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Hubert A. Nunes

Chronique philo


Dans le climat d’anxiété généralisée de la Faculté de droit, il m’apparaît pertinent de partager une philosophie d’intérêt public : le stoïcisme. À défaut de vous promettre un stage, il vous garantira une sérénité indiscutable. I. Le stoïcisme Le stoïcisme est caractérisé principalement par une rejection du plaisir comme standard du bonheur. Bon j’avoue, niveau marketing, ce n’est pas le lifestyle le plus alléchant. Mais attendez ! La partie deux vous choquera ! D’abord, j’aimerais que vous rangiez dans le placard l’adjectif stoïque, qui n’a que très peu de rapport avec notre sujet à l’étude, voire pas du tout. Sémantiquement, ils se ressemblent autant que le mot épicurien compris dans son sens moderne et celui dans son sens philosophique, qui prône non pas la multiplication des plaisirs, mais plutôt une vie éloignée d’un quelconque excès, qu’il soit relatif au plaisir ou à une autre passion de l’esprit. Vous seriez surpris de constater que le sens du mot « épicurien » s’est tellement éloigné de son sens originel qu’il en est presque devenu l’antonyme. Cet obiter terminé, il convient de revenir aux bases. La pensée stoïque considère comme sage celui qui vit en accord avec la nature. Ce concept de nature s’articule comme étant le rapport du sujet avec le monde qui l’entoure, suivi de la détermination de sa place dans celui-ci. Le stoïque se contente alors de vivre conformément à sa mission et s’assure de la mener à bien jusqu’à son plus haut potentiel. Il n’a pas peur de la mort, de la souffrance ou de la pauvreté; la seule chose qu’il craigne, est d’abdiquer sa responsabilité morale et ainsi devenir moins qu’une personne complète. Selon la doctrine stoïque, les seules choses auxquelles un individu devrait sérieusement porter attention et concentrer ses efforts sont celles relevant de sa sphère d’influence. On ne peut pas contrôler la température, l’arrivée d’une maladie ou encore le délai extrêmement court associé à l’inscription d’un parrainage de la course au stage (avec un seul « s », car qui a besoin de plusieurs stages… je suis ouvert à signer une pétition pour modifier l’orthographe communément admise). La seule chose véritablement sous contrôle est soi-même. Mais il y a plus encore. Selon ce courant de pensée, la personne sage est celle qui est en parfait contrôle d’elle-même, c’est-à-dire qui assume pleine et entière responsabilité à l’égard de ses actions au fur et à mesure de son existence : tandis que le juge de common law est créateur de droit, le stoïque est créateur de sens. Celui-ci est indifférent à tout le reste, non pas parce qu’il fait peu de cas de son entourage ou des événements qui l’entourent, mais tout simplement parce qu’il reconnaît les limites de son contrôle. Une citation de Ralph Waldo Emerson, sans qu’il soit stoïque lui-même, illustre succinctement cette pensée dans son style littéraire au penchant spirituel : « Greatness is the perception that virtue is enough » (désolé Pauline Marois, je ne pouvais adéquatement transcrire le sens d’une citation en périphérie de la langue de Molière autrement). Bien sûr, ce parti pris fait fi d’écrits philosophiques et politiques subséquents qui rejettent la thèse selon laquelle nous sommes maîtres de la prison qu’est notre conscience. Il va de soi que celle-ci est modelée à un certain degré par notre classe sociale et notre vécu; il est cependant inexact de qualifier d’automates les sujets de droit. Autrement, pourquoi prévoir un régime de responsabilité pénale fondé sur notre capacité d’agir en fonction de notre compas moral ? II. Ses manifestations modernes Cette idée de sphère de contrôle a été réitérée en long et en large par d’innombrables self-help books, notamment par les auteurs Victor Frankl, Steven Covey, Tony Robbins ou encore Gary John Bishop dans un de ses derniers livre au nom très évocateur; ils ont tous une saveur de stoïcisme. Même le best-seller vendu sur Amazon de Jordan B. Peterson comporte des règles de conduite empreintes de stoïcisme, par exemple celle de se comparer à qui l’on était hier et non pas de se comparer à autrui aujourd’hui. C’est comme si la sagesse des Anciens était non seulement utile, mais surtout avérée d’un point de vue empiriste ? J’en conviens, l’idée n’a rien de révolutionnaire et notre culture occidentale, axée sur l’épanouissement personnel à son meilleur et axée sur la recherche du profit à son pire, en fait un véritable truisme implicitement connu dans notre conscience collective. N’en demeure pas moins que la valeur d’une telle philosophie est de facto inestimable en ce qu’elle a un caractère intemporel. C’est tout l’intérêt de la philosophie en ce qui me concerne… De cette doctrine dérive la notion communément appelée en entreprise de proactivité, génératrice de structure et d’efficacité et pourfendeuse de conflits embryonnaires. En fait, l’individu proactif est celui qui est prévoyant, mais surtout qui prend une responsabilité totale par rapport à sa vie. Le sens de son existence se construit au fur et à mesure de ses actions concrètes et pragmatiques visant une finalité légitime, compris comme une forme d’épanouissement à long terme. Elle a le mérite de mener à bien une vie à tout le moins responsabilisante qui évite de rechercher des causes externes pour justifier l’inadéquation entre ses désirs et la réalité, si vous me permettez de citer Thanos. L’idée de proactivité n’est qu’une interprétation actualisée et réductrice du stoïcisme; autrement dit une version 2.0. Sans être la version bêta, le stoïcisme doit être davantage compris comme un langage à part entière pour exprimer le potentiel du génie humain, de la même manière que le langage juridique peut surprendre par sa « texture ouverte » quand il est occupé à élaborer le droit de concert avec les tribunaux… dédicace spéciale à ceux qui subissent le cours d’interprétation avec moi cette année. La seule véritable crainte du stoïque est de devenir esclave de désirs; il a peur de l’hédonisme, et par extension il redoute l’appel invitant des Law Games. Pour illustrer, un étudiant en droit réceptif à cette pensée ne swiperait pas sur Tinder à la bibliothèque. En effet, le stoïcisme repose sur la prémisse que chacun est doué de raison, mais surtout que chacun est capable de résister à un éventuel excès de plaisir qui ne nous est d’aucune utilité, voire qui est destructeur. Je pense par exemple à l’addiction, quelle que soit son origine. Dans le pire des cas, il y a l’addiction physique à une drogue dure tel le fentanyl faisant ravage actuellement dans l’Ouest canadien, où le problème outrepasse une capacité de contrôle individuel propre à chacun et prend alors des proportions sociétales. Un individu happé par une addiction aux drogues dures n’est plus que l’ombre de lui-même; on ne peut plus parler de souveraineté décisionnelle, fondement d’une vie relativement stable. Ce courant ne leur est malheureusement d’aucune utilité pratique; les règles biologiques régissant notre corps à l’origine de la régulation de la dopamine ont préséance sur toute règle morale, aussi fondamentale soit-elle, dans la mesure où notre cortex préfrontal est tributaire d’un minimum d’équilibre hormonal. Il est vrai qu’une telle façon de concevoir notre environnement peut être perçu comme individualiste. Après tout, il fait porter un lourd fardeau à chaque citoyen réceptif à ces principes, exception faite des personnes dépendantes telles les enfants et les majeurs inaptes. Cependant, au sein même de cette philosophie s’élabore une pensée favorisant le bien commun. Plus particulièrement, tous les stoïques, que ce soit Sénèque, Marcus Aurelius ou encore Épictète, sont d’accord sur le fait que leur philosophie se base sur la croyance que la vertu morale, comprise comme une conscience morale dirigée vers le bien, qui poursuit une finalité bénéfique à soi et à l’intérêt public, se suffit à elle-même.


