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Charles-Étienne Ostiguy

Non, ce n'est pas juste pour rire



Le 15 octobre dernier, lors du passage de Tanya Lapointe sur le plateau de Tout le monde en parle, l’animateur Guy A. Lepage a subtilement glissé une remarque prophétique alors que la conversation tournait autour de la chute du producteur hollywoodien Harvey Weinstein. « Non, non, on va surement en entendre parler ici », disait-il avec un air glauque, révélant que le voile n’attendait qu’à être levé sur des rumeurs qui se faisaient insistantes au point tel où certains en avaient oublié la teneur.


On connaît trop bien la suite. Les allégations sont tombées et, avec elles, une chaîne de réactions surprenantes a fait son apparition sur le web.


Rapidement, les internautes ont trouvé plusieurs moyens de ridiculiser les présumés agresseurs à l’aide de memes ou de statuts Facebook humoristiques. Une cohabitation étrange s’est alors créée alors que le mouvement #MoiAussi prenait toujours une place considérable sur les mêmes réseaux sociaux.


Quelques pages de memes en ont donc profité pour tirer un maximum de visibilité, recyclant un vaste éventail de blagues rappelant la carrière autrefois reluisante des accusés et martelant l’importance des allégations. D’autres pages en ont profité pour dénoncer la prolifération humoristique qui entourait un débat demandant délicatesse, dialogue et sérieux. Selon ces dernières, il fallait laisser le champ libre aux victimes pour continuer les dénonciations.


Qu’en est-il donc de la légitimité sociale véritable d’un tel usage de situations médiatiques à des fins humoristiques? En mon sens, il vaudrait mieux se tenir loin de cette lame à double tranchant.


Certes, profiter économiquement de tels scandales en monétisant des publications controversées et pouvant porter atteinte morale à autrui me paraît ignoble. Toutefois, le véritable problème repose sur la désacralisation accélérée de la question des agressions sexuelles qui est enclenchée par la diffusion abusive d’images rigolotes.


L’omniprésence de visages d’agresseurs présumés sur les réseaux sociaux ne peut mener qu’à un degré de saturation extrême auprès du public, et pire encore, à une indifférence généralisée.


À force d’être embourbée dans un tourbillon de société sur la question des agressions sexuelles, la population ne cherchera qu’à respirer et à se détacher des tourbillons à venir. On finira par accepter le problème en prétendant que jamais les tourbillons ne pourront emporter la maison.


C’est pour éviter un tel scénario catastrophe qu’il faut s’assoir immédiatement, dans l’esprit de pouvoir travailler conjointement et, que dans vingt ans, la situation se soit presque complètement dissipée.


L’humour est-il à proscrire, donc? Pas du tout. Au contraire, l’humour peut être un exutoire exceptionnel pour la société, un véritable miroir du jugement qu’a le groupe envers des actes déplorables tels que ceux dénoncés dans le dernier mois.


Faire de Rozon ou de Salvail des porte-étendards du traitement que réserve le web aux agresseurs pourrait conscientiser quelques adolescents quant à l’importance d’agissements qui peuvent leur sembler banals. Il faut ainsi, en tant qu’auteur et créateur d’humour, bien jauger l’impact sociologique que peut avoir chaque blague sur un sujet aussi volatile.


Les créateurs de memes ont donc des responsabilités qui dépassent largement la teneur de la tâche originelle; ils se doivent d’être conscients des conséquences sournoises que peuvent avoir leurs publications sur la perception de milliers d’internautes.


Photo tirée des archives de Radio-Canada.

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