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Sophie Crevier

L’automatisation de la pratique du droit : possible ou non ?


Dans le climat d’anxiété généralisée Les ordinateurs pourront-ils un jour remplacer les humains qui occupent des postes nécessitant actuellement une éducation de haut niveau ? Le développement de technologies comme l’intelligence artificielle aura-t-il un impact sur la quantité de postes disponibles dans de tels domaines ? Dans le domaine du droit, plusieurs programmes facilitant l’accomplissement d’une tâche faite par un avocat ou un juriste ou visant à remplacer complètement celui-ci se multiplient de plus en plus. On pense à Westlaw et Lexis qui facilitent grandement la recherche juridique, à Ross Intelligence qui fournit des réponses juridiques concises à des questions en langage naturel et à LegalZoom ou encore RocketLawyer qui fournissent des services juridiques en ligne, pour ne citer que quelques exemples. Des programmes comme ceux-ci viennent remettre en question notre croyance quant à l’impossibilité d’automatiser la pratique du droit et nous forcent à reconnaître que la technologie changera inévitablement la manière dont le droit est pratiqué. Dans leur article « Can Robots Be Lawyers? Computers, Lawyers, and the Practice of Law », Dana Remus de l’Université de la Caroline du Nord et Frank S. Levy de l’Institut de Technologie du Massachussetts se sont demandé s’il est raisonnable de penser que les ordinateurs puissent éventuellement remplacer les avocats dans la majeure partie de leurs tâches. Les auteurs mentionnent qu’il est primordial d’examiner certains principes de base du développement de l’intelligence artificielle afin de d’expliquer la variation de la capacité d’un ordinateur à automatiser une tâche donnée. Tout d’abord, il doit être possible de modéliser le processus de traitement de l’information fait par un avocat lors de l’accomplissement d’une tâche en le traduisant en une série d’instructions. Deux types d’instructions peuvent mener à une telle modélisation. D’abord, une série d’instructions peut assez facilement être déduite lorsque la structure du processus de traitement de l’information utilisé est clairement apparente. Sinon, une série d’instructions peut découler d’un traitement de données lorsque cette structure est plus complexe. Par exemple, considérons le problème qui correspond à prédire quelle décision un juge rendra pour une situation donnée. Les données d’entrée fournies seraient les faits pertinents du cas en question, puis la donnée de sortie correspondrait à la décision du juge. On cherche à apprendre la relation entre les données d’entrée et celles de sortie. Cette relation peut être approximée par un modèle statistique déduit des décisions précédentes rendues lors de cas similaires. La banque de données constituée de cas précédents permet l’apprentissage d’une équation prenant en compte différentes caractéristiques retrouvées dans chaque cas. Cette équation correspond à une approximation de la structure sous-jacente du processus décisionnel fait par le juge. Cette équation permet donc de prédire la décision qui sera rendue par le juge. Ce processus d’approximation est qualifié d’apprentissage supervisé : il permet l’apprentissage d’une relation entre les caractéristiques d’un cas donné et la décision rendue, et une supervision de l’apprentissage est faite par les paramètres des décisions précédentes avec lesquels l’équation obtenue doit être compatible. Il est également possible d’approximer la structure sous-jacente d’un certain type de traitement d’information à partir d’une base de données sans l’aide d’une supervision de ce type. Ce genre d’apprentissage cherche à découvrir des relations cachées entre les caractéristiques de chaque donnée d’entrée et la classification que l’on veut lui donner. Il peut par exemple être utilisé pour classifier des textes selon certaines catégories dans un contexte de recherche juridique. Ce processus est qualifié d’apprentissage non supervisé. Dans le cas de l’apprentissage supervisé comme dans celui de l’apprentissage non supervisé, l’approximation de la relation reliant les données d’entrée et celles de sortie obtenues dépend donc grandement de la banque de données fournies et utilisées lors de