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Jérôme Coderre

S'inspirer de 1964, pour ne pas y revenir


L’histoire nous en apprend souvent bien plus que l’on pense, surtout en politique. Alors que l’une des plus importantes campagnes présidentielles arrive à grands pas, Joe Biden aurait tout intérêt à retourner lire quelques pages de ses livres d’histoire pour constater que la clé d’une victoire démocrate en novembre n’est peut-être pas si lointaine qu’on ne le pense.


Joe Biden avait 22 ans lorsque Lyndon Baines Johnson a été réélu comme président des États-Unis en 1964. Surnommé le « président accidentel », Johnson était surtout connu comme le vice-président du très populaire et charismatique John F. Kennedy. Johnson, bien moins en verve que son procureur général et frère de JFK, Robert Kennedy, avait remporté la primaire un peu par défaut, étant le président sortant.


Pour plusieurs, dont moi-même, la comparaison avec Joe Biden saute aux yeux. Pour une majorité de l’électorat américain, Biden est d’abord et avant tout l’ancien VP de Barack Obama, le Kennedy de son époque. Biden, tout comme LBJ devait le faire il y a 56 ans, doit maintenant prouver qu’il a ce qu’il faut pour être un bon président. En cette période trouble, le défi est de taille, mais c’est précisément en des temps semblables qu’un leader doit émerger.


Évidemment, la question ne se pose plus à savoir si Biden doit l’emporter. S’il y a bien un élément positif à cette crise de la COVID-19, c’est que celle-ci nous aura démontré toute l’étendue du manque de compétence d’un président nocif. Cette semaine encore, au moment où les États-Unis franchissaient la barre des 200 000 décès, Trump affirmait sans scrupule que « ce virus ne touche à peu près personne ». Jumelée au climat de tensions raciales, cette crise sanitaire ne fait que révéler l’importance de se débarrasser de cet abruti au plus vite.


Le problème, c’est que ce n’est pas chose faite. Oui, Biden mène par environ sept points à l’échelle nationale depuis quelques mois déjà. Mais dans les États clés, ces mêmes États qui avaient fait pencher la balance il y a quatre ans, l’avance du candidat démocrate se situe presque toujours dans la marge d’erreur. Sans compter qu’on sait trop bien qu’une avance dans les sondages ne veut pas dire grand-chose, parlez-en à Hillary Clinton…


Évidemment, Biden est en meilleure position que Trump en date d’aujourd’hui pour remporter cette élection, mais il demeure à quelques gaffes près (comme il en est malheureusement trop souvent capable) de faire tourner le vent de côté. Rappelons-nous de cette déclaration du mois de mai où il prétendait que les Afro-Américains qui votent pour Trump ne sont pas de vrais Noirs. Pour un parti qui compte désespérément sur le vote noir, c’était bien mal parti. Pire encore, son adversaire, quant à lui, s’en tire toujours, et ce, malgré ses déclarations plus odieuses les unes que les autres, signe que sa base n’est pas prête à le larguer.


Il faut dire que le candidat républicain à l’élection présidentielle de 1964, Barry Goldwater, bénéficiait lui aussi du support indéfectible d’une base solide de partisans qui ne juraient que par lui. En effet, Goldwater, le cowboy conservateur sorti de l’Arizona, cassait avec le style classique et bourgeois des républicains de l’époque, mais ralliait les foules avec son franc-parler et son rejet de la modération. Goldwater se définissait comme un extrémiste, et cela plaisait à sa base.


Trump, en fait, gouverne exactement à l’image de ce qu’est devenu le Parti républicain moderne, un parti homogène, blanc, vieux, socialement conservateur, chrétien, étroit d’esprit et méfiant des institutions.


Dans une fascinante analyse parue dans The New York Times (1), le journaliste Ezra Klein raconte que la polarisation actuelle aux États-Unis force les deux partis à faire campagne très différemment l’un de l’autre. Le Parti démocrate moderne (diversifié, urbain, jeune et séculier) ne peut se contenter de ne s’adresser qu’à un seul groupe d’électeurs, comme le fait le GOP, et espérer les mêmes résultats. Autant la diversité est la force de ce parti (lui seul peut rallier autant d’électeurs), c’est aussi ce qui rend ce parti si difficile à diriger.


