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Ulric Caron, du Comité Pro Bono

L’épreuve qui vient - La Vie est ailleurs



Le 8 mars dernier avait lieu au centre-ville une soirée-bénéfice en l’honneur du travail des bénévoles de Pro Bono, rappelant l’importance de s’impliquer à l’accessibilité à la justice, un combat constant, qui demande de se dédier à cette cause qui nous dépasse. Ce fut aussi le moment d’apprendre auprès des praticiens les problèmes multiples de cet enjeu; sous-représentation des femmes, droit de l’immigration complexe et parfois incohérent ainsi que le combat constant pour lequel se dédie les avocats pour servir au mieux le justiciable dans un système aux ressources limitées.


Cette soirée rappelait que derrière les études et le travail se trouve avant tout l’accomplissement personnel, l’idée que quelque chose puisse nous dépasser, et c’est bien dans le don de son temps et de ses connaissances pour le bien commun que ce sentiment s’impose. Ce début d’année fut d’emblée marqué comme celle d’un renouveau du système, avec comme leitmotiv « l’accès à la justice », phrase tatouée sur les lèvres de tous les acteurs du monde juridique. La nouvelle juge en chef de la Cour du Québec, l’honorable Lucie Rondeau, nommée en octobre dernier, en a même fait une priorité devant le besoin criant des justiciables et l’éclatement provoqué par l’arrêt Jordan. Il s’agit alors plus d’un devoir moral de contribuer au « bien », afin de régler cette crise qui touche la légitimité et la conscience du système judiciaire, maintes et maintes fois critiquée par les médias cette année.


L’un de ces évènements marquants de l’actualité judiciaire fut la grève des juristes, finalement conclue le 28 février dernier lorsque les juristes de l’État ont été forcés, sous le coup froid d’une loi spéciale, de rentrer au travail suite aux échecs d’une longue négociation. Le spectacle fut étrange : ceux qui dirigent le gouvernement dans leurs actions légales se voient contraints par le même pouvoir de taire leur opposition. Encore plus curieux, la ministre Stéphanie Vallée, lors des débats sur l’adoption de cette loi, a été vue en train de jouer sur sa tablette, un geste anodin certes, mais qui traduit malgré tout un symbole fort de l’ensemble du conflit. LANEQ cherchait avant tout la juste reconnaissance de leur travail et à ne plus être ignorés. Il voulait, à leur façon, accéder à la justice.


Difficile de ne pas être étonné par une conclusion aussi décevante de ce conflit, surnommé le « plus long de la fonction publique canadienne. » Un combat ayant duré 128 jours de marches et de piquetage. Pour autant, la loi spéciale ne met pas fin aux négociations; une solution est toujours possible. La création d’un comité de rémunération indépendant permettrait d’asseoir la division des pouvoirs, chère à notre démocratie. Les nombreuses revendications de LANEQ ont d’ailleurs motivé le barreau à prendre position durant le conflit. La Bâtonnière, Me Claudia P. Prémont, a même déclaré que « [c]ette situation a assez duré et le temps est venu de considérer le rôle fondamental des juristes de l’État dans la bonne marche des activités législatives. » En effet, le rôle des membres de LANEQ est de guider la légalité des démarches du gouvernement et de ses différents ministères. Ils représentent l’élément matériel et légal de ce qu’est le législateur, autant dans les choix que dans la rédaction. Leur rôle est essentiel au maintien de l’État de droit et de sa cohérence.


Mais comment considérer cet État de droit, lorsqu’une loi spéciale brise le dialogue vers un accès à la justice, où l’on devrait favoriser le dialogue à la victoire du plus fort? Le droit découle-t-il du simple pouvoir ou peut-il être plus grand, plus transcendant? Épicure disait d’ailleurs dans ses Lettres et Maximes que « la justice n’est pas un quelque chose en soi […] », ce serait donc plutôt une conception issue de la collectivité.


Le retour au travail pour les juristes subit le 1er mars représente bien l’étrange rapport entre le politique et le droit, à la fois pilier et barrière pour les deux pouvoirs. Ce même spectacle s’observe avec fureur aux États-Unis, où le décret du président Trump s’oppose au droit, affrontant le pouvoir à des valeurs immatérielles, supérieures et inviolables.


L’État de droit est le symbole de toutes ces règles, appliquées aux citoyens et aux institutions. Pourtant, malgré toutes les présomptions qui entourent les décisions du législateur dans l’adoption de ces différentes lois (cohérence, raisonnable, etc.), force est de constater que le droit reste fondamentalement humain et imprévisible, soumis trop souvent à la voix la plus puissante. Dernier rempart et idole fictive de nos valeurs, les règles cristallisent la bonne conduite, pour le bien ou pour le pire.


L’histoire semble alors rattraper dangereusement notre époque, de plus en plus consciente de la fragilité de ses institutions, déchirées entre le droit et le politique. Le droit reste avant tout une idée du bien vivre ensemble, comme le rappelle le philosophe français Pierre Gassendi dans son Traité de philosophie écrit en 1649 : « […] ce à quoi tend le droit, ou respect de ce qui est juste, est nécessairement quelque chose qui soit un bien pour tous les membres de la société, individuellement ou collectivement ». C’est bien sur ces idées solides que sont basées nos sociétés, comme une empreinte de notre culture et notre vision du monde. Porter le droit et le défendre, c’est aussi porter une cause qui nous dépasse et qui nous englobe tous. Il devient alors nécessaire d’aller parfois au-delà de la loi pour retrouver droit.


Peu à peu se profile cette épreuve qui vient, où les juristes devront utiliser au mieux les ressources limitées du système judiciaire pour servir le droit et la loi. Se dédier à l’accès à la justice, crise majeure des sociétés occidentales, deviendra cette nouvelle épreuve de transcendance, qui donnera peut-être un sens nouveau au droit, et aux juristes.


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