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William Fradette

Boy, that escalated quickly.


Dans toute l’histoire de Mike Ward contre celui dont on ne peut [plus] prononcer le nom, ça me frappe d’entendre dire que la blague est allé trop loin, qu’on a dépassé la limite. Du tac au tac, je réponds toujours la même chose : « Quelle limite? ». La plupart du temps, on me dit aussi promptement, quoique un peu agacé : « c’est méchant, il est handicapé ». « Ah bon, mais encore », me dis-je. Ça continue souvent comme suit : « Tu l’as trouvé drôle, toi, la blague? », « oui, j’ai ri pas mal, en effet ». On me dévisage, je suis vraiment un être ignoble.


Ce dialogue banal concernant une blague qui a dégénéré — et accessoirement, la condamnation de 42 000$ qui s’en est suivi — a fait naitre des réflexions dans mon esprit.


D’abord, pour être honnête, à la lecture du jugement on comprend très bien le raisonnement adopté par le juge. Ce dernier est très méthodique et précis dans son cheminement. Cependant, comme les personnes qui se sont donné la peine de le lire, je ne peux en arriver aux mêmes conclusions. Cette décision ébranle une valeur fondamentale de toutes les sociétés occidentales : la liberté d’expression (pour ne pas la nommer), en plus de créer un précédent dangereux pour l’avenir de l’humour, qui survit grâce à son renouvellement perpétuel. Quand un juge vient dire que se moquer d’une personne handicapée connue est interdit par la Charte, on a un problème. Inconsciemment (ou pas), la limite Ward obligera certaine personne à s’enfoncer quelques échardes dans la bouche faute de pouvoir — légalement — en dire davantage.


La liberté d’expression, ce n’est pas un privilège modulable, c’est un acquis vieux de plusieurs siècles pour lequel plusieurs se sont battu et qui ne devrait sous aucun prétexte être borné aux normes ponctuelles de l’opinion publique. C’est un baromètre de notre degré de liberté et dès qu’on délimite l’acceptable par le droit, on fige les individus dans des valeurs qui ne peuvent être contredites et qui n’évolueront guère. À ce propos, les limites existantes, on les connait bien : la diffamation ou l’incitation à la violence. Nous sommes à des kilomètres des propos de Mike Ward. Dire qu’un individu est « laite », qu’il « chante mal » ou qu’il « meurt pas, le p’tit tabarnac », c’est assez soft, surtout quand on parle d’une personne « connue » qui ne souffre pas d’un handicap potentiellement mortel. De plus, le numéro en question avait un second degré évident, une portée humoristique qui ne se limitait pas aux mots; tout le contraire du droit.


Au bout de la ligne, on devrait penser autrement la liberté d’expression. Laisser Mike Ward dire ses blagues, ce n’est pas cautionner ses propos, mais faire le compromis que pour pouvoir s’exprimer demain il faut laisser les autres parler aujourd’hui. Par chance, l’humoriste a les moyens d’engager un excellent avocat, Me Julius Grey, et a la détermination de protéger ses droits jusqu’au bout. En d’autres circonstances, voudrait-t-on vraiment vivre dans une société où des artistes émergents talentueux devraient vivre dans la peur d’être poursuivis? Déjà, le métier n’est pas simple et demande de l’effort et de la patience. S’il faudra en plus s’assurer d’être politically correct pour chaque blague écrite, on peut se demander où irait l’humour…


De plus, je trouve qu’assimiler les blagues sur un handicapé à de la discrimination (à moins d’un consentement), tel que le juge le fait, est inacceptable. Cela donne plutôt l’impression réductrice que l’on ne peut pas faire de blagues sur les handicapés simplement parce qu’ils sont handicapés; comme si l’on cachait les individus derrière leur maladie. Est-il souhaitable qu’on arrive à des clivages si primaires pour l’humour? Devrait-on commencer à ne rire uniquement que des hommes blancs en excellente forme physique, par exemple? La réponse est évidement non.


Enfin, un organisme gouvernemental, ne devrait pas être l’arme secrète du bon goût. La vérité est que dans une société démocratique (et libre?) comme la nôtre, la sanction appropriée à des propos déplacés repoussant les limites de l’acceptabilité sociale est celle de ne pas encourager l’artiste qui vous dérange. La vraie façon de dénoncer les propos humoristiques : c’est d’utiliser votre droit de vous exprimer pour manifester votre désaccord, ce n’est pas de saisir les tribunaux quand ça ne nous plait pas.


La beauté de la liberté d’expression, c’est justement qu’elle protège les paroles controversés et toutes celles qui les dénoncent.

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