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Maxime Leboeuf

Sur les épaules du juriste : Réforme du baccalauréat et enjeux autochtones


Alors qu’un projet de réforme du baccalauréat doit être dévoilé dans les prochaines semaines, la Faculté de droit de l’Université de Montréal a une magnifique opportunité de contribuer à l’avancement des enjeux autochtones au Canada. Comme l’a déjà souligné la Commission de vérité et réconciliation (CVR), les juristes canadiens se doivent de faire partie du changement à opérer dans ce domaine.


Il y a un peu plus d’un an, la CVR déposait ainsi ses 94 « appels à l’action » visant à s’attaquer aux injustices actuelles et historiques subies par les peuples autochtones au Canada. Deux de ces recommandations, les 27e et 28e, visent directement les facultés de droit et les ordres professionnels en leur demandant d’exiger que les juristes reçoivent une formation adéquate en matière de droit autochtone et de compétences interculturelles.


L’Association du barreau canadien (ABC) s’est rapidement penchée sur le document d’appels à l’action, et plus particulièrement sur les deux recommandations concernant la formation des juristes. En juin dernier, l’ABC a produit un mémoire sur le sujet dans lequel elle donne notamment son appui aux recommandations 27 et 28, demandant ainsi aux universités et aux barreaux d’exiger que tous les étudiants en droit reçoivent une formation leur permettant de comprendre et d’aborder adéquatement les enjeux autochtones.


Certaines universités ont aussi emboité le pas à cette volonté de faire de la culture et du droit autochtone une partie intégrante de la formation des juristes. Citons notamment la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa qui intègre maintenant des notions autochtones dans plusieurs cours de première année en droit privé et public, en plus d’offrir un volet spécialisé en droit autochtone au baccalauréat.


Ce genre d’initiative a un effet doublement positif en cela qu’elle rend la formation plus inclusive et attrayante pour les autochtones, s’attaquant ainsi au problème de leur sous-représentation au sein de la profession juridique, en plus de tourner les regards des étudiants vers l’une des problématiques les plus sérieuses à laquelle le droit canadien devra s’attaquer dans les prochaines décennies.


Malheureusement, les échos de cette prise de conscience ne semblent pas s’être rendus jusqu’aux oreilles du Barreau du Québec, ni, d’ailleurs, à celles de notre chère Faculté. Les exigences du Barreau en matière de formation autochtone, particulièrement pour les futurs juristes, sont effectivement loin de répondre aux demandes de la CVR. Quoique certains projets de sensibilisation et de formations continues démontrent une intention louable, beaucoup reste à faire.


Quant à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, aucun signe pour l’instant d’une réponse aux recommandations de la CVR. Rappelons qu’il n’y a présentement qu’un seul cours de droit autochtone qui, aussi enrichissant soit-il, n’est offert qu’une session par année par un seul professeur. Avec le projet de réforme du baccalauréat dans les boites du décanat, on peut toutefois espérer que les choses changent.


Car les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation n’ont rien d’un caprice ou d’une demande futile. Elles se basent sur plusieurs années de recherche et d’enquête sur les injustices vécues par les peuples autochtones au Canada dans les pensionnats; des injustices qui ont longtemps été perpétuées avec l’aval du système judiciaire. Surtout, les appels à l’action attaquent de front une situation inacceptable en proposant un processus constructif de réconciliation.


Et par situation inacceptable, il faut non seulement comprendre la dépossession massive de territoires et les désastreuses tentatives d’assimilation perpétrées dans le passé, mais aussi des problématiques très actuelles comme le taux de suicide accablant chez les autochtones, l’absence de services publics aussi fondamentaux que l’eau courante dans certaines réserves, l’importance du taux de décrochage scolaire, ou encore la quantité disproportionnée d’autochtones dans les prisons. Est-ce vraiment trop demander aux juristes de s’assoir quelques heures sur un banc d’école pour tenter de changer les choses, ou à tout le moins de s’y sensibiliser?


En ce sens, l’idée d’exiger une formation en matière de compétence interculturelle et de droit autochtone, ou simplement de bonifier l’offre de cours, touche à l’essence même de ce qu’est un juriste. Quoique ce principe semble souvent oublié, la connaissance du système juridique vient avec le devoir de faire progresser le droit en vue de combattre les injustices qu’il perpétue. Et on peut certainement dire, sans trop s’avancer, que la situation des peuples autochtones est l’une des plus graves injustices actuelles et historiques au pays, si ce n’est la plus grave.


Partant de cette prémisse, on ne peut valablement soutenir que l’offre de cours au baccalauréat n’ait qu’à suivre bêtement la demande des étudiants, et que l’existence d’un cours à option en droit autochtone est donc suffisante. L’intérêt des étudiants ne tombe pas du ciel et, particulièrement face à une situation aussi grave que celle vécue par les peuples autochtones au Canada, il se doit d’être encouragé. Vu l’omniprésence des juristes sur les scènes politique et médiatique, stimuler leur intérêt envers cette problématique semble crucial en vue de faire avancer le débat public.


L’intérêt des étudiants devrait d’ailleurs n’être qu’un facteur parmi d’autres dans le choix de l’offre de cours au baccalauréat. Une réflexion sur ce que doit être la formation juridique devrait se faire en considérant d’abord la fin recherchée, et non la marchandisation du diplôme auprès de la « clientèle » étudiante. Or, si l’on accepte qu’il soit de la responsabilité des individus qui connaissent le mieux le droit de le changer, il suit nécessairement que l’aspect juridique de la réconciliation avec les peuples autochtones repose en grande partie sur les épaules des juristes.

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