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Maxime Leboeuf

Coderre au tribunal



La décision du juge Gouin de suspendre l’interdiction des pitbulls sur le territoire de la Ville de Montréal, le 5 octobre dernier, n’avait franchement rien de surprenant. C’est la réponse logique à un dossier que l’administration Coderre a mené avec un populisme teinté de mépris pour le droit applicable. Cette histoire, qui avait commencé comme un scandale estival gonflé par des médias en manque de contenu, a pris une dimension beaucoup plus sérieuse lorsque le maire a décidé de transposer l’hystérie collective en un règlement juridiquement problématique. Quand le politicien a senti le vote frais et qu’il est passé à l’offensive.


Si la démarche de la Ville adresse certaines considérations sérieuses quant à l’encadrement des chiens dangereux, elle le fait avec un tel mépris pour la vie d’êtres « doués de sensibilité » (C.C.Q., art. 898.1) qu’on peut difficilement l’appuyer. C’est sur ce terrain que le débat politique se joue, alors qu’on soulève « le bien-être des humains » et « un immense sentiment d’insécurité dans la population », dixit Denis Coderre, pour justifier l’euthanasie de centaines de chiens qui ont la mâchoire un peu trop grosse. Car malgré la présence d’une sorte de clause grand-père, l’impossibilité pour la SPCA de mettre les « chiens de type pitbull » en adoption la forcerait bel et bien à euthanasier ceux qui tombent entre ses mains, peu importe leur degré de dangerosité.


Mais ce qui est frappant dans l’argumentaire de la SPCA, c’est que ce (faux) dilemme de fond n’a pratiquement pas à être soulevé pour convaincre de l’invalidité du règlement. Le débat juridique, lui, se joue surtout sur le pouvoir de règlementer de la Ville.


Si la loi habilitante applicable accorde aux municipalités le droit de règlementer sur les chiens errants et dangereux, on élargit ici la définition de ce qu’est un chien dangereux en y assimilant tout « chien de type pitbull » au point de la vider de tout son sens. Comme le juge Gouin l’a d’ailleurs rappelé dans sa décision, cette définition vise « une catégorie très large de chien qui, pour la plupart, ne sont pas dangereux, selon le véritable sens de ce terme ». Une fois cela admis, difficile de soutenir que la Ville n’excède pas ses compétences.


L’imprécision flagrante de la définition, qui inclue notamment les chiens présentant plusieurs caractéristiques morphologiques de croisements de pitbulls, suffirait d’ailleurs vraisemblablement à empêcher son application même si la municipalité avait la compétence de règlementer aussi largement sur cette question. Et pour les propriétaires qui se feraient dire par un agent de la Ville que leur chien ressemble suffisamment à un croisement de pitbull pour être interdit, aucun moyen de contestation n’est prévu au règlement. En droit administratif, c’est ce qu’on appelle un manque d’équité procédurale. Il est là, le respect du maire de Montréal pour l’État de droit.


Son administration a d’ailleurs été accusée d’avoir fait preuve d’empressement et d’avoir manqué de rigueur dans la rédaction du règlement, d’où ses nombreuses lacunes. Ce n’est pas tout à fait faux, mais s’en tenir à cette explication serait lui prêter trop de bonnes intentions. Il semble aussi y avoir quelque chose de délibéré dans cette définition évidemment trop imprécise de ce qu’est un pitbull, dans ce manque d’équité procédurale et dans cette incompatibilité d’avec les compétences de la Ville.


Le maire Coderre savait pertinemment que ce règlement serait contesté, mais il est néanmoins allé de l’avant avec une argumentation à laquelle ses propres avocats ne semblaient même pas croire. Pour illustrer l’interprétation de ce qu’est un chien pitbull, ils ont ainsi expliqué candidement que « si ça ressemble à un canard, marche comme un canard et cri comme un canard, il s’agit forcément d’un canard ». Vraiment? Si c’est le mieux qu’on a pu trouver, ça en dit long sur la confiance que l’administration avait en la validité de son propre règlement.


À ce propos, la professeure Danielle Pilette, experte en gestion municipale, soulevait la semaine dernière que ce revers judiciaire n’en est pas forcément un d’un point de vue politique pour le maire. « Je pense même que c’est une stratégie délibérée de sa part et que cela va faire partie de sa campagne électorale », disait-elle, faisant référence à ses requêtes d’accorder plus d’autonomie et de pouvoir aux villes.


Rappelons d’ailleurs que ce n’est pas la première fois que les tribunaux ramènent son administration à l’ordre. Avec l’inconstitutionnalité du règlement P-6, l’interdiction des calèches et l’ouverture prolongée des bars, son administration est en train d’en faire une habitude. Dans ces trois autres cas, le maire avait fait preuve d’une témérité similaire qui dénote un certain mépris du droit et de l’interprétation qu’en font les tribunaux. Que ce soit pour nourrir sa rhétorique sur l’autonomie des municipalités ou par simple opportunisme ponctuel, une telle attitude a de quoi inquiéter.


Dans ce contexte, on ne peut qu’espérer qu’une opposition forte se rassemble en vue de l’élection municipale du 5 novembre 2017. Le projet de fusion entre les partis Projet Montréal et Vrai changement y contribuerait certainement, mais celui ou celle qui devra faire campagne contre le maire sortant aura néanmoins une lourde tâche. Car dans un univers politique où la personnalisation du pouvoir est de plus en plus valorisée, un personnage comme Denis Coderre navigue dans ses eaux. La politique montréalaise aurait donc bien besoin d’une figure d’opposition forte, populisme en moins, pour éviter un despotisme à la Labeaume. Quelqu’un aurait vu Monsieur Taillefer?




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