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Élisabeth Gendron

Femmes en politique : le chemin qu’il reste à faire


À ceux qui croient profondément que les féministes se plaignent le ventre plein;

À ceux qui roulent des yeux lorsqu’on leur répète que les femmes ne sont pas encore égales aux hommes;

À ceux qui croient que la politique n’est pas faite pour la gent féminine;

À ceux qui m’ont dit que je ne ferais pas une bonne politicienne à cause de mon sexe.


Mondialement, seuls 23.3 % des sièges dans les parlements sont occupés par des femmes (2). Au Canada, le pourcentage se tient à 26 % (3) et au Québec, à 27.2 % (4). Les femmes prennent le quart des postes législatifs disponibles, alors qu’elles sont représentantes de la moitié de la population qui les a élues. Les statistiques s’aggravent lorsque nous examinons le pourcentage de femmes issues de minorités visibles. Regardons les choses en face : les femmes sont encore le genre mal-aimé de notre démocratie.


Bien qu’il sembla évident au premier ministre Trudeau que son cabinet ministériel se devait d’être composé de 50 % de femmes, because we’re in 2015, il semble que le message ne se soit pas encore rendu aux électeurs et aux institutions publiques. À chaque élection, les chefs de partis se voient contraints de placer leurs candidates féminines dans des circonscriptions dites « sûres » afin de garantir qu’elles gagnent leur campagne, et l’électorat a encore cette vision biaisée qu’un député masculin fera un meilleur leader qu’une femme députée.


Où sont les lacunes, quels sont les obstacles qui barrent encore la route au genre féminin de prendre la place qui lui revient dans nos institutions? Lorsque cette question fut posée à cinq députées provinciales durant un panel sur la présence des femmes en politique, le 15 février dernier (5), il y eut consensus : le principal obstacle des femmes, ce sont elles-mêmes.


Vous aurez compris, chèr(e)s lecteur(trice)s, que la consternation s’est abattue à ce moment sur l’assemblée de jeunes femmes présentes à l’évènement, qui attendait une tout autre réponse. Ces élues auraient dû être les premières à savoir et à scander haut et fort que la volonté ne manque pas chez les femmes – et même les jeunes femmes - pour faire le saut en politique. La principale barrière, ce sont plutôt ces deux mots que la classe politique n’ose pas dire à voix haute dans les corridors des parlements : le sexisme institutionnel.


Celui-ci se retrouve dans différentes sphères du système politique. Nous nous devons ainsi d’instiguer à la base, soit de plonger dans les motivations de l’électorat.


L’idée est encore ancrée dans la mentalité québécoise et canadienne que les femmes ne sont pas aptes à diriger. La stigmatisation s’aggrave lorsqu’on les définit comme des êtres qui sont essentiellement tournés vers ce qui prend la plus grande partie de leur temps et de leur attention : leurs enfants, si elles ont fait le choix d’en avoir. Pour la masse électorale, une femme qui a à s’occuper de sa progéniture n’a nécessairement pas un horaire adapté ni les prédispositions vitales au métier parfois écrasant de députée, ministre, première ministre, etc. On accepte (depuis peu) qu’elle trouve un équilibre travail/famille; on répugne qu’elle fasse de même avec la vie publique. Notez que ce reproche n’est à peu près jamais fait chez la gent masculine.


Or, bien que les intérêts de beaucoup de femmes évoluent quand elles deviennent mères – après tout, elles ont maintenant des adultes miniatures à éduquer – elles ne se transforment pas brusquement en individus qui ne se définissent exclusivement que par leur maternité. Ces femmes continuent à avoir les mêmes passions et traits de personnalité qu’elles avaient avant. Si le désir de s’engager politiquement existait dans leur vie de non-mère, ce désir n’a certainement pas été évacué en même temps que l’enfant grandissant en leur sein. Et si les partenaires des députés masculins acceptent de sacrifier de leur temps au profit de la carrière de leur conjoint, pourquoi les partenaires des femmes députées n’en feraient-ils pas autant?


La deuxième entité que nous nous devons de pointer du doigt, ce sont les partis politiques eux-mêmes. Bien que beaucoup d’entre eux aient eu, dans les années 80 et 90 (6), la volonté de promouvoir la présence de plus de candidates féminines en leurs rangs, l’avènement des années 2000 a vu ces convictions tomber dans le néant, en même temps que le féminisme devenait un mouvement impopulaire et négativement perçu de la population. Fort est à parier que les discours prononcés auparavant par ces partis n’étaient que coquilles vides qui servaient à leur capital politique.


Comment alors s’assurer que ces partis, qui semblent vouloir revenir vers un idéal paritaire, puissent remplir cet objectif? Plusieurs militant(e)s (7) croient que la solution se trouve dans des règles internes que se donnent les partis qui exigeraient de présenter un minimum de femmes lors des élections (entre 40 et 60 %).


