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Noémi Brind-Amour-Knackstedt

Québec : entre tradition et révolution


En articulant la ligne éditoriale autour de la question identitaire, le Pigeon Dissident encourage le foisonnement de réflexions existentielles. Pour les juristes fidèles à la maxime latine dura lex, sed lex, l’identité se réduit à l’état civil. En sautant du côté de la politique, l’identité d’une nation se traduit par son unicité. Du point de vue sociologique, l’identité est perçue comme un ensemble de caractéristiques d’une personne qui influencent autant son comportement que ses relations sociales. Notre identité est donc indicible. Notre identité surpasse toute expression. Sujette à une interprétation large et généreuse, notre identité inclut autant nos expériences et nos valeurs, que notre culture et notre mémoire.

Si circonscrire l’ADN d’un seul être humain représente une mission fort complexe et délicate, imaginez donc l’analyse du génome de la société québécoise. La firme de sondages Léger a réussi haut la main ce pari audacieux en publiant en 2016 Le Code Québec : Les sept différences qui font de nous un peuple unique au monde (ci-après, « Code Québec »). Cet ouvrage dresse un portrait des Québécoises et des Québécois en sept traits.

« Les Québécois sont un mélange de folie latine (1. Heureux), de tolérance amérindienne (2. Consensuel), de flegme britannique (3. Détaché), d’obédience catholique (4. Victime), de ténacité nordique (5. Villageois), de créativité française (6. Créatif) et d’optimisme américain (7. Fier). » - Jean-Marc Léger, président de Léger et co-auteur du livre Code Québec

La nouvelle décennie, quant à elle, s’est amorcée par l’entrée en vigueur de l’examen sur les valeurs québécoises, un outil promulgué par le gouvernement caquiste destiné au contrôle de l’immigration. Ce test s’inscrit dans les objectifs de francisation et d’intégration, conformément au ministère de l’Immigration du même nom. Néanmoins, l’échec à cet examen n’entraîne pas systématiquement l’expulsion. En effet, il est toujours loisible d’effectuer une reprise ou bien encore de suivre une formation. En soi, le test n’est pas choquant dans la mesure où l’Ontario en comporte déjà un vis-à-vis l’obtention de la citoyenneté. En outre, pour préparer les nouveaux arrivants à ce test, le gouvernement Legault a publié en ligne le Guide pratique des valeurs démocratiques et des valeurs québécoises. Celui-ci résume lesdites valeurs à cinq piliers, lesquels sont la francophonie, la démocratie, l’égalité entre les sexes, les droits et devoirs des Québécoises et des Québécois et, enfin, la sacro-sainte laïcité. Si les caractéristiques énoncées par le Code Québec constituent l’identité des Québécois et des Québécoises selon la perspective sociologique, les valeurs édictées par le gouvernement provincial agissent à titre facteurs délimitant l’identité du fleurdelisé.

Alors, comment les qualités et les idéaux du Québec interagissent-ils entre eux ? Il faut également considérer les contradictions que trimballent la société québécoise. Le Québec, une société francophone Grand amoureux de la langue de Molière, le Québec multiplie les occasions pour promouvoir et protéger la langue française, que ce soit par l’entremise de la législation (Charte de la langue française), de concours (Délie ta langue ! par le Bureau de la valorisation de la langue française et de la Francophonie) ou à travers la culture. En effet, le Québec détient son propre répertoire culturel. Savoir apprécier le joual de Michel Tremblay, chuchoter la poésie d’Anne Hébert, fredonner les chansons de Fred Pellerin ou bien encore s’émouvoir devant les œuvres de Denys Arcand ou de Xavier Dolan.

La culture québécoise contribue amplement au bonheur des citoyens et des citoyennes. Hédoniste dans l’âme, le Québec profite des nombreux festivals comme les Francofolies et le Festival Juste pour rire pour propager sa contagieuse joie de vivre.

Or, le Québec demeure incertain. Par exemple, dans le Code Québec, grâce à une anecdote exquise, les auteurs décrivent « l’indécision chronique et l’extrême prudence des Québécois » en se remémorant de la réponse d’un Québécois à un sondage téléphonique de Léger. « Je ne suis plus certain si je suis encore indécis », avait prononcé le visiblement confus protagoniste. Le français amplifie ce détachement du Québec par l’utilisation des euphémismes, par exemple « Il fait pas chaud chaud » ou « Est pas laide ».

