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Laurent Rioux-Boivin

L'économie et le profit, souverains du droit : Quand immoral ne rime pas avec illégal


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Comploter, coloniser, collaborer, corrompre, conquérir, délocaliser, pressurer, polluer, vassaliser, nier, asservir et régir. Douze verbes permettent de résumer la façon qu'ont réussi, au XX° siècle, des multinationales telles que Total à s'affranchir des régimes contraignants des États de droit afin de les contraindre, eux, à leur tour, à un univers commercial les liant à l'échelle mondiale. [1]


La municipalité de Ristigouche, située en Gaspésie, est actuellement aux prises avec un procès contre la pétrolière Gastem. La petite ville de 156 habitants est en effet poursuivie pour 1,5 millions de dollars quant à un règlement ayant été adopté par celle-ci ; le règlement, entré en vigueur en 2013, vise l’interdiction pour quiconque d’utiliser le sol dans le but d’y introduire « toute substance susceptible d’altérer la qualité de l’eau souterraine ou de surface servant à la consommation humaine ou animale, et ce, dans un rayon de deux kilomètres de tout puits artésien ou de surface desservant vingt personnes ou moins » [2] . Or, la pétrolière avait obtenu un permis d’exploitation avant l’adoption de ladite loi. Nous sommes donc dans une situation où la loi de l’État pourrait avaliser une amende faramineuse visant une petite municipalité n’ayant pas les moyens de la payer, et ce parce qu’elle veut protéger ses ressources, dont son eau potable. Cet événement ponctuel, mais non pas pour le moins symptomatique du droit dans son ensemble, peut être extrapolé jusqu’à refléter une culture bien établie dans le monde juridique mondial.


Le droit, à ses origines historiques, était la puissance règlementaire absolue. Qu’il ait été personnifié par un monarque, un empereur ou qu’il fût encore représenté par une législature souveraine, le droit établi était autorité ultime. Ce statut ne le rend pas exempt de tous reproches ; beaucoup d’intérêts personnels venaient s’immiscer dans l’écriture ou l’établissement du droit. C’est encore le cas aujourd’hui, mais dans un rapport encore plus perfide et insidieux.


Dans une société post-industrielle comme la nôtre, l’économie a un grand rôle à jouer. Politique rime aujourd’hui avec économie, même que le rapprochement des deux termes peut nous sembler un pléonasme. Les politiciens, et le discours politique dans son ensemble, placent cette entité méconnue du profane citoyen sur un piédestal des plus considérables. L’orientation des plateformes électorales, les traités internationaux, les politiques fiscales et les mesures d’ordre public sont tous appliqués en vertu de ce concept intouchable qu’est l’économie. Même que l’ingérence de celui-ci s’étend jusqu’au droit, domaine supposé être le garant de la justice commune. Or, l’économie, contrairement à ce comment elle est dépeinte dans le discours politique, n’est pas une règle divine, intouchable et création d’un démiurge quelconque. Avec ce discours vient malheureusement une souveraineté intellectuelle délétère venant des politiciens, gestionnaires et dirigeants de la société ; ceux-ci voient dans l’économie une entité surpassant le droit, et plus loin encore, la morale.


Commençons par les paradis fiscaux. De prime abord, il est important de mentionner que ces entités fiscales complexes sont légales. Pour faire bref, on peut considérer les paradis fiscaux comme des états dont la législation allègue des mesures fiscales des plus permissives. Le droit de regard sur les activités financières des sociétés et compagnies enregistrées dans ces états permissifs est carrément nul ; ces états sont étanches à toutes autorités observatrices. Les impôts sur le profit sont d’une petitesse infinie. Et ces états sont pour la plupart des législations écrites sous l’influence énorme d’avocats et d’intellectuels de la juridiction fiscale, à la faveur de multinationales ou d’individus fortunés. En somme, ces états sont comme un compte en banque, un énorme fonds CELI, dans lequel on place une somme d’argent faite dans des pays nous ayant donné ressources, subventions ou main-d’œuvre à bas prix, dans lequel on place nos millions de dollars dans le but de ne payer aucun impôt à ces pays si accueillants. La somme totale d’argent camouflée dans les paradis fiscaux, ou dans les pays aux politiques complaisantes, pour reprendre l’euphémisme hypocrite du discours politique, est inimaginable. Juste au Canada, c’est de « 8 à 15 milliards de dollars d’impôts »[3] qui s’échappent de chaque province, respectivement. Un peu choquant quand on nous parle de restriction budgétaire, autre euphémisme hypocrite impliquant le démantèlement du système public, qui cautionne des dépenses essentielles aux sphères primordiales de la société. À noter que cette activité est permise par la loi, que ce soit par la loi créée par des fiscalistes dans des pays vides juridiquement ou par contournement subtile de termes et clauses juridiques très complexes.


