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Jérôme Coderre

La mauvaise et inquiétante distanciation sociale




Au rythme où la nouvelle évolue, je suis probablement en retard sur celle-ci. Vous m’en excuserez.


Cette période de quarantaine imposée m’amène à réfléchir sur ce virus planétaire préoccupant, mais aussi sur des maux plus grands qui nous affligent, soit la paranoïa outrancière et le commentariat politique irréfléchi. Alors que nos yeux sont rivés sur les chaînes de nouvelles en continu pour suivre les développements de la COVID-19, je prends un pas de recul pour analyser le monde et les gens qui m’entourent, au moment où justement, la sortie de crise ne peut être que collective.


Dès le début de cette crise, deux camps se sont rapidement formés, d’un côté celui des insouciants et de l’autre, celui des affolés. Autant le premier est menaçant pour la contagion du virus et contrevient aux efforts collectifs de distanciation sociale ; le deuxième entraîne sournoisement l’effritement de nos liens sociaux. Sans le réaliser, le lobby des anxieux crée lui aussi une distanciation sociale, celle, néfaste et permanente, dont on ne veut pas, particulièrement en temps de crise. C’est de ce deuxième groupe que je veux parler, celui qui oublie que la décence civile doit demeurer.


C’est donc RDI, CNN et autres qui m’informent et me divertissent ces jours-ci. Malgré la multitude d’informations qui nous entoure, je constate que pour certains, la simple écoute ne suffit pas. Au contraire, chaque nouvelle est l’occasion de commenter et d’analyser la situation du Coronavirus. L’information, relayée à la vitesse de l’éclair sur les médias sociaux, s’accompagne trop souvent d’un petit commentaire qui, au fond, n’ajoute rien de pertinent. J’ose croire que c’est la peur, mélangée à une forme d’excitation de vivre un moment historique qui pousse les gens à parler de ce virus si souvent et avec autant de passion, mais il demeure que cela ne fait que nourrir l’anxiété et l’épouvante collective, surtout en raison du ton alarmiste utilisé abondamment.


De plus, rarement ai-je assisté à autant de propos mal rapportés et de faits tellement détournés qu’on en perd l’essence. L’information est un pouvoir, oui, mais celle qu’on consomme depuis les réseaux sociaux me semble plus nuisible qu’autre chose. Sans compter ces gens qui, plus malins que les autres, sentent absolument le besoin eux aussi, de faire un peu la nouvelle ; d’y contribuer en ajoutant « l’information exclusive », obtenue d’un proche. Généralement, ces informations peu fiables n’ont pour effet que d’effrayer davantage. Le sensationnalisme est déjà présent par la force des choses, inutile d’en rajouter. Le résultat de tout cela est une crainte croissante et inutile.


C’est justement cette même hystérie saugrenue qui poussait, symbole de la bêtise humaine, des gens à acheter du papier de toilette en quantité astronomique la semaine dernière. À moins d’avoir manqué la nouvelle disant que l’accès aux épiceries serait interdit pendant 1 mois, je n’arrive tout simplement pas à concevoir le pourquoi de tout cela. Faire quelques réserves de nourriture, ça va. Se préparer comme un survivaliste prêt à affronter la fin du monde ? Cela relève de l’absurde et ne fait qu’accentuer la pression sur les magasins d’approvisionnement. En plus, depuis quand le papier de toilette est-il devenu une ressource essentielle ? Cela a suffi pour me rappeler que l’idiotie humaine me tuera bien avant le Coronavirus…


Je m’inquiète aussi présentement en raison des attaques frontales et acerbes que je constate depuis quelques jours, alors que les gens s’insultent mutuellement pour leurs actions en ces temps anormaux. Les consignes de confinement doivent être prises au sérieux, c’est l’évidence. Mais insulter un ami d’avoir osé revenir en classe alors que les mesures de quarantaine n’étaient pas encore effectives, ou d’être allé visiter un proche sans en connaître tout le contexte n’aide en rien à stopper la contagion et ne fait qu’aggraver l’état de nos relations sociales.