Le Québec est excessivement fier d’incarner la seule et unique société de langue française en Amérique du Nord. Et pourtant, bien qu’il soit un preux défenseur de la langue de la mère patrie, le Québec peine parfois à bien la maîtriser… Or, à sa défense, la langue française est riche en détails et en nuances, échappant même parfois à l’œil le plus fin qui soit. Le Québec, une société démocratique La Belle province, de nature et d’origine modeste, se targue cependant d’être une société libre et démocratique qui permet à la population d’exercer son pouvoir en élisant ses représentants et ses représentantes. De cette manière, chaque citoyen et chaque citoyenne participent concrètement à la vie démocratique.

En politique, en raison de la pluralité des partis et de cette démocratie dite représentative, le consensus règne. Le Québec craint l’extrême, c’est-à-dire le trop-plein d’intensité qui l’incite à se positionner en débalancement. Le gros bon sens prime les opinions droites et irrévocables. Contrairement aux anglophones des autres provinces et territoires canadiens qui jugent que le meilleur doit l’emporter, le Québec écoute les opinions de tous et vise l’atteinte d’un équilibre par la recherche du consensus. D’ailleurs, le gouvernement caquiste adhère à cette approche en adoptant des lois suivant l’idéologie du clientélisme. Durant les élections, comme le remarquait le politologue Jean-François Caron, « les Québécois ne savent pas débattre ; ils s’insultent ou se contentent de cataloguer les individus au lieu de discuter ».

Étant une société tricotée serrée, le Québec souhaite par-dessus tout éviter la chicane ainsi que les grands débats publics. « La province de Québec n’a pas d’opinions, elle n’a que des sentiments », déclarait Wilfrid Laurier, premier francophone à exercer la fonction de premier ministre du Canada. En fait, selon le Code Québec, la province bleue s’attarde bien davantage aux instruments utilisés par le gouvernement que ses objectifs et l’évaluation des résultats.

Bien que les Québécois soient des acteurs reconnus dans le système démocratique, si jamais les choses tournent au vinaigre, ils n’en seront jamais responsables. Le bouc émissaire, c’est le gouvernement. Si vous demandez à un Québécois en qui il a le plus confiance entre son coiffeur et le gouvernement actuel, celui-ci optera probablement pour le professionnel capillaire. Et il est indéniable qu’une coupe inhabituelle survient nettement plus souvent qu’un faux pas étatique.

En réalité, tel un adolescent aux prises avec un parent surprotecteur, les Québécois et les Québécoises pestent contre les politiciens et les politiciennes de façon très créative. En même temps, ils s’attendent à ce que l’État-providence subvienne à leurs besoins, notamment, en élaborant des politiques luttant contre la pauvreté, en aidant les familles les plus vulnérables, en assurant une éducation de qualité supérieure et en encourageant la langue française. Le Québec fait figure de victime.

Du côté de l’électorat, les générations s’entredéchirent également à coup de « Ok boomer » et « Tu m’en reparleras quand tu auras l’expérience que j’ai ». Plutôt que d’engager une saine conversation, bien que ce soit difficile lorsque les deux parties sont aux prises avec des bouchons de cérumen, les Baby-Boomers, les Milléniaux et la Génération X se blâment mutuellement, tous convaincus qu’ils détiennent une sagesse infinie et LA véritable vision. Avons-nous oublié le bon vieux dicton « Pas de chicane dans ma cabane » au chalet de Ricardo ?

Autrefois, la faute incombait à l’Église. Aujourd’hui, l’État porte le chapeau. Et c’est toujours le Québec en entier qui en subit le préjudice.


Le Québec, une société qui prône l’égalité entre les sexes De nos jours, le Québec s’illustre en tant que société matriarcale désireuse d’éliminer la discrimination basée sur le sexe et sur le genre. Toutefois, cela n’a pas toujours été le cas. Il faut se rappeler avec vigueur que le Québec a été la dernière province à octroyer le droit de vote aux femmes…

En vertu de l’article 393 du Code civil du Québec, en mariage, chaque époux conserve son nom dans l’exercice de ses droits civils. Ce choix du législateur en 1981 a ainsi mis fin à la coutume selon laquelle l’épouse devait prendre le nom de son mari.

