour les étudiants qui ont l’impression de chercher leur place dans le monde juridique ? R : Je me suis toujours dit que le droit ce n’est pas une finalité. Seulement un outil à des fins de justice sociale. Mon rêve c’est que les prochains juristes soient des architectes sociétaux, pas uniquement une chaîne supplémentaire à la machine.


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