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Nicolas Thiffault-Chouinard

Douce-amère


Sur Saint-Laurent, le 31 août au soir, l’été se termine véritablement. À pas fatigués, on s’éloigne du dernier bar de la grande tournée. Dans quelques minutes, septembre va pointer son nez et, là vraiment, l’automne va commencer. Au final, les initiations, qu’est-ce que c’est si ce n’est la célébration de l’été qui s’achève ? - Ah oui, l’arrivée à l’université.


Soyons justes envers l’événement ; ce ne sont plus des initiations, mais des activités d'accueil, et cette année — à la Faculté de droit de l’Université de Montréal du moins — elles ont marqué un changement notable, un virage.


Il y a un an, dans ces mêmes pages, le Pigeon signait un article dénonçant le malaise entourant les initiations dans notre Faculté. Article qui allait, peu de temps après, être repris par un journaliste de La Presse avant de devenir l’un des sujets les plus marquants de 2016. La culture du viol, l’hypersexualisation et la consommation abusive d’alcool. Soudainement, le lustre de nos universités venait de se prendre une claque. Une sacrée gifle à dire vrai. Cet article, né d’un malaise, a suscité une série d’initiatives entre nos murs. Nous n’avons qu’à penser aux discussions féministes tenues à l’automne dernier pour voir qu'il n’en fallait pas plus pour initier un changement.


Après la vague médiatique qui fut plutôt intense pour plusieurs, on commençait déjà à penser au Carnaval et aux initiations de l’année suivante. Rien ne pouvait plus être pareil. Cette fois-ci, tout devait être parfait, il fallait un sans-faute, parce qu’il était évident que les regards allaient être braqués sur nous, braqués sur l’AED, sur les sections, sur les profils Facebook. Des journalistes, en quête d’une une facile, seraient à l’affût.


Ce journal n’est pas reconnu pour être complaisant — plutôt pour l’inverse en fait —, mais, et ce n’est pas faute d’avoir cherché, il faut reconnaître que les efforts de l’AED ont porté leurs fruits. D’abord, il y a le nom qui change : d’initiations à activités d'accueil. Ensuite, on remarque certains détails, comme le processus de sélection des juges, plus ouvert, et les noms que prennent leurs personnages qui ne font plus d’allusions lourdes au sexe — qui ne se souvient pas de Margareth Snatcher ou de Ma Plume Latraverse. Bref, les juges ont passé au lavage, cycle « bon goût » et, il faut le dire, ça fait du bien.


Un autre retrait qui fait du bien : les chansons. Il faut se souvenir que l’an dernier, avec l’article du Pigeon, il avait été question de publier les paroles de « Matante Germaine », mais nous étions arrivés à la conclusion que c’était de trop. Eh bien, nous n’étions pas les seuls, visiblement, car ni cette pièce grinçante, ni la fameuse « Tu nous délaisses » n’ont trouvé leur place cette année dans les événements initiatiques. Qu’ont donc chanté les nouveaux étudiants? Réponse simple : autre chose. En effet, la langue française — toujours pleine de surprises celle-là — a fourni suffisamment de mots aux boosters des sections pour inventer de nouveaux cris de ralliement. Qui aurait cru cela possible…


En vrac, mentionnons encore d’autres changements. La présence de témoins actifs, présents pour désamorcer d’éventuelles situations malaisantes. Sur les chandails des sections, l’espace au dos, autrefois réservé pour attribuer à chacun un nom à connotation sexuelle — le mien était édifiant, Nicouille — a été supprimé. Le lieu de l’activité du mercredi a aussi changé. L’AED a troqué un camping sur la Rive-Sud pour un site événementiel sur la Rive-Nord. À l’arrivée, fouille de sacs et le contrôle des « bouteilles d’eau ». Sur place, des installations sportives, des endroits pour s’asseoir et pour se mettre à l’écart de la fiesta, deux bars, des verres réutilisables, des agents de sécurité et même du personnel médical. Seule déception logistique, l’attente pour le souper. Vraiment, rendu là, c’est (in)tolérable !


Tous ces changements ne sont qu’anecdotiques, me direz-vous? Ce n’est qu’un changement de façade, pour épater la galerie, pour montrer « qu’on fait quelque chose » ? Peut-être. Mais, n’était-ce pas une série de détails qui créait cette impression de malaise auparavant? En s’attaquant à ces détails — ne serait-ce que l’espace pour inscrire un nom sur le chandail du participant — à eux seuls insignifiants, les organisateurs ont réussi à faire de cet événement quelque chose de plus inclusif, de plus sécuritaire et de plus agréable pour plus de participant-e-s.


La seule critique possible est celle qui échappe aux organisateurs : l’attitude des participants. Celle des anciens, celle de quelques nouveaux. Le changement est difficile pour ceux qui sont nostalgiques d’une certaine époque clairement misogyne. Avec les changements qui s’opèrent, il y a fort à parier qu’une culture du respect s’installera et que les initiés seront mieux accueillis.


Malgré tout, c’est quand même l’été qui s’achève et, même si elle est douce, la bière demeure amère dans la bouche de ceux qui voient l’automne pointer son nez et qui savent très bien qu’il annonce l’hiver. Elle est amère, mais douce, parce que rien n’est parfait et qu’il ne faut jamais cesser de changer les choses.


Photo : Nicolas Thiffault-Chouinard


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