Attardons-nous maintenant à l’exploitation pétrolière, plus précisément à celle effectuée de l’autre côté du continent, que l’on peut considérer comme la politique de la France-Afrique. Beaucoup d’entreprises pétrolières, dont Total pour ne pas la nommer, opèrent des plateformes pétrolières en Afrique. La proportion du profit qu’elles tirent au détriment des populations locales est gigantesque. Une simple comparaison opposant les profits de ces multinationales aux conditions de vie dans la plupart des pays d’Afrique illustre cette disproportion des profits. On a donc des compagnies américaines, anglaises et françaises qui exploitent des ressources dans des pays souverains et libres, exploitation qui cause des dommages sociaux et environnementaux considérables. Et c’est légal… Comment ? Parce que la loi le permet. Les astuces juridiques permettant cette exploitation sont inimaginables. Que ce soit par l’ingérence d’intérêts des pétrolières dans l’écriture des législations nouvelles de ces pays d’Afrique, qui n’eurent pour la plupart obtenu leur indépendance qu’après la Première Guerre mondiale, ou par la corruption d’un leader politique, pour ne pas dire tyran, tous les moyens sont légaux pour arriver à cette fin d’extractivisme sans bornes. On en vient donc à ce que des législateurs, autorités suprêmes de la loi, se voient corrompus au bénéfice d’intérêts autres que ceux des locaux. Le droit du continent africain est donc gangréné par la perfidie du bien-être économique et des profits de pétrolières, qui ne cessent d’enregistrer des chiffres d’affaires de milliards de dollars. Et encore une fois, en toute légalité.


Ces deux éléments, paradis fiscaux et extractivisme en Afrique, ont deux points communs ; ils sont tous deux permis par la loi et servent le bien-fondé d’une économie mondiale, si vitale et inébranlable pour tous. Or, aucune instance internationale ne vise à réprimander et désaliéner le monde de la désuétude du droit. À quand un organe législatif supervisant les politiques fiscales, l’exploitation à outrance de ressources naturelles ou encore la délocalisation d’emplois, et ce sur une échelle mondiale ? Même le précédent G20, il y a de cela à peine un an, ne s’est aucunement penché sur ces enjeux cruciaux. Jean-Robert Sansfaçon le relate dans le Devoir : « Au cours des dix dernières années, Apple a payé seulement 4 % d’impôt sur les 200 milliards $US de profits encaissés dans le monde (…) les dirigeants des pays du G20 réunis en Chine n’ont pas abordé le sujet, et c’est dommage. Une entente existe depuis l’an dernier entre une soixantaine de nations qui se sont engagées à échanger des renseignements fiscaux à partir de l’an prochain, mais là s’arrête leur obligation pour le moment. » [4]. Le droit ne doit pas se résumer à une vulgaire technocratie malléable aux intérêts de certains, mais doit avoir des bases solides de justice pour le plus grand nombre, et ne pas être l’esclave de l’économie.

Une transition économique vers les énergies vertes, vers des emplois plus décents là où ils sont délocalisés, et vers un avenir dénué de paradis fiscaux est viable, et souhaitable. Le droit, et ici le droit international, pourraient avoir l’honneur d’en être les garants pour une justice plus équitable.


[1] : De quoi Total est-elle la somme?, Alain Deneault, écosociété, mars 2017.

[2] : Les écologistes suivent de près le procès de Ristigouche., Patrice Bergeron, Le Devoir, 6 septembre 2017.

[3] : Paradis fiscaux : des milliards de dollars échappent au fisc canadien chaque année, Olivier Bachand, Radio-Canada, 9 mars 2016.

[4] : « Cool », Apple!, Jean-Robert Sansfaçon, Le Devoir, 7 septembre 2016.

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