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Philippe Granger

Homosexualité et politique : le paradoxe Buttigieg


Les caucus démocrates de l’Iowa marquent le début de la course à la chefferie démocrate. Lorsqu’elle a appris que le candidat Pete Buttigieg était marié à un autre homme, une dame de cet État du nord-est a indiqué sa surprise et son désir de retirer son soutien au candidat. Une vidéo illustrant la situation est rapidement devenue virale. « Je ne veux personne comme ça à la Maison-Blanche », lance-t-elle. La femme continue, expliquant que la Bible prescrit le mariage entre un homme et une femme.


Gay, mais pas queer?


Pete Buttigieg, 38 ans et vétéran, a été jusqu’à tout récemment maire de South Bend, en Indiana. Polyglotte et religieux, ce boursier Rhodes s’est marié à Chasten Glezman il y a un peu plus de deux ans. Auparavant peu connu au sein du parti démocrate, le candidat dit « modéré » s’était rallié à l’ancien Vice-président Joe Biden, afin de lutter contre les forces sociales-démocrates de son parti.


L’homophobie s’est imposée rapidement comme un défi pour le maire de South Bend. Dans un cadre sociopolitique où le Vice-Président est ouvertement homophobe et où les thérapies de conversion sont encore largement soutenues, il faut croire que les discriminations à l’égard des LGBTQ+ sont encore bien ancrées aux États-Unis.


De ce fait, il est assez surprenant que les médias américains n’aient pas davantage fait leurs choux gras de cette situation, un constat que le principal intéressé a lui-même déjà souligné : « J’ai donné de nombreuses entrevues sur les défis d’un candidat ouvertement homosexuel (…) et j’ai donné autant d’entrevues, où ce fait [l’homosexualité] n’a même pas ressurgi, parce que l’orientation sexuelle n’était pas considérée comme anormale ou importante dans le cadre de la course [du parti démocrate] de 2020 ». Ce qui laisserait croire que les Américains semblent réellement davantage s’intéresser, du moins au niveau médiatique, aux réformes du système électoral proposées par « Mayor Pete » qu’à savoir si ce dernier est un top ou un bottom. Je vous épargne ici de nombreux commentaires trouvés sur les réseaux sociaux, qui illustrent un tout autre ordre d’idées.


Il est intéressant de constater que Buttigieg, bien que souvent en compagnie de son mari, garde une attitude très policée, possible effet des jugements qui pourraient être portés à son égard s’il se montrait le moindrement flamboyant. De ce fait, lorsque le New York Times lui a demandé qui était son celebrity crush (question à laquelle tous les candidats ont répondu adéquatement), Buttigieg, qui explique fréquemment que son mariage lui a permis de se rapprocher de Dieu, a tout simplement répondu : « Not for the NYT to know about. »


Ainsi, sur les enjeux LGBTQ+, il est intéressant de voir que son rival Bernie Sanders s’est montré plus éloquent, attirant du même coup plus du tiers des intentions de vote des LGBTQ+. Un article récent du Guardian analyse d’ailleurs ce phénomène et expose une différenciation entre un candidat gay et un candidat queer. Le texte explicite ainsi le questionnement à savoir si cette distanciation à la « culture » queer est consciente, et si se poser la question est une réflexion pertinente et d’actualité.


La question à 100 piastres reste à savoir si Pete Buttigieg aurait réussi à attiser l’attention de la population s’il ne s’était pas présenté comme un vétéran religieux et modéré, attributs qui ont indéniablement pu séduire l’électorat plus conservateur. Nous pouvons dire sans difficulté qu’il est dur de croire qu’un politicien à l’attitude plus « flamboyante » aurait eu un écho semblable.


Des associations archaïques


L’expression du genre se voit souvent associée à tort à l’orientation sexuelle. Résultat : les hommes homosexuels se voient encore souvent écartés des grands rangs politiques, étant jugés trop « féminins » (ce qui s’avère, pour plusieurs, péjoratif) alors que les femmes (homosexuelles ou non, prenez Angela Merkel…) semblent attirer un soutien uniquement lorsqu’elles font preuve de sobriété et qu’elles adhèrent au moule préétabli de ce à quoi devrait ressembler un bon politicien. Sans parler des transgenres, qui sont éclipsés des discussions en politique.


Si on prend seulement le Québec comme exemple, nous pouvons remarquer que les deux personnes LGBTQ+ les plus célèbres siégeant à l’Assemblée nationale, Manon Massé (QS) et Sylvain Gaudreault (PQ), adhèrent intentionnellement ou non à une sobriété archétypalement masculine en terme politique. Certes, Manon Massé a réussi finalement à travers les années à donner une saveur nouvelle à la politique. Or, ceci est passé par de nombreuses critiques sur sa compétence et (ironiquement) ses allures jugées excessivement masculines. Sylvain Gaudreault, actuellement en course pour la chefferie du PQ, pourrait très bien suivre les pas d’André Boisclair et devenir chef du parti tout en étant ouvertement homosexuel. Il est intéressant de constater que ces deux hommes ont suivi des attitudes assez similaires à celle de Pete Buttigieg, en plus de partager des caractéristiques similaires : ils sont des hommes cisgenres, blancs, d’âge moyen.


Comprenez-moi bien : il n’en vient pas à moi de déterminer comment une personne devrait agir, et je suis le premier à lutter contre les stéréotypes associés aux LGBTQ+. Il s’avère toutefois pertinent d’illustrer ces attitudes, qui, intentionnelles ou non, sont symptomatiques d’une nécessité en politique de trouver certaines caractéristiques afin de plaire à la population et de sembler sérieux et crédible, marginalisant du même coup de nombreuses personnes et augmentant aussi le cynisme à l’égard des institutions démocratiques.


Explicitant cette dichotomie entre orientation sexuelle et vie politique, Pete Buttigieg a déjà partagé : « [À 18 ans] je croyais que tu pouvais être homosexuel et marié, mais pas les deux. Que tu pouvais être out ou politicien, mais pas les deux. Que tu pouvais vivre avec ton conjoint du même sexe et être militaire, mais pas les deux. »


Apparemment, les sceptiques seront confondus.

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