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Philippe Morneau

La langue anglaise a-t-elle des compétitrices sérieuses ?



Le ressentiment de plusieurs francophones affirmés face à l’avènement de l’anglais se fait toujours sentir et leurs craintes sont exacerbées au regard d’une certaine complaisance de la mère patrie : adoption d’anglicismes, voire de mots anglais, montée de l’enseignement en anglais dans les universités, diffusion culturelle anglophone par celle qui fut longtemps l’ennemie jurée de l’Angleterre, et j’en passe. Pour ceux et celles parmi vous qui détestent viscéralement l’anglais, consolez-vous en vous disant que cette « langue du yiable » disparaitra inévitablement un jour, comme toute langue. Le français fera aussi ses adieux, mais pas de votre vivant, rassurez-vous. Comme des espèces vivantes, les langues naturelles naissent et meurent, et, entre ces deux extrémités temporelles, elles se bouffent entre elles, elles se sacrent des volées, elles génèrent une progéniture, et celles qui ont un passage marqué sur Terre influenceront celles qu’elles ont côtoyées.


Première langue seconde au monde, l’anglais prend le 3e rang des langues avec le plus de locuteurs natifs après le mandarin (900M) et l’espagnol (470M) avec un bassin de 340M de personnes, mais le 2e rang après le mandarin (1,3G) pour le nombre de locuteurs L1 (langue première) et L2 (langue seconde) combinés avec 940M de locuteurs. Il y a donc 600M de personnes qui ont l’anglais pour L2; 140M ont plutôt le français, faisant du français la 4e langue avec le plus de locuteurs en langue seconde, après l’anglais, le mandarin et le malais. Le français est donc en 10e position des langues avec le plus de locuteurs L1 + L2 dans le monde, mais l’anglais en a quatre fois plus et ce facteur ne s’enligne pas pour baisser vu la dominance de l’anglais en affaires, en science et en arts. L’anglais est aussi la langue la plus utilisée sur le web (et de loin), et la langue nationale de la seule superpuissance mondiale (pour un p’tit boute). Ce n’est qu’une question de temps avant que l’anglais ne rafle la 1re place au palmarès des langues ayant le plus d locuteurs, d’autant plus que les pays émergents accordent une importance accrue à l’apprentissage de l’anglais, dont la maitrise, combinée à une bonne éducation, constitue pour plusieurs un passeport pour se sortir de la pauvreté.


L’anglais est somme toute une langue facile à apprendre. Ses difficultés résident surtout dans l’orthographe et la prononciation, toutes deux irrégulières. Mais la régularité de la plupart de ses conjugaisons et sa dérivation vers les temps passé et futur posent relativement peu de problèmes; l’absence de genre, de cas, de subjonctif et de formule de politesse ne fait que simplifier le tout. De plus, l’anglais utilise l’alphabet latin, lequel est aussi utilisé par plus d’un milliard de locuteurs ayant une L1 autre que l’anglais (les langues latines et germaniques, le turc et le vietnamien), catalysant son apprentissage en tant que L2. Avec l’incroyable volume de culture anglophone diffusée à travers le monde, la primordiale exposition à la langue n’est pas un problème.


Ce sont probablement la signature du Traité de Paris en 1763, dans lequel la France céda presque tout son territoire nord-américain à l’Angleterre, conjugué à l’avènement moderne de la machine culturelle et migratoire états-unienne qui vit le jour 14 ans plus tard, qui ont constitué le tuteur de l’arbre de la langue anglaise dont les racines pousseront finalement plus rapidement que le bambou chinois, consacrant l’anglais la lingua franca.


Devant un tel pronostic favorable à l’anglais, cette dernière a-t-elle des concurrentes averties prêtes à la surpasser dans la course de la sociolinguistique évolutionniste? L’on pourrait considérer le mandarin vu sa 1re place en nombre de locuteurs, mais les prévisions démographiques indiquent que la population chinoise a presque atteint un maximum au XXIe siècle. Le mandarin demeure réputé très difficile à apprendre pour les locuteurs natifs de langues indo-européennes passé un jeune âge. Bien que la langue soit simplifiée par une absence de déterminants, de conjugaisons, de genres et de pluriels, elle est complexifiée par ses quatre tons, sa calligraphie et la mémorisation nécessaire d’une multitude de caractères.


L’espagnol, le portugais, l’arabe, le hindi, l’ourdou, le bengali et l’indonésien demeurent les compétiteurs potentiels les plus sérieux vu la population croissante en Amérique latine espagnole, au Brésil, dans le monde arabe, en Inde, au Pakistan, au Bangladesh et en Indonésie, respectivement. Le portugais et l’hindi ont chacun été proposés comme futures langues officielles de l’ONU et on tente d’étendre la reconnaissance de ces langues dans d’autres institutions internationales. L’arabe connaitra un gain important de locuteurs, mais la difficulté de la langue et la grande diversité de ses dialectes forment des freins tout aussi importants.


Toujours est-il que l’émergence de ces régions produit non seulement un plus grand nombre de locuteurs en L1, mais incite également des locuteurs potentiels en L2 et L3 à apprendre la langue, généralement pour les besoins d’un emploi, en vue de booms économiques importants dans ces régions. Le nombre de locuteurs du français montera aussi en flèche au cours du XXIe siècle suivant l’explosion démographique prévue de l’Afrique subsaharienne. La mondialisation favorisera aussi l’émergence de villes cosmopolites où l’apprentissage des langues risque de se faire plus facilement vu une plus grande accessibilité aux communautés ayant pour L1 celle qu’on cherche à maitriser. Je considère ce facteur beaucoup plus pesant dans l’évaluation de la croissance du nombre de locuteurs d’une langue que, par exemple, un développement hyper rapide de la technologie liée à l’apprentissage des langues.


En effet, aussi pratique puisse-t-elle être, le contact humain direct dans l’apprentissage d’une langue reste le meilleur atout pour développer ses capacités linguistiques. Toutefois, il faut reconnaitre l’apport de la technologie en ce qu’elle permet la pratique à toute heure, à son rythme, tout en réduisant le facteur gêne. La confection de programmes d’apprentissage en réalité virtuelle connaitra un développement retentissant dans les prochaines décennies, et je prédis que les interactions linguistiques deviendront pas mal in d’ici peu.


Ainsi, la distribution des langues naturelles sur le plan des locuteurs est-elle si importante? Gardons en tête qu’avec les progrès récents et à venir en traitement de la voix et en traduction, ce n’est qu’une question de temps (convenons que ce n’est pas pour la semaine prochaine) avant que vous ayez votre traduction instantanée lors d’une conversation avec un étranger qui ne parle pas votre langue. Ne vous attendez pas à de la télépathie de votre vivant non plus. Il faut admettre que bien que sortit tout droit de la science-fiction, le pouvoir de communiquer de manière possiblement abstraite par la pensée, ça serait pas pire pantoute. Entre temps, les polyglottes sont toujours les bienvenus. Outre les effets bénéfiques démontrés pour le cerveau et de meilleures opportunités de carrière, l’apprentissage d’au moins une seconde langue ne fera qu’étendre votre expérience humaine et, surtout, accroitre votre liberté.

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