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Ulric Caron, du Comité Pro Bono

L’horizon terrifiant



L’exercice de présence au monde, dans un environnement hautement compétitif et axé sur l’individualité, est devenu plus difficile que jamais. Supprimer les barrières de la fiction qui se tiennent devant nous demande une rigueur intellectuelle et personnelle difficile. Conformément au constructivisme, notre construction du réel proviendrait alors de notre interprétation de ce qui nous arrive, chaque évènement et information s’accumulant pour former une vision propre du réel. « Le monde est ma représentation », comme le rappelait Schopenhauer.


C’est l’horreur de l’attentat à la mosquée de Québec, survenue comme un cri, qui montre bien comment une vision déformée du réel peut entraîner la catastrophe. Plus que le vacarme d’une arme à feu, c’est le vacarme insoutenable de l’intolérance que l’on discerne en lisant l’actualité de ces derniers jours. Dans ce climat incertain, cet évènement terrible nous fait ouvrir les yeux sur la xénophobie latente chez une certaine partie de la population. Alors que nous croyons finalement avoir atteint la période d’une certaine paix collective, où la différence et la diversité sont érigées en force plutôt qu’en crainte, cet attentat montre bien que la société se transforme parfois plus vite que certains de ses membres. Survenue quelques jours avant le dixième anniversaire de la Commission Bouchard-Taylor, dont l’objectif était précisément de comprendre et prévenir ce genre de comportement, cette coïncidence funeste a de quoi provoquer un certain malaise. Difficile de masquer tant l’incompréhension profonde de la société moderne dans ce geste qu’une révolte envers un futur qui ne plaît pas à tous.


Alors que les langues se délient, l’intolérance refait surface comme une chimère. Protéger les minorités ethniques ou religieuses à l’heure du populisme n’est pas chose facile, et ce, même si la Charte canadienne consacre à la liberté de croyance et à l’égalité les titres de libertés fondamentales. Les dérives qui peuvent découler de la démocratie, comme une tendance utilitariste où la majorité s’exprime au profit des minorités, sont un danger réel. Albert Camus, qui protégeait les opprimés envers et contre tous, écrivait dans ses carnets en 1958 que « [l]a démocratie, ce n'est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité. » Une idée forte qui plie de plus en plus devant les voix craintives d’une partie de la population, méfiante de cette « minorité ». Face à la montée en puissance de Donald Trump, qui affiche sa crainte avouée de l’autre, notamment après avoir essayé d’imposer un décret anti-immigration, l’inquiétude de voir la personnification de la peur au pouvoir inquiète les observateurs politiques. Il ne reste que notre travail individuel afin d’améliorer les choses. Les évènements actuels imposent une attitude active des citoyens dans la vie politique, il ne suffit plus d’être simple spectateur.


Dans cette tornade de populisme, les médias ont un rôle de choix. Sans « glorifier » l’horreur, ceux-ci véhiculent de plus en plus les idées xénophobes par le biais des figures médiatiques de plus en plus décomplexées qui émergent devant les caméras. Les médias rapportent l’information, parfois avec une teinte de sensationnalisme. N’est-ce pas là un exercice superficiel de compréhension du monde? Leur responsabilité devant l’intolérance grandissante n’est pas à évacuer d’un simple revers de la main. Devrions-nous exiger plus de rigueur et de points de vue différents dans l’actualité? Peut-être. La fâcheuse tendance des médias à simplifier pour mieux se faire comprendre peut être un exercice dangereux au sein d’une société où l’information primaire provient souvent de ces mêmes médias. Lorsque le présentateur Pierre Bruneau a fait l’erreur de dire en ondes que l’attentat de la mosquée est du « terrorisme à l’envers », cela montre bien l’impact des raccourcis de langage et de références erronées par laquelle nous sommes nourris. À force de répéter et d’associer les mêmes figures aux mêmes évènements tout en omettant une mise en contexte, notre construction du réel finit certainement par assimiler une vision du monde, bien éloignée du réel, justement. Les médias d’information auraient tout avantage à confronter ceux qui dérangent à des personnes capables de défendre la thèse contraire, afin qu’un débat entre deux visions contraires puisse naître des idées viables. N’est-ce pas justement tout l’intérêt d’un débat, que nous voyons pourtant si rarement dans les réseaux traditionnels?


L’éducation du droit devient donc plus nécessaire que jamais. Comprendre le droit, c’est aussi comprendre que la société est plus complexe qu’il n’y paraît et que notre interprétation du réel sur un cas donné peut s’opposer à une autre et ainsi être réfutée sur la base même du droit. Tout n’est pas blanc ou noir, et c’est bien dans les plus infimes subtilités que se trouve la complexité de ce qui nous entoure. Comprendre l’origine du fondement des règles qui constituent les piliers de notre société ouvrirait les esprits de nombreuses personnes. Difficile de réussir cet exercice intellectuel rigoureux devant les pages colorées d’un quotidien.


En tant que futurs juristes, cette éducation servira de bouclier contre les atteintes à nos repères moraux. Notre responsabilité active d’experts et acteurs de l’État de droit permettra de le défendre en offrant notre temps et nos compétences. Alors que Trump s’est dernièrement mis à vociférer publiquement contre les juges, qui ont suspendu le décret anti-immigration, la préservation de la séparation des pouvoirs afin d’assurer un respect du droit est une priorité. La démocratie ne doit pas devenir la voix légitime de ceux qui subissent le poids de la haine.


En espérant que les secousses d’intolérance qui frappent un peu partout à travers la planète puissent épargner le Québec, une longue réflexion publique devrait s’engager afin de déterminer ce qu’il reste à améliorer au sein des mentalités. Les manifestations habitées de compassions qui se sont tenues en souvenir des victimes démontrent bien que la tentation de la peur n’est pas encore ancrée dans nos esprits. Il faut souhaiter que notre tradition canadienne d’ouverture puisse résister aux rafales d’intolérances provenant de nos voisins du sud. La réaction horrifiée de la classe politique l’amènera sûrement à agir afin de prévenir les prochaines montées d’intolérance, mais malgré tous leurs efforts, les véritables mesures de changements viendront de nous. Comme de nombreux bénévoles qui contribuent à la défense de la justice au sein de Pro Bono, ce sont les gestes et le don de soi à une cause qui nous dépasse qui préserveront la lumière du droit.

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