En ce sens, il s’agit d’un excellent guide de vie pour un homme politique. Peut-être faut-il envoyer un exemplaire des Méditations de Marcus Aurelius à Simon Jolin-Barrette ? III. Sa pertinence actuelle L’intérêt principal du stoïcisme, à mon sens, est qu’il pallie un vide récurrent dans la société moderne. J’aime imaginer ce vide collectif comme le Mind Flayer dans la série Stranger Things : il nous guette depuis la pénombre et se manifeste sous la surface de notre quotidien. Nietzsche avait prédit dès le XIXe siècle l’effondrement des institutions religieuses et, par voie de conséquence, l’annihilation de son impact spirituel sur la culture occidentale. À défaut d’être tolérante, la religion créait réellement un tissu social selon Bergson, contrepoids à la menace de la dissociation provenant de l’intelligence humaine. Sur une échelle locale, on observe que suite au désenchâssement de la religion chrétienne associée à la révolution tranquille au Québec, certes prélude heureux et nécessaire de l’accès à l’égalité des femmes, se sont posées les bases d’une société aux penchants relativistes. La tolérance ne doit pas être confondue avec le laisser-faire culturel qui comporte des dérives dangereuses. La nouvelle souplesse des mœurs modernes conduit parfois à un effacement de valeurs jugées fondamentales et donc à une perte de repères identitaires (voir l’apparition de repères sous le chapeau d’identity politics, de la gauche comme de la droite actuels). En fait, toute la difficulté tient du fait qu’il est très difficile d’être comblé spirituellement par une approche athée voire agnostique, plus permissive dans ses croyances. Sans dire que la morale ne peut exister sans religion, son absence peut être comblée par une pensée paresseuse en argumentation, mais extrêmement solide en philosophie : le scepticisme. La ligne à ne pas franchir est floue, et se manifeste par le recours à des sophismes dignes de Protagoras. Philosophe préféré des plaideurs, il a notamment dit « L’homme est la mesure de toute chose ». Ce n’est pas pour rien que de nombreux milléniaux font face à une crise existentielle : on n’hérite plus de la spiritualité, on doit dès lors la rechercher. Le stoïcisme s’inscrit donc dans une volonté de créer un sens à son existence parfois tragique, sens qui est infusé dans notre vie de tous-les-jours à travers ses actions concrètes. Sans vouloir être dramatique, il est extrêmement difficile de continuer d’avancer et de demeurer optimiste quand le drame cogne à la porte de manière imprévisible d’un point de vue relativiste. L’ironie suprême du stoïcisme aura voulu que ses principaux auteurs, Marcus Aurelius et Sénèque, soient respectivement empereur absolu et esclave asservi. Cela illustre le caractère égaliseur de la philosophie, de même que son appel universel : effectivement, comment pourrait-on mieux représenter une pensée qui a le potentiel de concerner à ce point tous et chacun ?


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