Néanmoins, l’égalité hommes-femmes est loin d’être atteinte au Québec. Au cours des trente dernières années, il y a eu le massacre de Polytechnique du 6 décembre 1989, l’attentat du Métropolis sur Pauline Marois, première femme à être élue en tant que première ministre du Québec, bien que ce dernier ait été motivé par des enjeux politiques…

Soyons tout de même optimistes. Montréal a eu sa première mairesse, Valérie Plante. De plus, désormais, certains arrondissements comme Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce ont adopté un programme de subvention pour l’utilisation de couches lavables et produits d'hygiène féminine durables.

Le Québec est également plus ouvert et tolérant que la majorité des Canadiens. Par exemple, la nation québécoise est plus favorable à l'avortement, les couples sont plus enclins à vivre en union libre (bonjour les conjoints de fait, mention honorable à l'affaire Éric c. Lola), etc. Le Québec, une société dont les citoyens et les citoyennes jouissent de droits et d’obligations Même si le Québec est davantage mué par le plaisir que par le devoir, il demeure que le Québec rugit comme un lion en ce qui concerne la gratuité de son système de santé, du système de garderies (CPE) et de la redistribution de la richesse. Ce sont ses droits.

Bien entourée et bien encadrée grâce à divers programmes de subventions, la fibre créatrice et entrepreneuriale du Québec se manifeste autant à l’échelle locale que sur la scène internationale. Pensons à Moment Factory, le Cirque du Soleil ou encore la conférence C2 Montréal.

Le Québec est revendicateur, et ce, peu importe s’il compte se prévaloir des droits qu’il réclame. Effectivement, les Québécois et les Québécoises joignent leurs forces pour la gratuité universitaire et l’accès à l’éducation, or, en 2018, le Québec correspondait à la province canadienne avec le plus haut taux de décrochage. Le Québec, une société laïque Ayant été longtemps - trop longtemps - sous le joug du clergé catholique, il apparaît naturel que le Québec désire autant s’en libérer. Au cours des dernières années, le débat sur les accommodements raisonnables, la commission Bouchard-Taylor, la Charte des valeurs québécoises (projet de loi n° 60) et, dernièrement, la Loi sur la laïcité démontrent l’importance de la séparation de l’Église et de l’État, voire même la nation dans son entièreté.

Le Code Québec révèle d’ailleurs les racines québécoises de l’expression « accommodement raisonnable », laquelle témoigne de l’esprit consensuel de la province francophone.

Le Québec n’est pas aussi raciste que le sont les États-Unis de Trump ou bien le Front national français. Toutefois, à défaut de fréquenter les communautés victimes de xénophobie et de posséder des connaissances approfondies sur les enjeux religieux, le Québec se méfie. Le plus récent attentat terroriste correspond à l’attentat de la Grande Mosquée de Québec, une tuerie perpétrée par un Québécois et non par un « osti d’islamiste ».

Le Québec s’apitoie sur son propre sort, convaincu que sa culture sera engloutie par un amas d’étrangers aux croyances différentes des siennes. De façon réaliste et raisonnable, sur l’ensemble des 512 296 personnes immigrantes admises entre 2008 et 2017, 375 518 résidaient encore au Québec en janvier 2019. L’an dernier, l’Institut de la statistique du Québec a recensé 8 484 965 Québécois et Québécoises. En opérant un simple calcul de division, il est possible d’obtenir un ratio de 0,044 %. En bon québécois, « on se calme les fouffes ».

Le Québec considère que l’immigration est, en réalité, positive dans la mesure où les futurs citoyens et citoyennes se plient à sa loi et ses coutumes. En revanche, une fois l’essence québécoise adoptée, c’est-à-dire l’appréciation de la poutine, l’émerveillement devant les chansons d’ici, l’engouement pour les plaisirs hivernaux et bien d’autres encore, le Québec se serre les coudes et ainsi survit la solidarité qui unit la nation. À titre de conclusion, le Québec tient éperdument à ses traditions. Une telle fierté envers son épopée, ses immenses victoires et ses nombreuses défaites le poussent à rêver d’innovation et de révolution. Chaque chose en son temps. Québec, je t’aime et, surtout, lâche pas la patate. —— Sources : Jean-Marc LÉGER, Jacques NANTEL et Pierre DUHAMEL, Le Code Québec - Les sept différences qui font de nous un peuple unique au monde, Montréal, Éditions de l’Homme, 248 p. GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Les valeurs démocratiques et les valeurs québécoises exprimées par la Charte des droits et libertés de la personne - Guide pratique, 2020, [En ligne]


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