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Émilie Paquin

Femme éboueuse



Le 8 mars dernier était la journée internationale de la Femme. Oui, « femme » avec un grand F, parce qu’après les suffragettes, les Frida Kahlo, les Emma Watson et les Beyoncé de ce monde, on le mérite ce « F » majuscule.


Je marchais un bon matin vers Jean-Brillant lorsque j’aperçus le camion de vidanges. La personne qui ramassait les ordures était une femme qui arborait dignement son dossard rose. Que ça m’a réconfortée de la voir s’affairer et que j’étais fière de la voir charrier ces gros bacs qui parsemaient la rue.


Cette femme, cet être qui collectait nos déchets, qui bravait le froid pour rendre un service à la ville en échange d’une rémunération, était l’aboutissement de ma pensée féministe.


Les femmes peuvent donc faire des « métiers d’homme », et ce n’est pas qu’un mythe que prônent les féministes-stéréotypées-qui-ne-s’épilent-pas-les-aisselles-et-qui-détestent-les-hommes.


Ça me rappelait lorsque j’avais 16 ans et que je cherchais mon premier job. Comme toutes bonnes adolescentes, je me suis rendue aux épiceries du coin afin de remplir les formulaires d’emploi. Et, étonnement, on ne m’a jamais rappelée, car je cochais systématiquement « emballeur ». Comme si j’allais cocher « caissière ». Rester debout pendant 7 heures d’affilée, alors que mon collègue masculin qui ne fait que mettre des condiments dans un sac de papier brun, qui ne manipule aucune pièce de monnaie et qui, de surcroît, reçoit souvent du tip, n’était pas dans mes convictions. On s’entend qu’une caisse de 24 bouteilles d’eau, nous sommes toutes en mesure de soulever ça.


Enfin, bref. J’ai eu mon premier emploi à 17 ans et demi.


Peut-être que cette femme éboueuse avait-elle un employeur moins conservateur ou simplement sans idée préconçue concernant le « sexe inférieur ». Toujours est-il que les « métiers d’homme », ça n’existe pas (tout comme le sexe inférieur).


En 2005, 23 femmes étaient éboueuses sur les 143 éboueurs de l’Île de Montréal. Ces femmes, malgré l’emploi plutôt malodorant, expliquent les mêmes raisons sur le « pourquoi » elles exercent ce métier : elles n’aiment pas être enfermées entre quatre murs de 9 à 5, elles aiment bouger et faire un travail extérieur. Dans un article qui porte sur le sujet paru dans Le Devoir, une femme affirme même qu’en effet ce métier n’est pas pour tout le monde, mais autant chez les femmes que chez les hommes. Être vidangeur ou vidangeuse demande après tout une adaptation aux températures variables du Québec, de l’endurance et un sens olfactif peu efficace qu’on soit un homme ou une femme. Le meilleur dans cette histoire c’est que les employés masculins trouvent souvent leurs collègues féminines impressionnantes. Ils changent même leur sujet de conversation et utilisent un meilleur vocabulaire en présence des femmes. En voilà une bonne chose. Lâchez vos discussions sur le hockey et la bière. (C’est une petite blague, les femmes aiment également le hockey et la bière et les hommes ne parlent pas que de ces sujets.)


Même constat pour les pompières. En 2007, seulement 23 femmes éteignaient des feux sur les 2 300 pompiers de l’Île de Montréal. Pourquoi un nombre si petit? Parce que « t’es moins forte parce que t’es une fille »? Ou au contraire, est-ce un grand nombre de femmes pour ce milieu presque essentiellement masculin? Les employeurs des services d’incendies expliquent qu’ils souhaitent engager d’abord des personnes qui ont la passion du métier et que le travail se fait en équipe anyway. Ainsi, ne pas pouvoir soulever un homme de 300 livres qui s’asphyxie et le sortir d’un immeuble en flamme, c’est normal (pour un homme aussi soit-dit en passant) et les effectifs devront s’unir pour y arriver.


Un phénomène semblable se produit dans l’industrie de la construction québécoise, où 2 174 femmes forment la main-d’œuvre active contre (préparez-vous bien) 161 140 hommes en 2012. Parmi celles-ci on retrouve Violette, valeureuse charpentière-menuisière. Elle souligne que, certes, il faut être en shape comme tout charpentier, mais qu’elle n’hésite jamais à requérir l’aide de ses collègues pour certains travaux qui demandent un peu plus de force physique. En fait, Violette souligne qu’elle y arrive très bien toute seule en faisant une étape à la fois. Un bel exemple pour toutes ces jeunes filles bricoleuses qui se retrouvent comme uniques représentantes de la gent féminine dans les DEP offerts en construction.


En résumé, le pourcentage de femme dans les milieux habituellement masculins se situe autour des 1 ou 2 %. Pitoyable, vous direz ?


Peut-être pas aussi médiocre qu’on le laisse présager.


Quand on se compare, on se console : Nos compatriotes nippons font bien piètre figure comparativement au Canada. En effet, le gouvernement japonais constatant le problème du nombre (très) minuscule de femmes sur le marché du travail souhaite relancer l’économie avec sa stratégie de « Womenomics », c'est-à-dire encourager les Japonaises à intégrer (ou réintégrer) le monde du travail. 3 % : c’est le pourcentage de dames qui siègent dans les conseils d’administration des entreprises au Japon contre 20 % au Canada. Parité hommes-femmes au Japon? On attend encore la fameuse réplique que Trudeau pourrait lancer au gouvernement japonais : « Because it’s 201[7] ».


Si on se compare temporellement, on se console également : Statistiques Canada relate que le taux de femmes sur le marché du travail est passé de 24 % en 1953 à 76 % en 1990. Les calèches venaient de disparaître en 1953 et la pensée sociale du moment était somme toute différente (j’exagère un peu), mais, pour contextualiser, le gouvernement conservateur de Duplessis triomphait en 1953 alors que la chanson n° 1 en 1990 était Vogue, de Madonna. Cette même Madone qui nous a offert Express Yourself, hymne au féminisme.


***


Bien sûr, il n’a pas été question dans cet article des congés de paternité, des hommes qui subissent de nombreux préjugés pour devenir éducateur à la petite enfance ou encore des hommes au foyer. Je ne ferai pas une Sophie Grégoire de moi-même. Du moins, pas dans cet article.


La Journée internationale des femmes, c’est toute l’année. Soulignons-la, soyez fières d’être femmes, parce que l’équité salariale n’est pas encore atteinte, parce qu’on peut porter des talons hauts sans se faire dire qu’on est poupounes, et parce qu’on peut soulever des caisses de 24 bouteilles d’eau. Ou 24 bières, selon le goût.


Aussi, parce qu’on peut être chic sans être en jupe ou en robe.


Et surtout, parce que je me languis du jour où l’autocorrecteur de mon ordinateur cessera de modifier « éboueuse » par « éboueur ».

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