Le chef doit à la fois rallier les libéraux du nord-est, les Latinos de la Californie et les Noirs de la Caroline du Sud. Quand tout colle, c’est une impressionnante machine politique capable de victoires écrasantes ; quand les divisions internes s’installent, toutefois, des groupes d’électeurs ne se rendent pas aux urnes, frustrés de voir que leurs voix ne sont pas entendues ou représentées ; et le parti est achevé par un système électoral qui favorise les gains dans les régions rurales.


La solution de Klein ? Le Parti démocrate ne doit absolument pas perdre ses électeurs centristes et doit continuer d’attirer les électeurs du centre droit. Alors que le Parti républicain s’homogénéise progressivement, le parti de Biden se doit d’aller récupérer les républicains déçus. En fait, le collège électoral étant ce qu’il est, des chercheurs estiment que les républicains sont destinés à remporter 65 % des élections où ils perdent le vote populaire de peu (ce qui est arrivé lors de 6 des 7 dernières élections, sans que cela n’empêche Trump de gagner).


Au lieu de crier à l’injustice, le parti doit se retrousser les manches et poursuivre dans la voie actuellement empruntée par Biden, soit celle de la modération centriste et de l’aspiration à former la grande coalition tant rêvée. Quoi qu’en disent certains, la présence des Michael Bloomberg, John Kasich et Colin Powell à la convention démocrate n’était pas le symbole de la perversion du Parti démocrate, c’était plutôt une formidable démonstration de toute la grandeur de ce parti, capable de rallier, et déterminé à représenter les intérêts de tous.


De toute façon, la présence accrue de centristes dans ce parti ne peut être que positive, lui qui est gangréné depuis trop longtemps par les discours frivoles des Alexandria Ocasio-Cortez et Bernie Sanders de ce monde.


À vrai dire, élargir la base du parti était exactement la solution adoptée en 1964 par Lyndon Johnson. Désirant marquer le coup au moment où le pays était divisé comme jamais sur fond de racisme, LBJ avait signé, quelques mois avant l’élection, le fameux Civil Rights Act de 1964. Le président que personne n’attendait venait de signer l’un des projets de loi les plus importants dans l’histoire américaine, non sans être fortement critiqué par des membres de son parti, jusque là dominé par des blancs ségrégationnistes du sud. Johnson savait qu’il avait besoin du vote noir pour gagner l’élection. L’appui des Afro-Américains est passé de 58 % en 1960 à 82 % en 1964, sans jamais redescendre sous la barre des 70 % depuis.


Sans dire que Biden doit faire un coup d’éclat comme l’a fait son prédécesseur 56 ans avant lui, il se doit de continuer à naviguer au centre et ne pas hésiter à faire place au plus grand nombre d’électeurs possible au sein de sa coalition. De surcroît, à une époque où la société américaine est en véritable crise, son président se doit d’incarner l’inclusion plutôt que la division.


À l’inverse, les décisions grotesques de Trump nous font parfois sentir comme si l’on revenait un peu en 1964 lorsque la division Blanc-Noir était chose courante et tolérée. En se servant de la mort de George Floyd pour diviser encore plus le pays, Trump nous montre à nouveau tous les dangers de sa potentielle réélection.


Au moment où un nouveau juge à la Cour suprême doit être nommé, on ne peut qu’avoir des sueurs froides à l’idée que la tâche revienne à Trump de le nommer. Bien sûr, il est dans son droit de le faire — la Constitution le lui permet —, mais le recul en arrière qu’une nomination de sa part nous ferait vivre est épeurant et inquiétant.


Pour éviter la catastrophe d’une réélection, il revient à Joe Biden de nous prouver qu’il a ce qu’il faut pour relever le défi. Tout comme Lyndon Johnson était sorti de l’ombre de Kennedy pour remporter la plus importante victoire électorale de l’histoire des États-Unis avec 61 % du vote populaire, Joseph Biden doit prouver à tous qu’il n’est pas seulement le vice-président d’Obama, mais aussi le président qui aura sorti l’Amérique de la période sombre qu’elle traverse.


Winston Churchill disait : « In History Lies All the Secrets of Statecraft. » Il est temps pour Joe Biden de nous le prouver.


  1. https://www.nytimes.com/2020/01/24/opinion/sunday/democrats-republicans-polarization.html

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