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Gregory Leone

Le secret professionnel des conseillers juridiques et la Loi de l'impôt sur le revenu


Le 3 juin 2016, deux arrêts ont été rendus par la Cour suprême relativement à la question du conflit existant entre le secret professionnel des conseillers juridiques1 et le régime des demandes péremptoires issu de la Loi de l'impôt sur le revenu2. L'arrêt Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec3 a déclaré inconstitutionnel le régime des demandes péremptoires dans la mesure où une telle demande est adressée à un avocat ou à un notaire parce qu'il contrevient à l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés4. L'arrêt Canada (Revenu national) c. Thompson 5 portait sur l'interprétation de l'exclusion d'un type de document de la protection du secret professionnel. Toutefois, étant donné que cette exclusion a été jugée inconstitutionnelle dans l'arrêt Chambre des notaires, la cause est devenue sans objet. Nous allons donc analyser l'arrêt Chambre des notaires afin d'en faire ressortir les éléments importants.


Les dispositions législatives en cause


Trois articles de la LIR sont en cause dans l'arrêt. Le premier est l'art. 231.2 (1) qui permet au ministre du Revenu national d'exiger d'une personne des documents ou des informations à l'égard d'un contribuable: il s'agit d'une demande péremptoire. Cet article donne le pouvoir aux autorités fiscales d'acheminer aux avocats ou aux notaires une telle demande à l'insu des clients de ces deux types de conseillers juridiques6. Le deuxième est l'art. 231.7 qui prévoit qu'advenant que le particulier concerné par la demande péremptoire refuse de délivrer les documents demandés, les autorités fiscales peuvent s'adresser à un tribunal pour que ce dernier ordonne de fournir l'accès auxdits documents. Si le particulier n'obtempère pas, il peut être reconnu d'outrage au tribunal (art. 231.7 (4)) Toutefois, il est prévu à l'art. 231.7 (1) b) que le tribunal ne peut imposer une telle ordonnance si les documents en question sont protégés par le secret professionnel. Le troisième est l'art. 232 (1) al. 5 qui exclut un «relevé comptable d'un avocat » de la protection du secret professionnel. Le dernier article pertinent, mais qui n'est pas en cause, est l'art. 232 (1) al.1 qui précise qu'au Québec, le terme «avocat» utilisé dans la LIR comprend les avocats et les notaires.


Le litige


Depuis quelques années, des notaires ont reçu des demandes péremptoires de la part des autorités fiscales pour l'obtention de renseignements ou de documents à l'égard de leurs clients. Les objectifs des autorités fiscales sont de faciliter des mesures de recouvrement ou de vérification fiscale. Les demandes péremptoires acheminées comprennent également les conséquences d'un refus d'obtempérer. Les notaires concernés ont contacté la Chambre des notaires pour faire part de leurs craintes concernant le respect du secret professionnel. Un compromis a tenté d'être trouvé, mais sans succès; et la Chambre des notaires a entrepris un recours déclaratoire devant la Cour supérieure du Québec contre le Procureur général du Canada et l'Agence du revenu du Canada. L'objet de ce recours était de faire déclarer inconstitutionnels les articles 231.2, 231.7 et 232 (1) al.5 de la LIR. Le Barreau du Québec s'est joint au recours à titre d'intervenant pour bénéficier de la conclusion du tribunal. La Cour supérieure a donné raison à la Chambre des notaires. La Cour d'appel du Québec a aussi donné raison à la Chambre des notaires, mais en modifiant quelques éléments du jugement de première instance. Ainsi, ce n'est plus tout l'art. 231.2 qui est inconstitutionnel, mais seulement le paragraphe 1 dans la mesure où la demande est adressée au notaire ou à l'avocat du contribuable concerné. La cause s'est rendue en Cour suprême et le plus haut tribunal du pays a confirmé la décision de la Cour d'appel du Québec.


Les explications de la Cour suprême7


Dans cet arrêt, la Cour suprême explique en détail les contours du secret professionnel et son lien avec l'art. 8 de la Charte canadienne. La Cour se pose quatre questions. La première concerne l'atteinte potentielle à l'art. 7 de la Charte canadienne dans la mesure où les trois dispositions législatives en cause s'appliquent à un avocat ou à un notaire. La deuxième est liée à la première, en ce sens que si la réponse à la première question est affirmative, alors l'atteinte peut-elle se justifier suivant l'art. 1 de la Charte canadienne (test de l'arrêt Oakes8). Pour la troisième question, il faut remplacer l'art. 7 par l'art. 8 de la Charte canadienne. La quatrième question est identique à la deuxième, mais concerne l'art. 8 de la Charte canadienne. La Cour suprême précise, en l'espèce, qu'une analyse fondée sur l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés n'est pas nécessaire si l'analyse fondée sur l'art. 8 mène à la conclusion que les dispositions contestées sont inconstitutionnelles. Comme la Cour a conclu que les dispositions en cause portent atteinte à l'art. 8 de la Charte canadienne et que cette atteinte ne peut se justifier suivant les critères de l'arrêt Oakes, les deux premières questions n'ont pas reçu de réponse.


