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Maxime Leboeuf

Gouverner par communiqués


Le 2 aout dernier, en pleines vacances des parlementaires, Justin Trudeau annonçait par lettre ouverte les détails d’une réforme du processus de nomination des juges à la Cour suprême du Canada. Dorénavant, un comité indépendant sera chargé de recevoir des candidatures pour le poste et de soumettre des recommandations au Premier ministre. Tel que promis en campagne électorale par les libéraux, ces candidats devront être « effectivement » bilingues, du moins si on s’en tient à la définition du bilinguisme offerte par la ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould.


C’est que, quelques jours plus tard, la ministre nous expliquait candidement qu’un juge anglophone peut tout à fait être bilingue sans avoir « la capacité de s’engager dans une conversation en français ». Intéressant. Aux dernières nouvelles, le bilinguisme désignait pourtant la capacité de s’exprimer couramment en deux langues. On fait ainsi perdre tout son sens à un critère de sélection des juges qui va de soi dans un pays dont le bilinguisme est constitutionnellement protégé et qui se faisait attendre depuis trop longtemps.


En vertu de ce nouveau processus de sélection, on compte également mettre fin à la représentativité régionale des juges du plus haut tribunal du pays, une mesure que certains décrivent déjà comme inconstitutionnelle. Il est effectivement de coutume qu’un juge qui prend sa retraite soit remplacé par un juge issu de la même région. Ainsi, le juge Cromwell, originaire de Nouvelle-Écosse et qui prendra sa retraite en septembre prochain, ne serait pas forcément remplacé par un collègue de l’Atlantique, tel que le voudrait la tradition. Si le Québec est la seule province à se voir formellement garantir une présence à la Cour suprême, il est probable que cette représentativité coutumière des autres provinces soit en fait une convention constitutionnelle et que sa suppression soit donc inconstitutionnelle. C’est du moins ce que la Cour semblait suggérer dans le renvoi sur la nomination du juge Nadon en 2014. Il reviendra aux tribunaux de trancher cette question, mais la légèreté avec laquelle le gouvernement écarte un principe d’une telle importance est tout de même frappante.


Outre le fait qu’on se soit permis de changer la définition du bilinguisme et d’agir sans égard à une probable convention constitutionnelle, annoncer une telle réforme alors que le Parlement ne siège pas et que l’opposition a donc peu d’opportunités de se faire entendre n’est pas sans rappeler les pratiques antidémocratiques de l’ancien gouvernement conservateur. Pour cette belle volonté de transparence et d’ouverture dont se targuent les libéraux depuis leur arrivée au pouvoir, on repassera. Et pourtant, l’image du premier ministre qui continue d’être relayée avec succès le dépeint comme un grand démocrate, sauveur du Canada suite aux années de noirceur sous le joug de Stephen Harper.


En cela, il y a quelque chose de particulièrement révélateur de l’attitude du gouvernement libéral dans cette réforme. On se préoccupe avant tout de trouver un message preneur et cohérent avec les promesses électorales—dans ce cas le bilinguisme des juges à la Cour suprême—et on ne se soucie pas particulièrement de la mécanique de son application ou de son adoption. Autrement dit, on se contente pour l’instant de parler de changement sans vraiment sentir le besoin d’agir en conséquence.


On perçoit d’ailleurs un phénomène similaire dans la gestion des enjeux environnementaux par le Cabinet de Justin Trudeau. Leader mondial lors de la conclusion du très symbolique accord de Paris sur le climat en décembre dernier, le nouveau gouvernement libéral n’a pas fait grande chose de plus que d’ajouter l’expression « changements climatiques » au nom du Ministère de l’Environnement. À ce propos, David Suzuki faisait remarquer plus tôt ce mois-ci que les objectifs d’émission de gaz à effet de serre fixés par les conservateurs n’avaient « étonnement pas du tout changé » malgré les discours encourageants des libéraux. Les actions requises pour contrer les changements climatiques se font effectivement attendre, et il est tout sauf évident que le gouvernement s’opposera à des projets excessivement polluants comme Northern Gateway ou Pacific NorthWest LNG.


Les autres exemples d’incohérence entre le message et les politiques des libéraux ne manquent pas. En matière d’égalité des sexes, Justin Trudeau s’autoproclame féministe en plus d’offrir la parité ministérielle et la première femme leader parlementaire aux photographes, mais tarde à proposer quelque mesure concrète que ce soit pour favoriser l’équité salariale ou réformer une législation dangereuse et probablement inconstitutionnelle sur la prostitution.


En matière de droits de la personne, Trudeau s’affiche comme le champion des droits des minorités et des libertés fondamentales, notamment par ses éclatantes participations aux défilés de la Fierté cet été, mais continue pourtant d’appuyer la vente de véhicules blindés à l’Arabie saoudite et d’entretenir ses liens avec ce pays où l’homosexualité est un crime grave et la liberté d’expression est au mieux optionnelle. Quant à la très controversée loi antiterroriste C-51, qui met plusieurs droits fondamentaux en péril, il ne semble pas y avoir de projet d’amendement à l’horizon, ce qui était pourtant un engagement électoral.


Après des premiers mois au pouvoir marqués par la tenue de plusieurs consultations et la promesse de grands chantiers, la session parlementaire d’automne qui s’élancera dans quelques semaines donnera une meilleure idée des mesures que le gouvernement compte véritablement mettre en pratique. Car pour l’instant, le changement dont se drapent publiquement les libéraux se fait toujours attendre, et leurs beaux principes semblent n’être que pour le plaisir des yeux. Malheureusement, avec près de 50 % des intentions de vote, on ne doit pas se sentir très pressé d’agir au Cabinet de Justin Trudeau.

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