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Sofia Panaccio

Ne lis pas entre mes lignes



La culture du viol, ce concept présent dans notre société à travers les films, les débats politiques et les opinions populaires, pour ne nommer que ces quelques exemples, semble être assez mal interprété et victime d’une incompréhension généralisée. Et cela, même au sein de notre milieu universitaire où cette culture est, depuis un certain temps, un lourd enjeu. Ainsi, cette expression ne réfère pas uniquement à la perpétration d’un viol, elle englobe plutôt une gamme d’actes encourageant le non-respect du consentement sexuel, l'objectivation de la femme et la banalisation du refus. La musique pop est l’un des véhicules les plus sournois de cette mentalité qui ne cesse de se répandre. Chacune de ces représentations de la culture du viol est en effet bien illustrée dans Blurred Lines, la chanson pop de Robin Thicke, Pharrel Williams et du rappeur T.I. Ce succès RnB Funk datant de 2013 a engendré une polémique concernant le consentement sexuel qui n’a pas eu beaucoup d’écho dans les médias québécois.


La principale accusée, Blurred Lines, porte sur l’histoire d’une jeune femme dansant dans une boîte de nuit qui semble envoyer des signaux mixtes quant à son intérêt sexuel à l’égard du chanteur Thicke. Dès lors, celui-ci trouve approprié de lui inculquer des intentions qu’elle n’a peut-être pas en affirmant «I hate these blurred lines! I know you want it». Du point de vue des auteurs-compositeurs Thicke et Williams qui se sont justifiés en entrevue à la suite de ce scandale, la femme dont il est question dans la chanson rêvait plutôt d’une nuit torride en compagnie du chanteur, mais n’osait pas s’affirmer à ce sujet en raison de sa timidité.


Il semblerait donc que les paroles soient plus entraînantes que choquantes? Dès lors, quand Thicke chante «Talk about getting blasted, I hate these blurred lines, I know you want it, but you're a good girl, the way you grab me, must want to get nasty», il ne fait qu’encourager la femme à s’émanciper sexuellement? Selon la vingtaine d’associations étudiantes britanniques qui ont banni de leurs évènements universitaires cette chanson quelques mois après sa sortie en mars 2013, cette dernière représente la culture du viol purement et simplement.


La version complète du vidéoclip a d’ailleurs été bannie de Youtube, puisqu’on n’y entend non seulement ces paroles controversées, mais on y voit aussi trois mannequins, Emily Ratajkowski, Jessi M'Bengue et Elle Evans, quasiment nues (ne portant qu’une petite culotte et des chaussures précisément) dansant en compagnie des chanteurs de manière provocante. Cette chanson, qui a été qualifiée de rapey par la journaliste Tricia Romano du Daily Beast dans son article intitulé «Blurred Lines, Robin Thicke’s Summer Anthem, Is Kind of Rapey», a pourtant été classée numéro 1 au Billboard américain Hot 100 douze semaines d’affilées au cours de l’été 2013.


Ainsi, selon les précieux conseils de Thicke et Williams, lorsqu’une femme repousse vos avances, elle veut réellement dire le contraire. La conception même du viol repose en cette notion bien connue: le consentement sexuel doit être donné clairement et il peut être retiré à n’importe quel moment. Or, il semblerait que les auteurs-compositeurs de ce succès pop n’aient pas été mis au courant de ces principes légaux élémentaires.


Cette chanson a été victime d’une controverse beaucoup plus connue que celle de la glorification du viol. Thicke et Williams ont été reconnus coupables de plagiat envers les enfants de l’auteur-compositeur Marvin Gaye, car plusieurs ressemblances étaient flagrantes avec sa chanson Got to give it up datant de 1977. La polémique qui a été revendiquée par de nombreux groupes féministes au sujet de la banalisation du consentement sexuel, quant à elle, n’a pas causé autant de problèmes aux auteurs de Blurred Lines. En effet, le vidéoclip complet a seulement été retiré de la version publique de Youtube après avoir été visionné plus d’un million de fois dans les quelques jours suivant sa sortie. Par ailleurs, il peut être facilement retrouvé en se connectant sur Youtube ou en allant sur Vevo ou Vimeo. Puis, sans vouloir offenser les principaux accusés, les paroles restent les mêmes que ce soit la version censurée ou non.


Alors que Thicke, Williams et T.I. se permettent de définir les notions de bonne et mauvaise fille en chantant «No more pretending, Cause now you winning, Here’s out beginning, I always wanted a Good girl, I know you want it», un groupe d’étudiants en droit de l’Université d'Auckland en Nouvelle-Zélande a décidé de parodier ce single afin de le dénoncer. C’est précisément les Law Revue girls qui ont décidé de faire la parodie Defined Lines. Dans cette vidéo, on y voit trois jeunes femmes complètement vêtues, qui représentent les chanteurs pop, entourées d’hommes en tenue légère dans le but de mettre de l’avant l’aspect double standard du vidéoclip initial. Ainsi, contrairement à la version originale qui encourage les bonnes filles et la chirurgie plastique, la parodie prône davantage une vision féministe de la chose : «So we can fuck this man's world, With all its bullshit, Girls don't deserve it, And that's why we quit, We ain't good girls, We are scholastic, Smart and sarcastic, Not fucking plastic». Malgré le fait que cette version féminine du succès encourage le respect et le consentement, la vidéo a été signalée comme inappropriée et retirée de Youtube seulement trois jours après sa sortie, soit plus rapidement que la version non-censurée de Blurred Lines où on y voit les trois mannequins seins nus se soumettre à Thicke, Williams et T.I. Certes, Defined Lines a rapidement refait son apparition sur Youtube suite aux protestations des Law Revue girls d’Auckland. Heureusement, cette mésaventure a permis de prouver une fois de plus la notion de double standard.


Blurred Lines est loin d’être un cas isolé illustrant la présence de la culture du viol au sein de la culture musicale pop. Plus récemment, Rick Ross et Future dans leur succès U.O.E.N.O. ont osé banaliser les relations sexuelles sans consentement sous l’effet des drogues. «Put Molly all in her champagne, she ain’t even know it, I took her home and I enjoyed that, she ain’t even know it» sont des paroles plus qu’explicites à ce sujet.


Il n’est donc pas question de laisser cette culture occuper la place omniprésente qu’elle revendique. La définition des limites entre les relations sexuelles consentantes et le viol est claire, et les chansons telles que Blurred Lines ne font que promouvoir une vision sexiste de la femme et de sa sexualité. Il est temps de rendre désuète cette mentalité de culture entre les lignes, et cela peut débuter simplement par l’abolition de cette chanson offensante au sein de la Faculté de droit de l’Université de Montréal.

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