L'art. 8 de la Charte canadienne ne protège pas explicitement le secret professionnel: il s'agit plutôt d'une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Deux questions se posent afin de déterminer si une action gouvernementale contrevient à l'art. 8. La première est: l'action gouvernementale empiète-t-elle sur une attente raisonnable au respect de la vie privée ? Si la réponse est positive, alors il s'agit d'une saisie au sens de l'art. 8 de la Charte canadienne. La deuxième question, quant à elle, est: la saisie représente-t-elle une atteinte abusive au droit à la vie privée d'un particulier ?


Concernant la première question, la jurisprudence antérieure de la Cour suprême a établi que la demande péremptoire de la LIR est une saisie au sens l'art. 8 de la Charte canadienne. Cela est le cas parce que le secret professionnel s'est progressivement transformé en règle de fond au point de devenir un principe de justice fondamentale au sens de l'art. 7. Par conséquent, la protection accordée au secret professionnel demeure toujours élevée, et ce peu importe le contexte dans lequel se déroule l'action gouvernementale.


Concernant la deuxième question, les tribunaux doivent pondérer deux éléments. D'une part, l'intérêt à la vie privée d'un individu et d'autre part, l'intérêt de l'État de procéder à une saisie afin d'assurer l'application d'une loi. Néanmoins, le secret professionnel est un principe de la plus haute importante; et il doit donc demeurer aussi absolu que possible afin de préserver la relation de confiance qui s'est installée entre un conseiller juridique et son client. Le critère que les tribunaux doivent utiliser les tribunaux est celui de la nécessité absolue, c'est-à-dire qu'une action gouvernementale sera considérée comme abusive s'il n'y a pas de nécessité absolue de procéder à une saisie. La Cour a précisé qu'il y a une présomption réfragable de confidentialité pour toutes les communications entre un conseiller juridique et son client.


La Cour suprême, reprenant l'avis des cours inférieures, a précisé que le régime des demandes péremptoires de la LIR comporte plusieurs lacunes qui le rendent abusif dans la mesure où une telle demande est adressée à un avocat ou à un notaire: l'absence d'avis au client, un fardeau trop grand imposé au conseiller juridique et l'absence de nécessité absolue d'obtenir les informations des contribuables. En effet, le régime des demandes péremptoires, tel qu'il est conçu, permet aux autorités fiscales de court-circuiter le client du conseiller juridique auquel la demande a été envoyée alors que la révocation du secret professionnel appartient au client et non à son conseiller juridique. Un fardeau trop grand repose sur les épaules des conseillers juridiques pour la défense du secret professionnel et la menace de poursuites pénales les met en situation de conflit d'intérêts. Il y a aussi absence de nécessité absolue d'obtenir lesdites informations parce que les autorités fiscales peuvent les obtenir par le biais de sources alternatives.


L'expression «relevé comptable d'un avocat» utilisé à l'art. 232 (1) al.5 de la LIR peut se prêter à diverses interprétations, car elle n'est pas définie dans la loi. Cette exclusion d'un type de document de la protection du secret professionnel en conjonction avec l'art. 231.7 de la LIR entraîne des conséquences graves pour le conseiller juridique refusant d'obtempérer à la demande péremptoire des autorités fiscales. L'expression «relevé comptable d'un avocat» est problématique au regard du critère de la nécessité absolue, car cette expression peut mener à la saisie de n'importe quel document, et ce, même si les informations ne sont d'aucune utilité aux autorités fiscales pour faire appliquer la LIR. Concernant l'art.1 de la Charte canadienne, les trois dispositions de la LIR en cause ne passent pas le test de l'arrêt Oakes au regard du critère de l'atteinte minimale.


Conclusion


La Cour a conclu que le régime des demandes péremptoires ne s’applique pas aux avocats et aux notaires du Québec en leur qualité de conseillers juridiques; mais le régime est constitutionnel dans la mesure où les demandes sont envoyées directement aux contribuables concernés9. De plus, l'exclusion des «relevés comptables des avocats» de la protection du secret professionnel est inconstitutionnelle parce qu'elle restreint grandement le portée du secret professionnel; ce qui rend cette exception contraire à l'art 8 de la Charte canadienne10. De l'avis de la Cour, il n'est pas nécessaire d'établir une liste de documents bénéficiant de la protection du secret professionnel, car la question n'en est pas une de forme, mais de fond11. Ainsi, comme déjà expliqué antérieurement, toutes les communications entre un conseiller juridique et son client bénéficient d'une présomption de confidentialité, mais cette présomption peut être levée par les tribunaux.

  1. Par conseillers juridiques, il faut entendre par là les avocats et les notaires.

  2. L.R.C. 1985, c.1 (5e suppl. (ci-après désignée «LIR»).

  3. 2016 CSC 20 (ci-après abrégé «Chambre des notaires»).

  4. Loi constitutionnelle de 1982, art. 1-34 (ci-après désignée «Charte canadienne»).

  5. 2016 CSC 21.

  6. Chambre des notaires, par. 8 (j. Wagner et Gascon).

  7. Id., par.25-87.

  8. R c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.

  9. Chambre des notaires, préc., note 3, par. 92.

  10. Id., par. 94.

  11. Id., par. 95.


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