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Olivier Béliveau

Une bière avec Bernard



Une poignée de main franche, des propos candides ; il est facile de comprendre pourquoi de nombreux citoyens de la Côte-Nord lui sont extrêmement sympathiques. Il porte en lui la colère légitime des gens qui, depuis des années, souffrent de politiques inadaptées à leurs situations. Il tire sur tout ce qui bouge, mais il est aussi porteur d’un certain nombre de propositions. Le Pigeon Dissident a eu la chance de souper avec Bernard « Rambo » Gauthier à l’occasion de son passage à Montréal pour Tout le monde en parle.


Q : Pourquoi la politique?

Les gouvernements ne nous écoutent plus, donc la meilleure façon d’essayer de changer les règles, c’est de commencer à t’approcher du livre des règlements. Si on veut vraiment être efficace, il faut arrêter de se battre dans la rue, d’abord ça ne donne plus rien. En même temps, il y a une écoeurantite aigüe à grandeur d’la province. On la sent, elle est palpable. Elle n’est pas vraiment présente dans les grands médias télévisuels, mais elle l’est dans les médias sociaux. Grâce aux médias sociaux on réalise plus ce qui se passe réellement sur le terrain. Les gens sont écoeurés. Quand tu dis qu’il y a 40-45% du monde qui ne vont pas voter, à quelque part, il y a quelque chose qui marche pas.


On s’est aperçu qu’au fil des ans, les partis politiques, surtout le Parti libéral, subtilement pis tranquillement, mais efficacement admettons-le, a réussi à adopter et à faire adopter des lois qui nous musèlent, qui nous menottent. « Ferme ta gueule, fais ce que j’te dis de faire. » Si tu te lèves et que tu manifestes trop, là c’est des amendes qui t’attendent. Y m’traite d’intimidateur tabarnak, ça fait des années qu’ils intimident le Québec, qu’ils intimident le milieu ouvrier!


Comme tu disais, tu me vois pas beaucoup à la TV parce que j’ai tendance à les déjouer. Ils pensent qu’ils vont me peinturer dans le coin. « Un ti-cul dans une région perdue dans le Nord. C’est pas normal que ce gars-là soit capable de penser, regardes-y l’allure osti. Y’é pas censé être capable de réfléchir et d’être intelligent. » Mais ça prend pas la tête à Papineau pour savoir qu’on se fait avoir solide.


J’aime ça des gens qui sont visionnaires, qui veulent au moins essayer quelque chose. Assis dans ton salon à gueuler, tu ne règleras pas grand-chose. Vous autres les jeunes vous avez essayé avec vos carrés rouges. Tsé, nous autres on observe ça de loin hein? On est dans nos régions pis on voit ça, mais j’ai trouvé ça admirable. Souvent, j’ai commenté et j’ai dit : chapeau les jeunes, vous m’donnez des frissons! Eux autres ont les couilles de faire ce qu’on n’a pas fait parce qu’on est dans notre criss de zone de confort et on pense que tout va se régler par les autres.


Q : Pourquoi Citoyens au pouvoir (CAP)? Pourquoi pas un autre parti?

Très facile, le nom le dit : Citoyens au pouvoir. On propose quelque chose, vous nous dites ce que vous en pensez. Si ça ne marche pas, tu ne pourras pas me dire que c’est de ma faute : c’est toi qui m’as dit de le faire! Prends la Suisse, c’est un des pays les mieux gérés au monde financièrement et administrativement. Avec les richesses qu’on a au Québec, je peux pas croire qu’on peut pas faire la même chose et même mieux. En plus, on a les Premières Nations avec nous autres.


Q : Justement je voulais arriver à ça. Les Premières Nations vivent beaucoup de difficultés, comment est-ce qu’on fait pour améliorer les choses?