C’est d’ailleurs ce qu’a fait Québec solidaire, qui s’est engagé à adopter « des règles et des pratiques permettant la parité et la plus complète participation des femmes aux structures comme aux élections » (8). Ce principe est également appliqué via des politiques internes par le Nouveau parti démocratique (NPD) fédéral, qui, lors des élections de 2015, avait présenté 42,8 % de candidates, soit 140 femmes sur un nombre total de 327 (9). Kennedy Stewart, un élu et spécialiste de la question de l’équité, était même allé jusqu’à déposer le projet de loi C-237, qui, s’il avait été adopté, aurait imposé des sanctions pécuniaires aux partis qui n’auraient pas présenté au moins 45 % de femmes parmi leurs candidat(e)s (10).


Cette première étape étant éventuellement réalisée, encore faut-il que les partis intègrent les conceptions novatrices qui sont amenées par ces candidates. Une femme n’aura pas véritablement sa place dans un groupement politique si la ligne de parti trop souvent rigide ne peut être modulée pour y intégrer ces perspectives nouvelles.


Si certains croient que ces mesures sont drastiques et peu adaptées à la politique canadienne et québécoise, qu’ils attendent d’entendre ce que ces mêmes militant(e)s préconisent : l’insertion d’une loi exigeant qu’un nombre minimal de femmes soient élues (11). Ces mesures ont fait des miracles en Suède, qui affiche à ce jour l’un des plus haut taux de parité au niveau mondial (12). Cette proposition soulève pourtant le même genre de réactions que lorsque Justin Trudeau avait présenté son cabinet paritaire : en se « forçant » à mettre en poste autant d’hommes que de femmes, le premier ministre a écarté de meilleurs candidats masculins au profit de ministres incompétentes.


Permettez-moi, chèr(e)s lecteur(trice)s, de pousser un soupir.


Pourquoi ces détracteurs de l’égalité des genres ne se sont-ils pas posés la même question, mais à l’envers? N’est-il pas possible que les hommes puissent eux aussi être incompétents? L’histoire nous l’a pourtant montré à plusieurs reprises : la multitude de monarques à la tête de royaumes européens qui ont failli mener leur peuple à la destruction, Donald Trump, Laurent Lessard et Martin Coiteux, respectivement ministre des Transports et ministre de la Sécurité publique, qui ont si mal géré la récente tempête ayant frappé le Québec…


Si les élues actuelles ont atteint le poste qu’elles occupent, c’est forcément parce qu’elles possèdent les aptitudes et le profil pour mener les combats demandés par ce rôle. Pensons à Catherine McKenna, ministre fédérale de l’Environnement, diplômée en relations internationales et en droit de plusieurs écoles prestigieuses telles que l’Université de Toronto et de la London School of Economics. Pensons également à Françoise David, ex-porte-parole de Québec solidaire, diplômée de l’Université de Montréal en travail social, qui fut à la tête de nombreux mouvements et organisations, comme la Fédération des femmes du Québec (FFQ). Les exemples ne manquent pas, et l’argument de l’incompétence ne tient donc définitivement plus la route.


Le dernier élément qui est primordial de mentionner, c’est la culture institutionnelle sexiste du modèle masculin blanc que nous n’arrivons pas à désincruster de nos assemblées législatives. Longtemps, les parlements fédéral et provinciaux ont été des boys clubs; l’agressivité dans les discours et les débats était louée, encouragée, se faisant le miroir des valeurs qu’on inculque aux jeunes garçons. Lorsque les femmes ont enfin obtenu le droit de se faire élire, on leur a aussitôt demandé de se conformer à ces habitudes instaurées par leurs prédécesseurs masculins. La condition qui venait avec ce nouveau droit acquis, c’était qu’elles délaissent leur féminité pour entrer dans le moule, sans quoi elles allaient rapidement être expulsées du système. Cependant – sans toutefois vouloir généraliser – il a souvent été reconnu que les femmes participant à la vie publique ont tendance à avoir une approche davantage conciliatrice qu’agressive. Vous imaginez très bien que cela est déstabilisant dans un monde politique où les « effets de toge » sont à la mode et que les insultes fusent d’un côté et de l’autre de la Chambre. C’est que les femmes détonnent avec le modèle masculin blanc typique, qui montre que les hommes sont bien plus souvent dans l’arène politique pour mener une simple lutte d’égo pour conserver le pouvoir que pour réformer la société. Lorsque les femmes rejoignent la vie politique, elles ont souvent un but précis, elles veulent donc y parvenir plus rapidement, et facilitent alors la conciliation pour y arriver.