J’imagine que c’est le fait d’être isolé qui rend les gens si impulsifs et écervelés, mais vraiment, le virus de l’animosité abjecte est en train de multiplier ses victimes. Argument anachronique certes, mais les temps de crise qu’on lit dans les livres d’histoire me semblent avoir été traversés de façon beaucoup plus euphonique que ce à quoi j’assiste présentement. Tout cela est profondément dommage parce que ce moment en appelle pourtant à une nécessaire harmonie.


Le commentariat politique et le lynchage de Justin Trudeau


Au cours des derniers jours, j’ai aussi constaté autour de moi une agressivité se matérialiser quant aux analyses politiques de nos gouvernements, particulièrement envers celui de Justin Trudeau. Loin de moi l’idée d’affirmer que nos gouvernements ne devraient pas être critiqués en temps de crise, au contraire, c’est le genre de moment où les leaders doivent se lever ; mais compte tenu des temps extraordinaires que nous traversons, je crois que davantage d’indulgence à l’endroit de nos dirigeants serait bienvenue, dont le travail, rappelons-le, est loin d’être évident.


D’autre part, je condamne fortement les critiques injustifiées que je lis à propos de notre premier ministre fédéral. Son travail est loin d’être parfait, j’en conviens, mais il ne mérite pas les roches qu’on lui lance. Déboulons ensemble quelques mythes à son sujet.


1) Justin Trudeau aurait dû fermer les frontières avec l’Europe plus tôt Cette critique comporte une part de vérité considérant qu’avec ce virus, chaque décision est prise trop tard. En effet, le facteur exponentiel de ce virus fait en sorte que les gouvernements sont toujours réactifs et non proactifs face à la contagion. Une étude (1) révélait d’ailleurs que si la Chine avait pris chaque décision une semaine plus tôt (autrement dit, que son calendrier face à la crise avait été décalé d’une semaine), il y aurait eu 66% moins de personnes contaminées. C’est impressionnant comme statistique, mais cela ne surprend personne vu la nature de ce virus. Toutefois, critiquer Trudeau d’avoir attendu pour prendre cette mesure fait état d’un grand manque de compréhension de la situation géopolitique actuelle.


Interviewé dimanche matin au micro de Fareed Zakaria, l’ancien premier ministre du Royaume-Uni, Tony Blair, était appelé à commenter la situation actuelle avec la crise économique de 2008. Selon lui, la différence majeure entre ces deux crises tient à la qualité des communications entre les dirigeants mondiaux. En 2008, les leaders se parlaient et prenaient des décisions concertées. Aujourd’hui, nous avons un président américain qui n’en fait qu’à sa tête. C’est d’ailleurs en ne consultant et n’avisant personne que Donald Trump a décidé de fermer sa frontière avant tout le monde. Résultat : une confusion totale au sein des pays visés par cette mesure ; des attroupements monstres dans les aéroports américains, qui, visiblement, n’étaient pas prêts à une telle annonce ; et des millions de voyageurs pris par surprise et plongés dans le plus complet des brouillards. La mesure était rapide, mais justement, trop rapide.


Justin Trudeau, quant à lui, n’a pas cédé à la panique, a consulté ses homologues internationaux avant de prendre sa décision, en plus d’évaluer tous les impacts de celle-ci, et de s’assurer que les ressources étaient présentes au pays avant d’aller de l’avant. Les gouvernements doivent agir rapidement, certes, mais à condition de s’être assurés que ladite mesure soit la bonne. À terme, je crois que la fermeture de la frontière avec l’Europe était la bonne chose à faire, au moins, au Canada, ce fût fait avec diligence. Et n’en déplaise à ceux qui ont signé la pétition circulant en ligne exigeant la fermeture des frontières, cette action n’a aucune valeur et n’apporte rien au débat, si ce n’est encore une fois, d’envenimer davantage notre environnement social virtuel qui se pollue peu à peu.