La première des choses c’est de s’assoir avec eux; leur donner leur autonomie, discuter avec eux autres, de comment ils voient les choses, mais il n’y en a pas de discussion, il n’y en a pas de dialogue. Je vais te donner un exemple : le gouvernement, à travers Hydro-Québec, donne des redevances aux Amérindiens. Le Québécois non autochtone ne se fait pas expliquer pourquoi elles sont données. Ça crée une tension entre les premières nations et les autres québécois. Il faut ramener les Premières Nations à l’avant-plan du Québec. Quand tu vas à l’extérieur du pays, le Québec est reconnu par ses Premières Nations. Les Amérindiens, c’est connu en Europe, c’est pas les framboises pis les bleuets qui nous démarquent. Pis c’est beau, c’est ça les vraies racines du Québec et il faut vraiment, sérieusement, pas juste le dire, discuter avec eux et voir comment on pourrait faire ça. Parce qu’ils sont chez eux. Moi, ma nation à moi, c’est les Innus et on est fiers. Chaque communauté est fière. On a nos traditions de chasse, de pêche et le folklore qui entourent tout ça, c’est vraiment une belle chose pour se démarquer. Il y a moyen de s’arranger parce que je sens qu’il y a encore un peu de racisme qui existe à l’intérieur du Québec parce que « sont exempts de taxes », « ils ont le droit d’aller à la chasse pis moi j’ai pas le droit. » Il y a des raisons pour ça, c’est juste de bien l’expliquer, bien le démontrer et créer une identité rattachée avec eux. Encore là ce n’est pas moi qui vas décider ça, mais j’aimerais beaucoup en parler et le remettre à l’avant-plan.


Q : J’ai vu que CAP conçoit le rôle de député comme celui d’un mandataire, c’est-à-dire que les députés ne peuvent voter contre la volonté de leurs citoyens. Peux-tu développer là-dessus?

Le plus loin que le député peut aller, c’est de l’expliquer, d’être un bon vendeur. Pas compter de menterie, être honnête dans les engagements que tu vas prendre. Parce qu’on veut se donner le droit de l’éjecter, le mandataire. On se part un référendum, et bang! On le saute. Faut que tu fasses la job pour laquelle t’es payé. Parce qu’on le vit trop souvent présentement : il y en a qui se sont assis sur le fait que ça fait 40 ans que c’est bleu chez nous. Un moment donné, c’est nous autres qui te paye donc livre la marchandise. On s’entend que tu peux pas plaire à tout le monde, mais encore là : consultation populaire, t’es juste un porte-parole. Quand je vois ça j’en pogne de l’urticaire osti : le bâillon, loi matraque, ligne de parti. Ça ne devrait même pas exister, ça devrait même pas faire partie du dialogue politique. Viens pas me parler de démocratie quand t’emploies ces trois criss de termes-là. C’est pas de la démocratie ça, c’est de la dictature camouflée, subtile.


Q : Tu dis que ça dépend du peuple, mais toi, quels sont les dossiers pour lesquels tu voudrais te battre?

Premièrement, ce ne sera pas moi. On va faire des assemblées constituantes, on va consulter la population, chacune des régions, chacun des comtés va avoir des besoins. Les priorités, ce n’est pas moi qui vas les décider, c’est vous autres. C’est le peuple qui va le décider. Si la santé est prioritaire, on ira sur la santé. Il y a tellement de choses à faire. Je l’ai dit : faut réparer le Québec. Pi le char yé magané en esti, yé magané. Les 4 tires sont à terre, la transmission est à terre, le différentiel est stallé. Il faut faire de quoi avec ça.


Une vision que moi j’ai, que j’aimerais beaucoup – mais surement que ça va passer, c’est winner – à la santé on peux-tu mettre un infirmier ou une infirmière et non un esti de médecin milliardaire. Mettre les bons culs dans les bons sièges.


Q : Une chose qui revient souvent dans les médias, et c’est tout le temps ambigu, c’est ta position sur l’immigration. On ne la connait pas.

Bah, le problème c’est pas qu’on le sait pas, c’est comment ça sort dans les médias. Moi l’immigration je me garde une petite gêne là-dessus. L’immigration, on n’avait pas de problèmes avec ça, sauf que là il y a une immigration de masse qui se fait. On se questionne à savoir pourquoi elle se fait cette immigration de masse-là. On se questionne pour savoir; est-ce que c’est pour sauver le monde ou est-ce que c’est pour s’attirer des votes? Je ne sais pas, je suis vraiment divisé là-dedans. Mais je ne suis pas contre l’immigration, il y en a à Sept-Îles et on n’a jamais eu de problèmes avec ça. Sauf que là, ces temps-ci, dès que tu touches le sujet de l’immigration, il y en a qui réagissent tout de suite. « Ah t’es un fasciste, t’es un raciste! » C’est certain que c’est délicat. Encore là, ce n’est pas moi qui vas décider, encore là : Citoyens au pouvoir.