Quels progrès pourrions-nous faire en instaurant une plus grande collaboration entre les élus, sans toutefois écarter complètement l’approche plus musclée qui est parfois nécessaire pour faire passer nos idées? Le surplace permanent dans lequel nos gouvernements sont embourbés prendrait fin, et la société pourrait évoluer plus rapidement. On lèverait, du même fait, la barrière traditionnelle et institutionnelle qui rebute certaines femmes à faire le saut en politique, leur permettant enfin d’amener de nouvelles idées et de représenter ce groupe trop souvent réduit au silence que sont les Canadiennes et les Québécoises.


Le tableau brossé ci-dessus vous semble sans doute très sombre, car la route est encore longue avant d’atteindre la parité. Soyez toutefois rassuré(e)s; un puissant vent de changement souffle sur les jeunes générations Y et « Millenial ». Les jeunes femmes, et même les jeunes hommes, sont propulsés par l’encouragement et le soutien mutuel que leur offrent les médias sociaux. Elles et ils sont de plus en plus éduqué(e)s, et donc plus conscient(e)s des avantages qu’a une démocratie d’être dirigée autant par des femmes que par des hommes. On voit également naitre plusieurs mouvements et initiatives militant en ce sens.


Le virage qu’il nous manque, aujourd’hui, en 2017, pour que tous les changements majeurs nécessaires à l’atteinte de la parité se réalisent, c’est un renversement drastique des mentalités. Chacun de nous se doit de prendre conscience que, par l’absence des femmes et des minorités culturelles dans nos institutions publiques, notre démocratie est vouée à incessamment être inefficace, et peut-être même à périr. Elle est condamnée à être témoin de l’adoption de politiques déficientes concernant directement des enjeux typiquement féminins, comme l’avortement et les droits reproductifs, établies par des hommes qui ne sauront jamais ce que ces lois peuvent avoir comme impact. La misogynie intrinsèque qui grouille dans le « plus meilleur pays du monde » est une pensée arriérée, moyenâgeuse, qui n’a plus sa place dans notre modernité.


Si j’ai un conseil à vous donner, cher lectorat, c’est celui-ci : les femmes s’en viennent prendre leur part du pouvoir. Et elles arrivent vite. Écartez-vous du chemin si vous ne croyez pas être capables de les suivre.

  1. Ce texte a pris une grande partie de son inspiration dans l’ouvrage de Pascale Navarro intitulé « Femmes et pouvoir : les changements nécessaires – Plaidoyer pour la parité », paru aux Éditions Leméac, en 2015.

  2. Inter-Parliementary Union. « Les femmes dans les parlements nationaux », en ligne, < http://www.ipu.org/wmn-f/world.htm > (consulté le 16 mars 2017).

  3. Parlement du Canada. « Députés de la 42 législature », en ligne, < http://www.parl.gc.ca/Parliamentarians/fr/members?parliament=42 > (consulté le 19 mars 2017).

  4. Conseil du statut de la femme du Québec. « La parité en politique, c’est pour quand? », en ligne, < https://www.csf.gouv.qc.ca/speciale/femmes-en-politique/ > (consulté le 19 mars 2017).

  5. Panel organisé par le chapitre québécois d’À voix égale dans le cadre de l’évènement Héritières du suffrage à l’édifice du Parlement, à Québec. Il était composé de Maryse Gaudrault (PLQ), Caroline Simard (PLQ), Carole Poirier (PQ), Mireille Jean (PQ) et Lise Lavallée (CAQ). Quatre députés sur cinq ont fait cette affirmation. Seule Mireille Jean a dénoncé le sexisme institutionnel.

  6. Préc. Note 1, p. 47.

  7. À titre d’exemple : Françoise David, Esther Lapointe, Pascale Navarro.

  8. 1 Site officiel de Québec solidaire. « Nos principes », en ligne, < http://quebecsolidaire.net/propositions/nos-principes > (consulté le 19 mars 2017).

  9. La Presse canadienne. « Le NPD champion de la représentativité féminine au Québec et au Canada », en ligne, < http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/736137/npd-parti-compte-plus-candidates-femmes-elections-quebec-canada > (consulté le 19 mars 2017).

  10. Guillaume Bourgault-Côté. « Le Parlement et sa parité de façade », en ligne, < http://www.ledevoir.com/politique/canada/469622/le-parlement-et-sa-parite-de-facade > (consulté le 19 mars 2017)

  11. Mesure qui ne serait toutefois possible que dans l’éventualité où le système électoral serait changé vers un système proportionnel mixte.

  12. En date du 1er janvier 2017, 43,6 % du Parlement suédois était représenté par des femmes, classant la Suède au sixième rang du tableau mondial de la parité. Inter-Parlimentary Union. Préc. Note 2.


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