2) Trudeau devrait fermer la frontière américaine immédiatement C’est le sous-enjeu du premier mythe. Plusieurs ont trouvé illogique que la frontière avec les États-Unis demeure ouverte, alors que celle avec l’Europe est fermée. À première vue, cette critique semble juste, mais c’est encore une fois mal comprendre la situation globale. Vrai que les États-Unis deviennent progressivement le nouvel épicentre du virus. Toutefois, le niveau d’imbrication de notre économie avec la leur rend extrêmement complexe l’adoption d’une telle mesure. Nombreuses sont les personnes qui travaillent aux États-Unis, mais habitent au Canada, ou vice-versa. Les transactions commerciales quotidiennes entre les deux pays se chiffrent par milliards, et fermer la frontière aurait des conséquences telles, que de procéder sans évaluation approfondie serait irresponsable. De toute manière, le message a déjà été passé que les visiteurs ne sont pas les bienvenus – isolement obligatoire pendant 14 jours et fermeture de tous les sites touristiques et restaurants. Autrement dit, garder la frontière ouverte permet uniquement de garder en vie des entreprises dont les affaires dépendent essentiellement du marché nord-américain commun, tout en limitant grandement l’attrait pour les touristes américains de venir ici.


Tout cela sans compter qu’une grande partie des aliments de consommation et des médicaments proviennent des États-Unis. Fermer la frontière sans assurance que les produits viendront au Canada serait, encore une fois, illogique. Bien sûr, l’idéal serait de fermer la frontière aux touristes, tout en gardant les échanges essentiels, mais la négociation avec Trump, même sur cet enjeu, relève de la gymnastique diplomatique. Sans être au fait de ce qui a été dit, il ne serait pas surprenant que Trump venge une éventuelle fermeture de la frontière par l’arrêt de l’approvisionnement au Canada, ce qui serait fatal. De là l’importance de manœuvrer avec diligence.


Un dernier point en terminant : penser que de fermer la frontière élimine tout danger relève de la fabulation. C’est partiellement efficace, mais c’est emprunter le même raccourci intellectuel que ceux qui estiment que les problèmes d’immigration se règlent en construisant des murs.


3) Trudeau est un moins bon leader que François Legault Nombreuses ont été les comparaisons dressées entre nos deux premiers ministres, en partie à raison puisque tous deux gèrent la même crise, mais principalement à tort puisque leurs responsabilités respectives diffèrent énormément. Il est normal que Legault paraisse plus préoccupé par la crise, non pas pour ses qualités de dirigeant, mais simplement par la nature des compétences qui lui reviennent. Il est du ressort d’un premier ministre provincial de gérer le réseau de la santé et de l’éducation, « ce qui touche les gens directement ». A contrario, les tâches du premier ministre fédéral sont beaucoup plus abstraites, plus complexes, non moins importantes. C’est notamment à Trudeau que revient la lourde tâche de négocier avec les autres nations du monde, tout en veillant au maintien de la vie économique minimale dans l’ensemble du Canada. Il est donc tout à fait normal que Trudeau passe moins de temps à s’adresser à la population, et davantage à discuter derrière les portes closes avec ses homologues internationaux. Reprocher à Trudeau ses retards et ses absences aux points de presse relève de la paresse intellectuelle.


On peut sans doute lui reprocher certaines lacunes dans les communications, mais le comparer à François Legault constitue un manque total de compréhension de la façon dont est conçu le partage de compétences au Canada. Je lisais aussi qu’à la blague, certains disaient que le Québec, à défaut d’avoir un pays, avait, lui, un premier ministre. Je propose plutôt l’analyse contraire, c’est-à-dire que cette crise nous démontre l’efficacité de la fédération canadienne, où chaque palier gère ses secteurs d’activités, tout en s’arrimant sur certains enjeux précis. Comme quoi l’éternelle – et à mon sens frivole – comparaison entre le Canada et le Québec ne prend jamais de pause.


Cela étant, il est tout à fait normal que l’anxiété puisse dicter nos pensées et nos actions, et que la critique gouvernementale devienne un défoulement collectif nécessaire. J’en appelle donc à contenir nos émotions, à agir rationnellement face à des nouvelles qui nous dépassent, et à envisager la suite avec optimisme. Le pire est certes à venir, mais ce n’est qu’en adoptant une attitude optimiste et en ne se laissant pas annihiler par la peur que nous viendrons à bout de cette crise. Sur ce, faites pas de party, là ! C’est Legault qui le dit !


[1] https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.03.03.20029843v3





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