Q : Quand on a été syndicaliste une bonne partie de sa vie, qu’est-ce que ça fait de se faire comparer à Donald Trump?

J’ai-tu l’air d’un milliardaire moi? Regarde comment je m’habille, j’ai pas 56 pitounes en arrière de moi. Pour moi, Trump peut ben faire ce qu’il veut, ça ne veut pas dire que je vais faire pareil. Encore là, les médias à sensation ont manipulé une information. Moi, j’ai juste dit : je trouve ça trippant ce qui se passe aux États-Unis. Les gens ont décidé de se lever debout, les médias sociaux l’ont fait. Ils ont déjoué tous les journalistes. Il y en a [des journalistes] qui étaient prêts à mettre leurs jobs en jeu. Ils ont perdu leurs paris, mais ils n’ont pas perdu leurs jobs.


Q : Où est rendu le syndicalisme au Québec? C’est quoi les problèmes et comment on les règle?

Le mouvement syndicaliste a été fragilisé par l’establishment, l’élite financière. La réalité, c’est que le mouvement syndical, ça le prend. Il n’y a personne qui va me faire avaler que le boss d’un jeune de 19 ans qui arrive sur le marché du travail va toujours être gentil avec lui, c’est pas vrai. Par la force des choses, il va arriver un compétiteur à la job, prêt à faire ça pour 2 $ de moins de l’heure, c’est là que tu vas avoir besoin de ton syndicat. Si tu en as pas, tu vas te faire tasser. C’est comme ça que c’était dans les années 30 et 40. L’abus au niveau de la santé et sécurité, c’est la même affaire : le boss se câlisse-tu de toi tu penses? Le monde devrait arrêter de chialer sur le mouvement syndical.


***

Si l’on peut critiquer la forme, il faut aussi s’attarder sur le fond; et la réalité c’est que plusieurs des idées de Bernard Gauthier sont louables. Sa volonté de ramener les Premières Nations à l’avant de la scène politique québécoise, de lutter pour la classe moyenne et pour une meilleure redistribution des richesses : voilà là des initiatives avec lesquelles il est aisé d’être en accord. Il demeure que l’on peut le qualifier de populiste, mais force est de constater que Bernard Gauthier demeure un populiste bénin en comparaison à ceux qui pullulent maintenant au sud de la frontière et en Europe. On dira que ce type de discours ne doit pas se retrouver sur la place publique et qu’on devrait le censurer; je rétorquerai que d’essayer de l’ignorer ne peut qu’entrainer une radicalisation du discours politique, d’une manière ou d’une autre.


Il est de notre devoir le plus absolu, surtout si l’on est en désaccord avec Bernard Gauthier, de passer outre la forme et d’engager la conversation avec lui et ses partisans. La réalité, c’est que le syndicaliste est en ce moment la voix d’une colère populaire qui existe de par la précarisation des emplois, la dégradation de la classe moyenne et la fragilisation de nos régions. Même ceux qui sont en désaccord avec le personnage doivent s’accorder sur le fait que certains des problèmes qu’il aborde sont criants. Le fait d’adopter une attitude condescendante à son égard ne peut que contribuer à la prorogation du problème et à l’élargissement du fossé qui se creuse entre les régions et Montréal. Par ailleurs, dans cette ère de postvérité et de politique-spectacle, on ne peut qu’admettre que le la simplicité de l’homme sait plaire; comme preuve, il a été ovationné par le public de Tout le monde en parle, public on ne peut plus montréalais. Ceux d’entre nous qui estiment qu’il ne ferait pas un bon politicien, parce que ses manières sont trop rustres seront sans doute les premiers surpris lors des prochaines élections.

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