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Xavier Desrosiers

Tricheurs



Coupables, on l’est tous un peu. Innocentes victimes d’une grippe sournoise (ou d’une gueule de bois monumentale), se pointer à notre cours de 8h30 devient mission impossible. Quoi faire dans un tel pétrin ? Pas trop compliqué ; on n’a qu’à envoyer un p’tit message à notre collègue de classe, lui expliquant la situation. Et hop, passe- passe, nous voilà en possession de ses belles notes de cours, notes qu’on n’aura qu’à consulter rapidement pour avoir repris la séance comme si de rien n’était.


Jusque-là, tout va bien ; il est évidemment compréhensible que pour une raison ou une autre, un étudiant ne soit pas en mesure de subir un cours. Demander l’aide d’un collègue est naturel et témoigne même d’un bel esprit de solidarité.


Cependant, certains de vos compagnons de classe semblent abuser de l’exercice en mettant en place un système sophistiqué où un nombre restreint d’entre eux a accès à l’entièreté des notes pour l’ensemble des cours. Le concept est simple ; les enseignants donnant année après année la même matière, il est facile de transmettre les notes qu’on a prises lors du cours X à son bon chum qui suivra le même cours l’année suivante, lui qui s’assurera de faire la même chose. Et ainsi de suite. Généralement, ils fonctionnent via un service de partage et de stockage de fichiers dans un nuage (Dropbox, Google Drive, etc.) Le résultat ? Certaines

personnes n’ont pas à prendre de notes, être attentives, voire assister aux séances de cours. Tout ce qu’ils ont à faire, c’est trouver de bons amis bien connectés qui seront en mesure de leur donner accès à ces fichiers, parfois par simple empathie, parfois en échange de quelque chose.


Se dessine évidemment une inégalité flagrante, vicieuse et injustifiée entre les étudiants ayant accès à ces notes et les autres, pauvres victimes de l’esprit compétitif souvent malsain de leurs collègues dépourvus de suffisamment de confiance pour prendre leurs notes eux- mêmes. À croire que le refus de maman à aider dans les devoirs a créé des humains formidables et débrouillards.


Selon nos sources, le décanat de la Faculté serait au courant du problème. Il aurait été approché par l’AED par le passé, et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’on a l’an dernier décidé de mettre en ligne plusieurs examens antérieurs pour tous les cours. Car il s’agissait là d’une autre problématique ; plusieurs enseignants n’ayant pas la formidable audace... de modifier les questions de leurs évaluations d’année en année, il devenait facile de se transmettre entre bons copains les manuscrits d’examens déjà passés. Autrement dit, certaines personnes possédaient les questions de certains examens d’avance. Le geste posé par la Faculté était donc un pas dans la bonne direction, mais lorsqu’est venu le temps d’en faire autant avec les notes des enseignants, un mur s’est dressé. En effet, lorsqu’on a proposé à ces derniers de mettre en place une « plateforme de partage » où toutes les notes de cours seraient disponibles en ligne pour tous les étudiants, certains professeurs auraient

menacé d’entamer des poursuites en propriété intellectuelle.


Une ouverture d’esprit digne d’oncle Donald.


Menés par leur culte des Harvey Specter et leur soif de plaisirs éphémères, certains étudiants vont encore plus loin. On assisterait en effet à un fléau de consommation de psychostimulants, également connus sous le nom de smartdrugs. C’est du Ritalin, du Concerta et autres médicaments du genre qu’on prend dans l’espoir de faire une séance d’étude productive de 8 heures, par exemple. Évidemment, on ne vise pas ici les personnes atteintes d’une condition et qui ont besoin d’une telle médicamentation, elle qui aura dûment été obtenue avec la prescription d’un médecin. On traite plutôt de ces junkies qui consomment le produit en espérant une solution miracle. Selon l’Enquête sur la santé psychologique étudiante menée par la FAÉCUM l’an dernier, on remarque qu’il semble exister une corrélation entre le niveau de consommation des psychostimulants et la probabilité d’être atteint de problèmes de santé mentale. Deux avenues sont possibles: les psychostimulants, d’une manière ou d’une autre, semblent pousser les étudiants vers des symptômes dépressifs, ou bien les étudiants qui y ont recours le font dans l’espoir que cela leur permettra de fuir des symptômes déjà présents. Le problème est délicat, et semble être connu du décanat. Mais que faire ? La Faculté a bien réagi en aidant à mettre en place le PADDUM, le service de pairs-aidants qui se veut être une formidable ressource psychologique pour les étudiants victimes de problèmes de santé mentale. Dans le rapport de la

FAÉCUM, on parle également de mettre en place une campagne de sensibilisation quant à l’utilisation de ces produits. Mais est-ce suffisant ? Malgré tous efforts de bonne foi déployés par les différentes instances, la source du problème est plus profonde encore.


C’est le climat qui règne dans les corridors de la Faculté, le véritable responsable.


Quand, dès la première année, on se fait envahir par les grands cabinets, qu’on se fait offrir une bouteille d’eau par X ou qu’un repas est donné par Y, le réflexe vient vite : je dois faire carrière dans une telle boîte, sinon ma carrière sera un échec. Comment y parvenir ? Je dois avoir de grosses notes, étudier beaucoup, être l’un des meilleurs. Évidemment, cette perception est tempérée pour la plupart d’entre nous au fur et à la mesure que l’on progresse dans le bac ; on réalise bien vite qu’une vie équilibrée vaut plus la peine. Pour d’autres, la volonté de pratiquer en grand cabinet est pratiquement innée, ce qui est louable dans la mesure où cette volonté provient d’eux-mêmes et non de la pression qu’ils subissent. Le problème vient du fait qu’on soit soumis à une telle pression, un environnement malsain où c’est do or die ; on choisit pour nous la carrière qu’on devrait avoir.

C’est ce qui motive les tricheurs, peu importe les moyens qu’ils ont de se procurer un avantage sur leurs collègues, c’est la quête du statut de big shot, statut promeut par les responsables de ce climat puant. Que ce soit en consommant des psychostimulants ou même en s’impliquant seulement pour garnir leur curriculum vitae, et ce, aux dépens de personnes intègres, les tricheurs trichent, mais comment leur en vouloir ?


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