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Maxime Leboeuf

Le sourire béat de l'UEQ



Note aux étudiants en droit qui ne connaissent que les murs rénovés de Jean-Brillant : pendant que les coffres de notre faculté se gorgent de dons privés, d’autres n’ont pas la même chance. Les politiques d’austérité du gouvernement Couillard ont sérieusement mis à mal la qualité de l’enseignement supérieur, et leurs effets se font sentir tant pour les étudiants que le personnel universitaire.


Mais ce n’est pas bien grave, parce que les Libéraux sont les sauveurs du Québec, pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris. Leur émissaire en matière d’éducation supérieure, cette chère Hélène David, l’a d’ailleurs prouvé de nouveau le mois dernier en annonçant un réinvestissement de (tenez-vous bien)... 80 millions de dollars!


Le montant sera injecté dans l’Aide financière aux études (AFE) et permettra notamment d’offrir un soutien aux parents étudiants. Entre autres choses, cela fera en sorte qu’une pension alimentaire pour enfant ne soit plus comptabilisée à titre de revenu dans l’attribution des prêts et bourses.


L’annonce a été de suite applaudie par l’Union étudiant du Québec (UEQ); cette nouvelle association nationale qui représente principalement des étudiants de l’UdeM, dont ceux de la faculté de droit. « C’est 80 millions de plus dans la poche des étudiantes et étudiants. Il s’agit du réinvestissement le plus élevé des 15 dernières années dans le programme de l’AFE », peut-on lire dans son matériel promotionnel à ce sujet.


C’est bien beau, tout ça, sauf que certains aspects de ce « réinvestissement », qui est en fait un transfert fédéral, ne consistent qu’à se conformer à une interprétation que la Cour d’appel du Québec avait dictée en 2009. Dans l’affaire E.G. c. Reid, on avait effectivement conclu que la pension alimentaire est un droit personnel de l’enfant, et qu’on ne peut donc pas la considérer dans le revenu d’un parent pour le calcul de l’AFE. La Cour suprême avait ensuite refusé d’entendre l’appel de Québec, qui s’était empressé de reficeler son règlement pour clarifier l’inclusion de la pension alimentaire à titre de revenu.


Une telle disposition restait toutefois d’une légalité discutable, notamment en raison du rattachement de la pension à l’enfant et d’effets discriminatoires pour le parent. Pourtant, on était bien fier d’annoncer cette mesure qui n’a fait que rétablir l’interprétation de la Cour d’appel, sept ans plus tard.


Mais surtout, cette annonce arrive après deux ans de désinvestissement massif en éducation. Depuis 2014, c’est au moins 335,8 M$ qui auraient été coupés dans l’éducation postsecondaire par Québec, une compression qui a poussé plusieurs universités déjà en crise financière vers le déficit. S’ajoute à cela une hausse substantielle des frais de scolarité des étudiants étrangers, qui ont vu leur facture augmenter de 25 % dans certains cas, soit de 3 000 à 4 000 $ supplémentaires par année (1). Et c’est sans compter les diverses hausses de tarif imposées dans le cadre de politiques d’austérité qui affectent directement ou indirectement la capacité financière des étudiants.


Pour le sauvetage, on repassera.


C’est une analyse que ne semble toutefois pas partager l’UEQ. Se tenant fièrement aux côtés de la Ministre durant l’annonce, son président a pris le temps de la féliciter chaleureusement, y voyant là une « annonce historique » et la preuve d’une « approche collaborative à l’égard de [leurs] demandes ».


Il y a évidemment de quoi applaudir. Cette mesure était réclamée depuis longtemps et aidera plusieurs étudiants en difficulté financière. Mais de là à s’en draper comme d’une victoire majeure du mouvement étudiant? Discutable. Disons qu’un petit oui, mais lancé à la Ministre aurait fait du bien. Eh non; on s’est plutôt fait plaisir à pavaner aux cotés de ce gouvernement qu’on devrait plutôt pourfendre.


En cela, la direction de l’UEQ fait preuve d’une certaine hypocrisie face à ses membres. On nous assure sans trop de nuance qu’il s’agit là d’une preuve de la sensibilité des Libéraux ainsi qu’un remède à leur saccage de l’éducation – chose qui semble d’ailleurs être déjà oubliée. De ce fait, la direction se présente comme le parangon des intérêts étudiants plutôt que de favoriser la transparence dont elle se targue.


En plus de témoigner d’un manque d’honnêteté, cette attitude affecte aussi sérieusement le poids politique de la voix étudiante. Alors qu’on entre dans une période de surenchère préélectorale, il serait peut-être temps d’élever le ton face à un gouvernement qui a considérablement mis à mal nos institutions d’éducation supérieure. Non seulement pourrait-on profiter d’un éventuel réinvestissement de sa part, mais cela attirerait peut-être le regard de partis d’opposition à la recherche d’alliés. 2012, ça vous dit quelque chose?


Or, ce n’est certainement pas en applaudissant docilement que le mouvement étudiant retrouvera sa force des beaux jours. À ce titre, le contraste entre l’attitude de l’UEQ et celle d’autres associations nationales comme l’ASSÉ ou l’AVEQ est frappant. Ces deux dernières se sont plutôt empressées de qualifier l’investissement libéral de « façade » en soulignant son insuffisance après deux années d’austérité.


Bien sûr, des relations constructives avec le gouvernement sont souhaitables à bien des égards. Mais cette collaboration a des limites; on ne peut jouer le jeu de politiciens qui n’offrent aucune véritable sensibilité aux besoins de l’éducation au Québec. Malheureusement, c’est ce que l’UEQ semble pour l’instant se contenter de faire en relayant la publicité libérale, plutôt que d’exiger plus que des miettes.


(1) À ce propos, voir les données de l’Observatoire des conséquences des mesures d’austérité de l’IRIS, notamment : http://iris-recherche.s3.amazonaws.com/uploads/publication/file/Bilan_observatoire_WEB.pdf

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