l’apprentissage de celle-ci. À la suite de la présentation de ces concepts de base, les auteurs soulignent deux faits ayant un impact sur le développement de l’intelligence artificielle. Premièrement, il doit être possible de modéliser le processus du traitement de l’information utilisé par le juriste dans la tâche désirée (il doit y avoir une structure sous-jacente). Deuxièmement, les modèles approximés par les processus décrits précédemment ont de la difficulté à traiter des cas s’éloignant de manière significative de ceux utilisés pour l’apprentissage. Dans l’article, les auteurs utilisent ces deux prémisses afin de déduire l’impact que les développements technologiques auront sur différentes catégories de tâches effectuées par un avocat. Chaque catégorie de tâche considérée est classifiée comme pouvant être grandement, moyennement ou peu affectée par les développements technologiques. La mesure de cet impact est effectuée en fonction du taux d’embauche associé à l’accomplissement de chacune des tâches (un grand impact réduira significativement le nombre d’embauches). Des tâches comme la révision de documents sont jugées comme pouvant être grandement affectées par les développements technologiques. Effectivement, la révision de documents juridiques est déjà automatisée de manière efficace ce qui laisse sous-entendre que le traitement de l’information fait lors de l’accomplissement de cette tâche possède une structure sous-jacente. En opposition, des tâches comme la négociation ou la préparation à la plaidoirie sont considérées comme étant peu affectées par l’application de l’intelligence artificielle dans le monde juridique. Ces tâches demandent une créativité et une flexibilité conceptuelle ainsi qu’une intelligence émotionnelle qui n’est pas suffisamment structurée afin de les modéliser. Il n’y a pas de réelle structure sous-jacente au traitement de l’information effectué lors de ces tâches selon les auteurs. Elles se trouvent, pour l’instant, à l’abri de l’automatisation. La relation entre la difficulté accordée à l’automatisation d’une tâche donnée et la difficulté qu’un avocat a à effectuer cette même tâche est ensuite discutée. Les auteurs concluent à une absence de corrélation entre les deux catégorisations de tâches effectuées par un avocat. Pourquoi cette absence de corrélation ? Il serait pourtant logique de penser qu’une tâche qui nous est facile d’effectuer est également facile à automatiser. Le facteur empêchant une relation simple entre la complexité de la tâche pour un avocat et pour une machine est en fait la présence d’interactions humaines non structurées à tous les niveaux de difficulté. Effectivement, autant une tâche qui est effectuée en début de carrière qu’une tâche qui demande de l’expérience afin d’être maîtrisée peut demander une intelligence émotionnelle et des compétences sociales qui ne peuvent pas être présentement traduites par une série d’instructions. La lecture de l’article « Can Robots Be Lawyers? Computers, Lawyers, and the Practice of Law » vient donc grandement éclairer la question relative à l’impact qu’aura l’application de l’intelligence artificielle au monde juridique. L’automatisation de certaines tâches pourrait par exemple bonifier la qualité des services juridiques donnés aux clients en servant d’outils aux avocats ou pourrait encore aider à régler les problèmes d’accès à la justice. Dans un cas comme dans l’autre il sera par contre primordial de régulariser l’utilisation des technologies. Effectivement, il faudra éviter qu’un écart se crée entre les firmes et clients capables de se payer les meilleures technologies et ceux n’ayant pas accès à ces moyens. Également, l’utilisation de certaines technologies sans la réelle compréhension de leur fonctionnement pourrait mener à un usage qui serait néfaste plutôt que bénéfique. Nous pouvons donc conclure que notre profession sera sans aucun doute influencée par ces avancées technologiques sachant néanmoins que plusieurs qualités et compétences nécessaires à la pratique du droit ne pourront, pour l’instant, être automatisées. Ironiquement, malgré l’image de l’avocat sans cœur qui nous colle à la peau, ce sont peut-être nos qualités humaines qui sauveront notre profession.


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